C’est une heure à peine avant l’interview d’Emmanuel Macron sur France 2, ce 23 juillet, que la gauche s’est finalement accordée sur un nom pour Matignon. Au terme d’un conclave entre une douzaine de représentant·es des quatre partis du Nouveau Front populaire (NFP) réunis, seize jours après le second tour des législatives et autant de réunions diurnes comme nocturnes, c’est donc Lucie Castets qui a fait consensus.
Le nom de la co-porte-parole du collectif Nos services publics a été proposé lundi par Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste (PS). « Animatrice de luttes associatives pour la défense et la promotion des services publics […], elle sera forte de notre engagement complet à ses côtés dans le gouvernement qu’elle dirigera », déclare le NFP dans un communiqué. Une heure plus tard, Macron a balayé l’hypothèse d’un revers de main. Pour l’instant. Interrogée sur France Inter le 24 juillet, Lucie Castets a jugé cette réaction « inquiétante » : « Le déni de démocratie, en refusant d’appeler la formation politique arrivée en tête aux élections est grave. [...] Le moment est grave mais je pense qu’un espoir est levé. Je suis prête, nous sommes prêts. Je demande maintenant au président de la République de prendre ses responsabilités et de me nommer première ministre. »
« Personne n’a gagné » : Macron rejette l’hypothèse Castets
Invité des antennes du service public mardi soir, Emmanuel Macron a exprimé son refus de nommer Lucie Castets à Matignon. « Le sujet n’est pas là », a-t-il esquivé, refusant de reconnaître la première place de la gauche aux élections législatives. Citant en exemple la réélection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale, le président de la République a avancé que « personne n’a[vait] gagné » le 7 juillet.
Pas question, donc, de nommer une personnalité pour diriger le gouvernement avant la fin des Jeux olympiques. « Jusqu’à la mi-août, nous ne sommes pas en situation de devoir changer les choses », a indiqué Emmanuel Macron. Ensuite, se posant en « garant de la stabilité du pays », il a appelé les forces ayant bénéficié du front républicain à trouver des « compromis » pour diriger le pays ensemble.
La position du chef de l’État a ulcéré les dirigeant·es du NFP. « Emmanuel Macron a effacé le résultat des élections législatives, a accusé Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise (LFI), sur X. C’est un déni de démocratie insupportable. En France, il n’y a pas de veto présidentiel quand le peuple s’exprime. »
Lucie Castets, 37 ans, née à Caen et diplômée de l’École nationale d’administration (ENA), promotion 2012/2013, a rejoint le ministère de l’économie et des finances en 2014 à la Direction générale du Trésor, avant de prendre la tête du département international de la cellule française de renseignement financier (Tracfin).
Conseillère au budget d’Anne Hidalgo pendant trois ans, celle qui est actuellement directrice des finances de la ville de Paris, où elle gère un budget de 11 milliards d’euros, a mis rapidement tout le monde d’accord autour de la table. Jusqu’au dernier moment, les négociatrices et négociateurs du NFP ont gardé son nom secret, pour ne pas l’exposer aux mêmes déconvenues qu’Huguette Bello et Laurence Tubiana. Celles-ci avaient dû décliner l’offre, faute d’avoir l’assentiment des quatre composantes du NFP.
Lucie Castets en juin 2024 à Paris. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Mais cette fois, le choix est fait, et salué par toutes les tendances de la gauche. « On est tous très contents », affirme l’Insoumis Éric Coquerel, qui voit dans cette nomination une double victoire : d’abord, « la démonstration que le NFP vit bien et aspire à gouverner le pays », ensuite, le choix d’une tenante d’une « gauche de rupture ».
Un large consensus, pour un double parcours
Sur le réseau social X, Jean-Luc Mélenchon y voit « une confirmation de la capacité du Nouveau Front populaire de se porter à la hauteur des circonstances dans le respect des engagements pris auprès des femmes et des hommes qui l’ont placé en tête des votes ».
Même David Assouline, opposant interne à Olivier Faure au PS et fervent opposant à Jean-Luc Mélenchon, estime qu’elle est « un bon choix pour ses compétences, ses convictions et son engagement en défense des services publics ». Lucie Castets avait été candidate en quatorzième position aux élections régionales de 2015 en Normandie, sur la liste conduite par Nicolas Mayer-Rossignol.
Décrite par tous comme « brillante, intègre, honnête », cette énarque, trentenaire, peut d’ores et déjà se prévaloir d’une riche carrière dans la haute fonction publique, tout en s’étant impliquée dans le mouvement social, notamment contre la réforme des retraites, qu’elle entend abroger une fois à Matignon.
« C’est une haute fonctionnaire très sérieuse, intelligente, méticuleuse, qui sait garder un cap politique et pas seulement compter les sous », indique le communiste Ian Brossat, qui l’a côtoyée lorsqu’il était adjoint d’Anne Hidalgo au logement, et qui reconnaît lui aussi être « soulagé d’avoir enfin un nom à proposer à Matignon ».
La socialiste Chloé Ridel, qui était sa voisine de bureau à Bercy en 2017-2018, loue son sérieux et souligne que son expérience à la mairie de Paris, « où il y a une majorité plurielle à faire tourner », n’est pas anodine. La députée Clémentine Autain, qui la connaît bien pour partager son combat pour les services publics, décrit « une femme intelligente, franchement de gauche ». Sa collègue communiste Elsa Faucillon abonde : « Cette décision prouve qu’un consensus pas mou est possible. C’est une très belle proposition, qui recoupe des combats politiques du NFP. »
Le co-porte parole du collectif Nos services publics, Arnaud Bontemps, salue lui aussi cette proposition : « C’est une responsabilité énorme qui est la sienne maintenant. Charge à l’ensemble de la gauche de se mettre en capacité de réussir le gros défi qui est devant elle, et qui dépasse Lucie. Elle a tous les atouts pour faire ce travail »,dit-il, soulignant son engagement pour « l’école, l’hôpital, la sécurité, la justice sociale et fiscale ».
Invitée de Mediapart le 11 juin, après la dissolution de l’Assemblée nationale et le résultat du RN aux européennes, elle déclarait : « Les services publics peuvent être un antidote au RN, se retourner contre le programme du RN. Il faut une réforme sur la fiscalité du capital, il faut être en mesure de financer massivement les services publics. »
Youtube
Arnaud Bontemps et Lucie Castets avaient été auditionnés lors de la commission d’enquête du Sénat sur le recours aux cabinets de conseil. « Ils avaient produit un travail rigoureux et remarquable sur l’externalisation des missions de service public », se souvient l’ancienne sénatrice communiste Éliane Assassi, rapporteure de la commission.
Seul hic : la prétendante à la succession de Gabriel Attal n’a jamais été élue nulle part. De quoi déplaire à celles et ceux qui reprochent à Emmanuel Macron ses gouvernements « technos » et coupés de la France populaire. Par ailleurs, celle qui n’a pas (encore) de page Wikipédia est inconnue du grand public.
« Je pense qu’on a voulu incarner une candidature de la société civile », souligne Chloé Ridel. La porte-parole d’Attac, Youlie Yamamoto, qui découvre la nouvelle, se félicite aussi de ce double parcours dans les mouvements sociaux et la haute fonction publique : « C’est une bonne nouvelle, c’est une femme qui connaît les rouages d’un ministère, qui a une expérience d’État, et qui a une dimension d’implication dans le mouvement social, on ne pouvait rêver mieux. » Reste qu’Emmanuel Macron doit encore reconnaître le résultat des élections et la nommer.
Mathieu Dejean et Pauline Graulle