EmmanuelEmmanuel Macron le sait : en appelant mardi, lors de sa conférence de presse, à un « réarmement démographique » de la France, il reprend une très vieille obsession de l’extrême droite, partagée par tous ses courants. Celle de la natalité, et plus précisément de la « natalité française » pensée en opposition à l’immigration et aux droits des femmes.
Dans les mots au moins, le président de la République a même exaucé une demande du Rassemblement national, qui avait déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale, en septembre 2022, « visant à faire de l’année 2024 une année dédiée à la relance de la natalité française ». Les député·es signataires voulaient en faire la « grande cause nationale 2024 ».
Lors du débat sur la réforme des retraites l’an dernier, les parlementaires RN ainsi que Jordan Bardella, actuel président du parti, avaient repris le slogan suivant : « Les bébés de 2023 sont les cotisants de 2043. »
Tous les programmes présidentiels du FN puis du RN privilégient la défense de la natalité. Le livret « famille » du plus récent, en 2022, prône par exemple une politique nataliste (avec la préférence nationale pour les allocations familiales).
Il défend aussi une mesure directement inspirée du Hongrois Viktor Orbán en transformant le prêt à taux zéro promis pour les couples de moins de 30 ans en don à partir du troisième enfant, « pour encourager les naissances ».
Plusieurs figures d’extrême droite ont d’ailleurs déjà participé au Sommet de la démographie organisé chaque année par le président hongrois : en 2021, Éric Zemmour et Marion Maréchal figuraient parmi les participant·es. Rien de surprenant de la part de l’ancien candidat à la présidentielle selon qui « la démographie, c’est le destin ».
Son programme de 2022 proposait de verser une prime de 10 000 euros pour chaque enfant naissant en milieu rural, d’ouvrir des places en crèche ou encore d’élargir à toutes les familles françaises le versement des allocations familiales.
Derrière la natalité, l’obsession xénophobe
Cette défense de la natalité est étroitement liée à deux fondements de l’extrême droite : le contrôle du corps des femmes et la xénophobie. Car si le nombre de naissances est si crucial, c’est pour éviter d’en appeler à l’immigration pour endiguer le vieillissement de la population française.
Le démographe Hervé Le Bras le prophétisait dès 1998 dans Le Démon des origines. Démographie et extrême droite : « La démographie est en passe de devenir un moyen d’expression du racisme. »
« Faire le choix de la natalité, c’est s’engager à assurer la continuité de la Nation, et la perpétuation de notre civilisation », écrit le RN dans son livret famille. « La natalité française s’effondre… alors que l’immigration augmente encore », déplorait le parti d’extrême droite dans un communiqué de 2018.
Lors du débat sur les retraites en 2023, la députée Laure Lavalette avait proposé de limiter le versement des prestations familiales (prime de naissance, prestation d’accueil du jeune enfant, complément de libre choix du mode de garde, etc.) aux « ménages et aux personnes de nationalité française » pour relancer « la natalité française », comme le souligne la chercheuse Cécile Alduy sur le site AOC.
Dans le même article, cette dernière cite les propos du vice-président RN de l’Assemblée nationale Sébastien Chenu (en février 2023, sur France Inter) : « Moi, je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe. »
La députée RN Bénédicte Auzanot allait encore plus loin dans un entretien au site Boulevard Voltaire : « Si nous ne relançons pas notre natalité, notre peuple disparaîtra », affirmait-elle, imaginant, effrayée, « une France où les bébés qui naissent actuellement seraient minoritaires, où notre héritage civilisationnel ne serait plus incarné charnellement que par une marge (de la population) allant se rétrécissant ».
Il s’agit là d’une allusion à peine voilée à la théorie complotiste et raciste du « grand remplacement », titre d’un ouvrage de Renaud Camus en 2011. « La vraie colonisation est démographique […]. La concomitance d’une faible natalité des Français blancs avec une forte natalité noire et maghrébine change définitivement le pays », y écrit l’essayiste.
Dix ans plus tard, le magazine Causeur mettait en couverture une photo de bébés (blancs et racisés) avec ce titre : « Souriez, vous êtes grand-remplacés ! » et Éric Zemmour faisait de cette théorie complotiste l’un des piliers de sa campagne présidentielle. Marine Le Pen et le Rassemblement national, eux, préfèrent l’euphémisme de « submersion migratoire ».
Le contrôle du corps des femmes
À l’extrême droite, de Charles Maurras dans les années 1930 au Rassemblement national, la défense de la natalité repose aussi sur une vision traditionnelle, voire traditionaliste, de la famille, empreinte de culture chrétienne. Le recul des naissances est perçu comme une conséquence d’une idéologie remettant en cause l’ordre et l’autorité, depuis la Révolution française. Il est aussi le corollaire d’une vision des femmes dont la mission principale est d’enfanter.
Cela explique, entre autres, l’hostilité historique de l’extrême droite à l’accès à la contraception et à l’avortement – même si Marine Le Pen a fait évoluer en partie le RN sur ce point, tout en abandonnant le revenu pour les mères au foyer qui a longtemps figuré au programme de son mouvement.
Mais comme l’explique Joëlle Brunerie‑Kauffmann dans un article de 1993, « l’arrivée de la contraception et de la liberté de l’avortement a donné aux femmes leur liberté sexuelle [...]. Pour l’extrême droite, cette liberté est à la racine même de tous les maux dont souffre notre société, le plus grave étant la chute de la natalité ».
En 2015, l’eurodéputé Front national Dominique Martin prônait « le droit des femmes à rester chez elles ». Selon lui, « ça aurait l’avantage de libérer des emplois, ça aurait l’avantage de donner une meilleure éducation à nos enfants, ça aurait l’avantage de sécuriser nos rues parce qu’ils n’y traîneraient pas et ne seraient pas soumis à la drogue ».
Dans un communiqué diffusé mercredi 17 janvier, « jour d’anniversaire de la promulgation de la loi Veil », la Fondation des femmes « s’inquiète » des propos du président de la République tenus la veille : « Selon les spécialistes, la baisse de natalité reste relative, il n’y a pas de raison de s’en inquiéter. En revanche, les politiques publiques doivent permettre aux femmes de mener des maternités choisies, et sacraliser le droit à l’IVG dans la Constitution, en sécurisant son accès et celui à la contraception en menant des politiques ambitieuses pour l’égalité entre les femmes et les hommes. »
De tout cela, Emmanuel Macron n’a pas dit un mot. Il a en revanche repris un autre totem de l’extrême droite, le slogan « pour que la France reste la France », utilisé par Éric Ciotti ou Éric Zemmour.
Lénaïg Bredoux
Youmni Kezzouf
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais.