Le grand soulagement de la victoire (relative) du Nouveau front populaire (NFP) est riche de leçons pour la gauche anticapitaliste québécoise. Pour ce faire, il est pertinent de s’appuyer sur le bilan-perspective de Léon Crémieux [1] pour la gauche anticapitaliste française. Les politiques austéritaires du président Macron, dans les mêmes eaux que celles de la CAQ, ont été imposées par ses pouvoirs présidentiels sans majorité parlementaire. Au Québec, elles l’ont été par une majorité parlementaire acquise sans majorité populaire grâce au système uninominal à un tour. Pour contrer l’impopularité des ces politiques, les deux gouvernements ont tiré à boulets rouges sur l’immigration accusée de tous les péchés du monde.
En France, ce tapis rouge déroulé à l’extrême-droite a été (temporairement) retiré par une mobilisation populaire imposant l’unité des urnes à la gauche politicienne, de celle sociale-libérale à celle radicale. Au Québec, l’extrême-droite (le Parti conservateur - PC), sans députation due au système électoral, fait du sur place mais à un niveau non négligeable à peine moins élevé que celui Solidaire qui a cependant déjoué le système électoral grâce à la concentration de son vote dans les centres urbains surtout celui montréalais. On peut cependant penser que l’impopulaire CAQ n’en a pas fini de ses persifflées tirades racistes, de plus en les transformant en stériles querelles fédérales-provinciales, pour faire des gens racisés les boucs émissaires des crises combinées du logement, des services publics, des prix élevés et pourquoi pas de la crise climatique en blâmant leur taux de croissance démographique.
Comme le démontre l’exemple français, la réponse politique de la gauche unifiée n’a rien du « recentrage » prôné par la direction-députation Solidaire aux dépens de son programme historique. On se dit que l’augmentation du salaire minimum à 20$ l’heure, l’indexation des salaires au coût de la vie à commencer par ceux du secteur public (en plus des gains insuffisants de la dernière convention collective), la construction annuelle d’au moins 10 000 logements sociaux écoénergétiques, le contrôle des loyers et du prix des aliments non transformés de base, l’électricité de base gratuite, l’imposition des hauts revenus aux taux progressifs d’avant l’ère néolibérale et celle progressif des patrimoines millionnaires seraient un bon commencement. Et, politiquement parlant, ça mettrait sur la défensive CAQ et PC réduits à invoquer la grève de investissements et la fuite des capitaux… ce qui ouvrirait la porte à la gauche, sauf capitulation comme le gouvernement Mitterrand au début des années 1980, pour mettre sur le tapis socialisation et contrôle des capitaux.
Mais que dire à propos de l’immigration fuyant guerres, crise climatique et misères engendrées par les impérialismes, dont le nôtre, en connivence avec les élites locales maintenues au pouvoir par l’argent et l’armement des transnationales et les gouvernements à leur solde ? La pandémie et le rebondissement subséquent ont mis en relief le besoin criant de ces travailleuses essentielles pour contrer les pénuries de main d’œuvre. Il a fallu la fausse solution anti-inflationniste de la hausse des taux d’intérêt pour casser la hausse salariale qui en découlait. La hausse des prix était avant tout causée par une rupture des chaînes mondiales d’approvisionnement suite à la pandémie, la hausse des taux de profit des transnationales de l’énergie et de l’alimentation… et, pour le logement, par la hausse des taux d’intérêt, serpent qui se mord la queue.
Combien de fois faudra-t-il répéter que la personne immigrante, en autant qu’on l’accueille au lieu de la repousser, qu’on lui ouvre les portes du système éducatif et du marché de l’emploi au lieu de la discriminer, offrira plus à la société d’accueil qu’elle en exige. Le partage du temps de travail par sa diminution fera le reste quand sera généralement compris le paradoxe de la décroissance matérielle haussant le niveau de bien-être solidaire pour juguler la crise climatique.
La montée de la bête immonde, qui dorénavant ne se cache plus, clashera d’ici peu, clashe déjà avec le recul social-libéral de Québec solidaire. L’élection de Trump aux ÉU suivi de celle l’an prochain des Conservateurs canadiens de Poilievre précipiteraient la crise politique. Pour faire face à la montée de l’extrême droite, ce recul Solidaire est le problème clef bien avant celui des rapports avec le PQ sur lequel souffle un air de « préférence nationale » le transformant en caquisme de gauche. Certes, l’indépendance de libération nationale face au Quebec bashing Canada pétrolier-financier et d’émancipation sociale face au capitalisme du libre-échange reste l’horizon rassembleur. Mais rien ne dit que cette indépendance ne pourrait pas se muer en un nouveau visage de la bête immonde portée par une alliance nationaliste à droite toute.
Marc Bonhomme, 12 juillet 2024
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