La présidente du groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, et des députés du groupe dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, à Paris, le 3 juin 2024. Ludovic Marin/AFP
Alors que le deuxième tour des élections législatives approche et que l’extrême droite pourrait former un gouvernement pour la première fois sous la Ve République, il nous a paru utile de nous intéresser aux propositions de loi déposées par les députés du Rassemblement national (RN) au cours de la 16e législature de 2022 à 2024.
Au cours de son mandat, chaque député dispose individuellement de l’initiative législative et peut donc déposer une proposition de loi. Mais il est habituel que les propositions de loi (PPL) circulent auprès des membres du groupe parlementaire auquel le député est affilié afin de recueillir le plus de signatures possible puisqu’à travers elles le groupe défend son programme.
Même si elles restent au stade embryonnaire, les PPL à l’initiative des élus permettent de montrer à leurs électeurs que leur vote n’a pas été vain, que des textes sont d’ores et déjà prêts en vue d’une prochaine alternance.
Les PPL peuvent également défendre la circonscription des députés et nourrir le bilan en vue des futures élections. C’est le cas, notamment, de la proposition visant à protéger la culture camarguaise déposée par Nicolas Meizonnet, député RN du Gard, réélu le 30 juin dès le 1ᵉʳ tour.
Éducation, jeunesse, sécurité
Au cours de cette XVIe législature, les députés du RN ont déposé 160 propositions de loi.
Les thématiques qui ont le plus intéressé les élus du RN sont d’abord l’éducation et la jeunesse : quatorze concernent directement l’éducation, quatre relèvent de la thématique de l’ordre à l’école (exclusion définitive des élèves convaincus de menées islamistes) deux concernent les programmes (affichage d’une carte de France et d’une frise chronologique dans les salles de classe) et cinq peuvent être qualifiées de « mesures sociales à destination de la jeunesse » (amélioration du financement du permis de conduire).
La deuxième thématique la plus traitée par les propositions de loi des élus RN est la sécurité. Pas de surprise ici, la thématique étant un des marqueurs de l’extrême droite qui fait de la sécurité la première des libertés fondamentales.
Quatre PPL ont concerné la délinquance des mineurs (abaissement de la majorité pénale à 16 ans), trois spécifiquement la lutte contre les incendies et les cinq autres peuvent entrer dans la catégorie « statut des agents » (instauration d’une présomption de légitime défense à leur profit).
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Des « lois faits divers »
À travers ces thématiques variées, le RN entend démontrer qu’il peut être un parti de gouvernement, capable de traiter les problèmes au-delà de la sécurité et de l’immigration.
Au-delà de ces données purement quantitatives, les enseignements sont nombreux. D’abord, certaines sont des « lois faits divers » qui répondent à un événement médiatique ou sociétal. Ainsi la proposition précitée visant à abaisser la majorité pénale à 16 ans est une réaction aux émeutes de l’été 2023.
De même, lors de la révolte des agriculteurs, le RN a déposé une PPL créant une circonstance aggravante au vol s’il concerne le carburant ou le matériel agricole. Proposition de loi qui, par ailleurs, satisfait l’intérêt électoraliste du RN.
Au service de la ruralité ou d’une France idéalisée ?
Cela est également le cas des textes relatifs aux collectivités territoriales à travers la question des pouvoirs des maires (permettre aux maires de connaître l’identité des fichés S) et des conseils municipaux (double condition pour l’autorisation de toute installation éolienne) ou via la thématique des finances locales (sept PPL sur ce sujet).
Le groupe prend ainsi en considération les petites communes, leurs habitants et leurs élus. C’est le cas de la proposition de loi organique (au sens où elle vient préciser une disposition constitutionnelle) restaurant la réserve parlementaire au profit des petites communes.
Cette PPL est doublement instructive dans la mesure où elle est une des rares PPL trans-partisane signée par des élus RN, traduisant une préoccupation commune aux partis de droite. La PPL a été portée en premier lieu par un député Les Républicains et une PPL sénatoriale a également été déposée sur le sujet.
La volonté de rétablir la réserve parlementaire n’est donc pas propre aux élus RN cosignataires de la PPL, elle n’est pas non plus la seule PPL déposée par le RN à s’intéresser aux « petites communes », les parrainages des élus locaux étant essentiels en vue de l’élection présidentielle.
Cette question fait d’ailleurs l’objet d’une des trois propositions de loi constitutionnelle, celle rétablissant l’anonymat des parrainages. Cette opération séduction à destination des élus locaux a aussi pour but d’attirer les faveurs des grands électeurs en vue des élections sénatoriales.
Cela peut également expliquer le nombre relativement important de propositions relatives à la ruralité : une PPL pour garantir la présence de distributeurs automatiques de billets ou dédier un fonds national de revitalisation des communes.
Celles-ci permettent de dépeindre une France idéalisée qui correspond à celle que le parti voudrait établir. Cela passe par la défense des traditions locales et une vision historique et patrimoniale de la culture.
La PLL visant à améliorer la protection et la conservation des biens historiques rappelle ainsi : « le patrimoine culturel est l’un des piliers de notre identité nationale ». La protection de la culture n’est donc pas une fin en soi, mais un moyen de promouvoir une ligne politique identitaire.
Relativiser le droit et le modifier
La question de l’identité nationale irrigue nombre de propositions. La PPL interdisant le port de signes ou de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse ou politique dans les sorties et les activités organisées dans le cadre scolaire entre également dans cette catégorie. Tout comme certaines mesures « sociales » à l’image de la PPL réservant les bourses aux étudiants français.
Mais toutes les propositions déposées par les députés du Rassemblement national ne traduisent pas une doctrine identitaire. Celles relatives au pouvoir d’achat ne visent pas uniquement les Français et ne cherchent pas à défendre une vision particulière de la France. Elles manifestent un certain pragmatisme et la volonté de répondre aux attentes des Français, ce que proposent tous les partis. Certaines différences doivent toutefois être notées.
L’impossibilité juridique de mettre en œuvre les propositions a déjà pu être relevée : l’attribution prioritaire de logements sociaux aux français est ainsi contraire aux droits constitutionnel et européen. Cela n’est pas un sujet pour les élus RN. Il s’agit en fait d’une démarche propre aux partis illibéraux.
Cette doctrine consiste en effet à relativiser le droit : celui-ci ne saurait durablement s’opposer à la volonté du peuple. Si une mesure voulue par la majorité – à l’occasion d’élections ou de référendums – est contraire au droit, il faut modifier le droit. Cette rhétorique est déjà développée s’agissant de la préférence nationale.
Pour le RN, sa contrariété avec le droit constitutionnel ne saurait empêcher sa consécration : il suffit de réviser la Constitution. C’est ce qui transparaît dans la PPL constitutionnelle Citoyenneté-Identité-Immigration. Le droit lui aussi devient un instrument mis au profit d’une doctrine politique qui nous éloigne des principes fondamentaux de liberté, égalité, fraternité.
Un manque de cohérence
L’amplitude des matières envisagées montre une capacité de saisir les sujets de préoccupation des Français. La disparité des mesures laisse toutefois apparaître un manque de cohérence entre les différentes politiques défendues.
Par exemple, si certaines mesures semblent chercher à répondre à l’écoanxiété, elles sont contredites par d’autres visant à préserver l’intérêt de l’électorat primaire de l’extrême droite : les agriculteurs avec le retour des néonicotinoïdes, ou les propriétaires, avec la condamnation des mesures visant à lutter contre la location des passoires thermiques.
L’examen des 160 PPL ne permet donc pas de discerner un programme, simplement des mesures ponctuelles, dans l’air du temps, qui parlent aux français et contribuent à la normalisation du parti. Cela explique les incohérences entre les différentes mesures qui ne sont unies que par deux doctrines : lutte contre l’immigration et préférence nationale.
L’absence de réflexion globale sur le service public est aussi évidente, il n’est envisagé que de manière partielle et afin de promouvoir la préférence nationale. Les autres dimensions échappent au RN, alors que la solution aux problèmes complexes auxquels le gouvernement devra faire face ne peut résider dans la seule consécration de la préférence nationale.
Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po Lille
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