Manifestation contre un projet de golf à Villeneuve-de-la-Raho, près de Perpignan, dans le sud de la France, le 16 mars 2024. ED JONES / AFP
ENVIRONNEMENT - « C’est un sujet que je n’éluderai pas ». Interrogé dans la matinale de TF1 ce mercredi 20 mars, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a annoncé qu’il se rendrait jeudi dans les Pyrénées-Orientales, pour échanger avec les maires au sujet de la grave sécheresse qui frappe le département depuis bientôt trois ans. L’occasion aussi pour le ministre de se prononcer sur la construction, très contestée, d’un golf à Villeneuve-de-la-Raho, à quelques kilomètres de Perpignan.
Les opposants attendent du ministre qu’il annule l’arrêté préfectoral qui autorise les travaux de ce complexe qui doit s’étendre sur plus de 160 hectares, avec un hôtel et 600 logements. S’il n’est pas nouveau, la maire de Villeneuve-de-la-Raho, Jacqueline Irles, le porte depuis vingt ans, ce projet tombe mal dans un contexte où la pluie ne tombe plus depuis des mois, et où seules 30 % des réserves d’eau du département sont disponibles, selon le BRGM, des associations écologistes sont montées au créneau. Environ 1500 personnes (4 500 revendiqués par les organisateurs) ont manifesté leur colère, samedi 16 mars, autour du lac de Villeneuve-de-la-Raho.
Pour les scientifiques de l’université de Perpignan, qui constatent avec dépit l’avancée des travaux depuis novembre 2023, ce golf a aussi été la goutte de trop. Dans une tribune publiée début février, près de 100 chercheurs ont dénoncé un projet « hors-sol » et « emblématique d’une vision dépassée ». L’un des signataires, David Giband, géographe, professeur des universités en urbanisme et aménagement du territoire, livre ses inquiétudes au HuffPost.
Le HuffPost : Comment la gronde contre ce projet est montée chez les chercheurs de votre université ?
David Giband : On est 96 chercheurs, en science fondamentale ou science humaine travaillant sur le changement climatique, à avoir signé cette tribune. On discutait beaucoup de la sécheresse extrême qui sévit dans le département, mais jamais de manière coordonnée. Mais le lancement des travaux du golf, à 3 km à vol d’oiseau de l’université, a été un électrochoc.
Ce projet a été le catalyseur de tout ce qui ne va pas dans le département en matière d’aménagement du territoire au regard des enjeux climatiques. Ce golf nous a poussés à sortir de nos retranchements, à partager notre vision scientifique à la société civile.
Quelle est votre principale inquiétude ?
Elle concerne bien évidemment l’eau. Nous sommes préoccupés par l’alimentation de ce golf, car les promoteurs seront obligés de puiser dans le lac à côté (qui n’est plus rempli qu’au tiers de sa capacité ndlr), ou dans le canal de Perpignan qui est connecté à la commune. Cela va amplifier les conflits d’usage autour de cette ressource, entre les besoins de la population, de l’agriculture, et du tourisme.
Pourtant, la maire de Villeneuve-de-la-Raho assure sur franceinfo que le golf sera arrosé « à 100 % grâce à l’eau de la station d’épuration » ?
On sait très bien que l’utilisation des eaux grises ne va pas suffire. On n’utilise pas 100 % des eaux grises pour arroser un golf, car les normes d’hygiène ne le permettent pas. Aussi, on s’achemine très certainement cet été vers des coupures d’eau, donc qui dit coupures d’eau, dit aussi restriction d’usage sur l’eau grise.
« Ce golf ne révèle pas seulement dans une crise de l’eau, ou une crise climatique, mais une crise totale. » David Giband, professeur d’urbanisme et aménagement du territoire à l’université de Perpignan.
Au-delà de l’eau, quels sont les autres griefs que vous faites à ce complexe ?
Ce qui me choque en tant qu’urbaniste, c’est que ce projet va à l’encontre des normes nationales et départementales sur l’aménagement du territoire. La loi climat et résilience privilégie l’objectif « zéro artificialisation nette », et une réduction de moitié des surfaces constructibles bâties. Et là, on a un projet qui déploie 600 logements, ce qui représente plus d’une trentaine d’hectares d’artificialisation rien que pour la partie habitat.
Le deuxième élément, c’est l’impact sur la biodiversité. Ce projet est à la jonction entre la ville de Perpignan et la première couronne périphérique, dans une zone qui est encore un poumon vert. Et ce complexe est prévu sur un couloir de migration des oiseaux.
Il y a enfin la problématique sociétale. Ce golf est l’illustration d’une fracture sociale entre des projets destinés à des populations aisées et la population du département, la plus pauvre de l’Hexagone après la Seine-Saint-Denis. Ce golf ne révèle pas seulement une crise de l’eau, ou une crise climatique, mais une crise totale.
Qu’attendez-vous de Christophe Béchu ?
Nous, les chercheurs du département, attendons que l’État mette un coup d’arrêt à tous les investissements « anachroniques » au regard du changement climatique. Par exemple, il y a un projet de complexe hôtelier haut de gamme, dans la commune du Barcarès, au nord de Perpignan, qui va être construit sur une bande sableuse protégée. Cela va fragiliser le littoral, déjà touché par le recul du trait de côté.
Au regard de la situation hydrique, nous aimerions aussi que le gouvernement réunisse tous les acteurs (associations, société civile, chercheurs…) pour réfléchir à un plan d’urgence et établir des prospectives pour le long terme.
Nous, les chercheurs, on a conscience que les acteurs du territoire sont restés dans un mode de pensée concernant l’aménagement du territoire et la gestion de l’eau qui nous mène droit vers une impasse
Pauline Brault