Canoas (RS), 17/05/2024 - CHUVAS RS- DONATIVOS - L’Université luthérienne du Brésil (Ulbra) reçoit des dons pour la population touchée par les inondations dans le Rio Grande do Sul et les trie. Rafa Neddermeyer/Agência Brasil
C’est dans ce contexte que des actions et des campagnes de solidarité ont vu le jour dans tout le Rio Grande do Sul et dans tout le Brésil. Des volontaires participent au sauvetage des personnes et des animaux victimes des inondations, d’autres travaillent dans des centres d’hébergement et des cuisines solidaires, tandis que des campagnes de collecte de dons en ligne se multiplient. Toutes ces actions de solidarité sont très importantes, car en même temps qu’elles contribuent à réduire l’impact de la tragédie en assurant un minimum de dignité à la population touchée, elles réaffirment également la force de l’action communautaire, de l’auto-organisation de la classe ouvrière et l’importance de l’attention aux autres et de la dimension humaine dans la mise en place de solutions collectives.
Cependant, la réalité que présentent les services publics réduits à la en situation précaire sous l’administration des gouvernements néolibéraux, combinée à la nécessité de recourir à la mobilisation des bénévoles, a engendré un affrontement des discours sur le rôle de l’État dans des tragédies telles que celle que nous vivons actuellement. Partant de la maxime « le peuple pour le peuple », une partie de la population a légitimement critiqué la faiblesse de l’État face à une catastrophe de cette ampleur et valorisé la force de la communauté. Pour sa part, l’extrême droite, qui s’est toujours caractérisée par son opposition à l’organisation populaire, collective et solidaire des mouvements sociaux, profite de ce moment de crise au service de son agenda politique et idéologique qui consiste à aggraver la désintégration sociale par la diffusion de fausses nouvelles. A cette fin, ils reprennent à leur compte le principe du « peuple pour le peuple » et l’instrumentalisent afin de décrédibiliser l’action de l’Etat.
En combinant la diffusion de fausses nouvelles avec la récupération de la formule « le peuple pour le peuple » ou « le civil sauve le civil », l’extrême droite affirme que l’État n’a pas agi face à l’événement climatique extrême actuel et, plus encore, qu’il a empêché les personnes « libres » d’agir. C’est ainsi que s’est répandue la fausse nouvelle selon laquelle des véhicules chargés de dons pour le Rio Grande do Sul auraient été bloqués sur les routes, ce qui a été rapidement démenti.
Le récit construit par l’extrême droite consiste, en reprenant ce qui se dit et s’entend, à s’opposer au gouvernement fédéral dans un premier temps, mais son objectif idéologique plus stratégique est de délégitimer l’action de l’Etat, et donc de décrédibiliser les institutions, les services publics et les entreprises publiques avec l’idée que le pouvoir de l’action individuelle et le libre marché s’autorégulent et sont suffisants pour sortir de la crise. Leur idéal est la lutte pour la survie des entrepreneurs en concurrence les uns contre les autres, ou la logique milicienne de l’armement individuel, telle qu’on peut déjà l’observer dans certains quartiers de Porto Alegre. L’orientation idéologique de cette conception politique s’inscrit dans un courant de pensée ultra-libéral et d’extrême-droite : le « libertarianisme ». Son principal représentant politique en Amérique latine, qui influence l’extrême droite brésilienne, est le président argentin Javier Milei, mais ces idées ont des fondements plus profonds et c’est dans les situations de crise qu’elles sont propagées avec le plus d’intensité.
Au Brésil, ces idées se sont déjà manifestées sous le gouvernement de Jair Bolsonaro, à travers la défense de l’école à la maison, le mouvement anti-vaccin lors de la pandémie de Covid-19, la défense de l’armement individuel ou encore une prétendue « liberté d’expression » permettant de diffuser des mensonges barbares. Le fond de ce discours est que l’Etat entrave la liberté individuelle, qu’il s’agisse de celle des familles à éduquer elles-mêmes leurs enfants loin des écoles « gauchistes », de l’armement individuel comme solution à la violence sociale et comme indispensable à la défense de la propriété, ou encore de la liberté de diffuser des mensonges face à la « censure » de l’Etat.
Il est indéniable que l’État que nous connaissons est tourné vers la défense des intérêts de la classe dominante et que, en général, l’État se manifeste de manière très insuffisante dans les différents territoires pour garantir les droits sociaux de la population. Cependant, ceci est le résultat direct du programme même défendu par les secteurs libéraux et d’extrême droite, avec leur politique obstinée de dévalorisation des services publics, de privatisation d’entreprises stratégiques et leur négationnisme climatique. Ainsi, le recours à des consultants américains, préconisé par Sebastião Melo (MDB), maire de Porto Alegre, et par le gouverneur Eduardo Leite (PSDB), ne fait qu’accentuer la logique de ségrégation et de privatisation de la ville.
La valorisation de la solidarité active, du travail collectif et bénévole doit être couplée à la défense des institutions publiques au service de la majorité des travailleurs. Cela signifie valoriser les universités publiques telles que l’UFRGS, l’UFPEL et l’UFSM, qui contribuent par leurs recherches à informer la population sur les impacts des pluies et les risques d’inondations et de glissements de terrain. C’est défendre les entreprises publiques comme la Poste, qui achemine les dons au Rio Grande do Sul dans tout le Brésil. C’est rendre hommage aux employés du Département municipal des eaux et de l’assainissement (DMAE) de la ville de Porto Alegre qui, malgré la précarité et le démantèlement de l’agence, ont joué un rôle fondamental pour éviter que la crise liée à la pénurie d’eau dans la ville ne s’aggrave. C’est aussi une reconnaissance du rôle de la Compagnie nationale d’approvisionnement (CONAB), qui a organisé des livraisons de nourriture aux cuisines solidaires de tout l’État, des forces armées et de la défense civile, qui ont aidé à sauver des personnes et des animaux, et du système de santé unifié, avec la Force nationale du SUS et les hôpitaux de campagne.
Pour la gauche et les mouvements sociaux, « le peuple pour le peuple » ou « nous pour nous », c’est valoriser la solidarité active de la classe ouvrière et la placer au rang de valeur humaine, de même que l’organisation collective et populaire considérée comme une solution de rechange pour l’émancipation humaine. Il ne s’agit donc pas d’une critique de l’État dans l’abstrait, mais du fait qu’il défend les intérêts capitalistes.
Contrairement à ce que dit l’extrême droite, nous avons besoin que les instruments de l’État, qu’il s’agisse des universités, des entreprises et des institutions publiques, soient au service des revendications de la classe ouvrière, qu’il y ait des investissements massifs dans la recherche scientifique, les infrastructures, la protection environnementale et sociale, et qu’ils soient tournés vers la construction du bien commun, la dignité des personnes et la défense de l’environnement. La solidarité active dont les travailleurs ont fait preuve ces dernières semaines et l’auto-organisation des communautés doivent être considérées comme la base et la substance de l’État que nous cherchons à construire. Un État où l’intelligence collective des gens est mise en branle pour élaborer des solutions et où le sens de l’humain est au centre de ce qui nous anime tous et toutes.
André Simões, de Porto Alegre (RS)