Cette décision scandaleuse, prise sans respect des procédures, est intervenue peu après un épisode du podcast de Shalhoub-Kevorkian sur Makdisi Street, dans lequel elle exposait ses critiques à l’égard du sionisme, de l’assaut d’Israël sur Gaza et du bilan douteux de l’État en ce qui concerne les allégations relatives aux événements de la guerre. Mais l’universitaire a été sous le radar de l’université pendant des mois (et même des années), notamment après avoir signé une pétition à la fin du mois d’octobre demandant un cessez-le-feu à Gaza et décrivant la guerre comme un « génocide ». L’université a écrit que Mme Shalhoub-Kevorkian devrait « trouver un autre foyer académique qui corresponde à ses positions ».
La suspension vide certainement de leur sens certains des cours « éclairés » proposés par l’université. En effet, que peut enseigner à ses étudiants une université qui suspend un membre du corps professoral sans audience dans un cours intitulé « La Cour suprême dans un État démocratique » ? Qu’est-ce qu’une institution académique, qui s’aligne sur les sentiments les plus extrêmes et les plus faucons de la société, peut leur enseigner sur « la liberté, la citoyenneté et le genre » ? Que peut nous apprendre sur « les droits des êtres humains, le féminisme et le changement social » une institution qui réduit au silence et intimide grossièrement la voix critique d’une femme, d’une conférencière et d’une membre d’une minorité persécutée ?
Dans une déclaration présentant sa vision de l’institution universitaire il y a plusieurs années, le président de l’université, le professeur Asher Cohen – qui, avec le recteur, le professeur Tamir Sheafer, a autorisé la suspension de Shalhoub-Kevorkian – a affirmé que l’université avait « mené un processus d’inclusion des populations qui composent la société israélienne. Nous croyons en un campus diversifié, pluraliste et égalitaire, où des publics d’origines différentes apprennent à se connaître et sont initiés à la valeur de la coexistence ». Ce sont des mots riches venant d’un homme qui semble incapable d’entendre des voix politiques critiques qui diffèrent des siennes.
Dans la même déclaration, M. Cohen s’enorgueillit de la responsabilité profonde de l’université « l’égard de la société israélienne, et en particulier de Jérusalem ». C’est cette même Jérusalem où la moitié de la ville est sous occupation, et où plus de 350 000 Palestinien·nes sont opprimé·es chaque jour, leurs maisons démolies, et leurs enfants arbitrairement tirés du lit et arrêtés en pleine nuit – sans qu’aucun des chefs de la tour d’ivoire de Cohen ne prononce un mot à leur sujet.
Il y a beaucoup à dire sur les quartiers palestiniens de Silwan et de Sheikh Jarrah, tous deux situés à quelques centaines de mètres du campus du Mont Scopus, alors qu’ils sont confrontés à la prise de contrôle de leurs terres et de leurs biens par des colons soutenus par l’État. Mais il est particulièrement frappant de constater que l’université hébraïque n’a jamais jugé bon de protester contre la violente oppression qui s’exerce dans le village d’Issawiya, dont les maisons sont clairement visibles depuis les fenêtres des bâtiments du campus, à quelques mètres de là. Se pourrait-il que dans les soirées que Cohen passe dans son bureau, il n’entende pas les bruits des tirs de la police israélienne, qui sont depuis longtemps la bande sonore du village, juste sous sa fenêtre ?
Si seulement le grand péché de l’Université hébraïque (et c’est un grand péché en effet) était l’oubli. La suspension de Shalhoub-Kevorkian s’ajoute à une longue liste de persécutions politiques et d’endoctrinement militariste promus par l’institution au fil des ans.
Après tout, c’est la même université qui, en janvier 2019, s’est pliée à une campagne d’incitation ignoble menée par un groupe d’étudiants de droite contre le Dr Carola Hilfrich, prétendant à tort qu’elle avait réprimandé un étudiant qui s’était présenté sur le campus en uniforme de l’armée. Au lieu de la défendre contre ces fausses accusations, l’université a publié une lettre d’excuses honteuse pour cet « incident ». C’est cette même université qui, quelques mois plus tard, a choisi de transformer le campus en un petit camp militaire en organisant des cours pour l’unité de renseignement de l’armée israélienne – l’une des nombreuses collaborations profitables avec l’armée – malgré les protestations des étudiants et des enseignants.
C’est la même université qui, à maintes reprises, a harcelé et réduit au silence des associations d’étudiant·es palestinien·nes tout en accordant des crédits académiques à des étudiant·es qui font du bénévolat pour le groupe d’extrême droite Im Tirtzu. Et c’est la même université qui, au cours des cinq derniers mois, n’a rien dit de la façon dont Israël détruit systématiquement les écoles et les établissements d’enseignement supérieur de Gaza, trahissant honteusement non seulement leurs collègues assiégé·es, bombardé·es et affamé·es à Gaza, mais aussi les principes de l’académie elle-même.
Dans une lettre adressée à la députée Sharren Haskel pour expliquer leur décision, le président Cohen et le recteur Sheafer ont accusé Mme Shalhoub-Kevorkian de s’être exprimée d’une manière « honteuse, antisioniste et incitative » depuis le début de la guerre, et l’ont tournée en dérision pour avoir qualifié de génocide la politique d’Israël dans la bande de Gaza. Mais elle n’est pas la seule à agir de la sorte. Non seulement le peuple palestinien et des centaines de millions de personnes dans le monde considèrent la calamité à Gaza comme un génocide, mais la Cour internationale de justice, le plus haut tribunal du monde, a elle-même pris cette lourde accusation au sérieux et a décidé qu’elle ne pouvait pas être rejetée d’emblée.
C’est comme si Cohen et Sheafer étaient non seulement surpris d’apprendre que Shalhoub-Kevorkian est palestinienne, mais qu’elle est aussi – Dieu nous en préserve – antisioniste. Si le sionisme était une condition préalable à l’admission à l’université, ses dirigeant·es auraient dû être obligés d’en informer chaque professeur·e et chaque étudiant·e avant qu’elles et ils ne franchissent les portes de l’établissement. On peut affirmer sans risque de se tromper que l’une des principales raisons pour lesquelles iles ne le font pas, outre les restrictions légales, est que l’université hébraïque bénéficie de la présence de Palestinien·nes afin de se présenter au monde universitaire international comme un modèle de pluralisme, de libéralisme et d’inclusion. Pendant ce temps, elle peut continuer à persécuter ces Palestinien·nes chez elles et chez eux, loin des yeux du monde.
Cet acte honteux se répercute déjà bruyamment dans les universités et les médias du monde entier, jetant sur l’université hébraïque l’opprobre qu’elle mérite. En attendant, le seul cours que je peux trouver dans le module de l’université et qui semble approprié pour qu’elle enseigne aux étudiants est celui proposé par le département des sciences politiques – Machiavel, le philosophe du pouvoir tyrannique.
Orly Noy
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