Micrographie électronique à balayage colorisée d’une cellule (rose) infectée par des particules du virus SARS-CoV-2 (vert et violet), isolée à partir d’un échantillon de patient.
Loin de n’être qu’un « banal » virus respiratoire, le coronavirus SARS-CoV-2 peut envahir de nombreuses sortes de cellules dans notre corps. Y compris dans le cerveau, normalement si bien protégé.
Difficultés de concentration, de planification, troubles de la mémoire immédiate… Les personnes souffrant de Covid long se plaignent très souvent de problèmes cognitifs, qui s’ajoutent aux nombreux autres symptômes dont elles souffrent. Quatre ans après la première vague de la pandémie, la recherche sur les causes de ce « brouillard cérébral » progresse.
On sait aujourd’hui que le coronavirus SARS-CoV-2 à l’origine de la maladie est notamment capable de pénétrer dans notre cerveau et de détruire certaines cellules cérébrales. L’infection d’une petite population de neurones inquiète particulièrement les scientifiques : il s’agit des neurones à GnRH, qui jouent un rôle essentiel non seulement dans la fertilité, mais aussi dans le neurodéveloppement des enfants.
Directeur de recherche et responsable du laboratoire Inserm « Développement et plasticité du cerveau neuroendocrine », Vincent Prévot nous explique pourquoi leur destruction est préoccupante.
The Conversation : Des travaux récents ont montré que l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2, même quand elle ne s’accompagne que de symptômes modérés, est associée à des atteintes cognitives. Aujourd’hui, il ne fait plus de doute que l’infection par le SARS-CoV-2 est délétère pour le cerveau ?
Vincent Prévot : Plusieurs études ont montré que l’infection par le SARS-CoV-2 a des effets sur le cerveau. L’une des plus spectaculaires, publiée dans la revue Nature, montre qu’elle s’accompagne d’une diminution du volume du cerveau et d’une perte cognitive, d’autant plus importante que les personnes sont âgées. Et ce, même chez des gens qui n’ont pas fait de forme sévère.
Avec nos collaborateurs, nous avons de notre côté démontré que le coronavirus était à l’origine de microruptures de vaisseaux sanguins cérébraux, parfois très nombreuses. Celles-ci pourraient entraîner la mort de certains neurones, et avoir des conséquences sur le vieillissement cérébral.
Divers travaux ont par ailleurs montré que ce dernier semblait d’ailleurs accéléré chez certains patients. Nous avons nous-mêmes constaté la dégradation très rapide, suite à l’infection par le coronavirus, de l’état d’un patient atteint de démence vasculaire à un stade précoce.
The Conversation : Avec vos collaborateurs, vous vous êtes particulièrement intéressé aux effets de l’infection sur une catégorie bien particulière de neurones, les neurones à GnRH. Pourriez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?
VP : Ces neurones produisent une hormone appelée GnRH (Gonadotropin-Releasing Hormone). Éparpillés dans notre cerveau, ils sont très peu nombreux : on estime qu’il en existe seulement environ 10 000, dont 2000 dans l’hypothalamus. En regard des 100 milliards d’autres neurones, c’est extrêmement peu.
Cependant ces neurones, que l’on retrouve chez tous les vertébrés, sont essentiels. En effet, ils contrôlent notamment les capacités de reproduction. Les neurones à GnRH s’activent à la puberté. L’hormone qu’ils produisent à cette période passe dans le sang et atteint l’hypophyse, une petite glande située sous le cerveau.
Celle-ci libère alors deux autres hormones, la LH et la FSH, qui vont agir sur les ovaires et les testicules, entraînant leur croissance et déclenchant la production de spermatozoïdes et d’ovocytes. LH et FSH sont aussi impliquées dans la sécrétion des œstrogènes et de la testostérone.
Donc, depuis l’hypothalamus, les neurones à GnRH contrôlent tous les processus associés aux fonctions reproductrices : la puberté, l’acquisition des caractères sexuels secondaires et, à l’âge adulte, la fertilité.
Mais ce n’est pas tout. Ces neurones jouent aussi un rôle essentiel dans le neurodéveloppement des enfants. En effet, une semaine après la naissance, une première activation des neurones à GnRH se produit. Transitoire, elle est à l’origine d’une « mini-puberté » qui dure six mois environ, avant que ces neurones ne se mettent en hibernation en attendant la puberté adolescente. Or, cette première étape est fondamentale pour le développement des capacités cognitives des enfants.
The Conversation : Comment avez-vous fait le lien entre ces neurones et le Covid-19 ?
Vincent Prévot : Au début de la pandémie, nous avons été troublés par le fait que la majorité des victimes des formes graves de Covid-19 étaient des hommes. Or, on sait que le dimorphisme sexuel est en partie contrôlé par le cerveau, via l’hypothalamus et les neurones à GnRH.
En outre, bon nombre de ces patients étaient en surpoids, voire obèses, ou diabétiques. Un constat qui, là encore, faisait soupçonner une implication de l’hypothalamus, car cette structure, qui intervient dans de nombreux mécanismes physiologiques (croissance, faim et soif, rythme circadien, régulation de la température, métabolisme…), joue aussi un rôle dans l’obésité et le diabète.
Nous nous sommes donc rapidement interrogés sur la possibilité que le virus puisse franchir la barrière hématoencéphalique, qui protège le cerveau des envahisseurs. À l’époque, peu de gens étaient prêts à l’admettre, car le SARS-CoV-2 était surtout considéré comme un virus pulmonaire.
Nous avons cependant prouvé que le virus pouvait bien accéder au cerveau, qui plus est de diverses façons.
The Conversation : Comment le virus parvient-il à atteindre ces neurones ?
VP : La muqueuse de la cavité nasale (l’épithélium olfactif) est l’une de ses portes d’entrée. Il faut savoir que les neurones à GnRH ne naissent pas dans le cerveau, mais dans le nez, pendant le développement embryonnaire. Ils migrent dans le cerveau seulement dans un second temps.
Or, nous avons découvert ces dernières années que même une fois installés dans le cerveau, les neurones à GnRH gardent une attache physique avec l’épithélium olfactif, via leurs fibres nerveuses. C’est par là que passe le virus.
Qui plus est, dans la muqueuse nasale se trouve une autre sorte de neurones, les neurones olfactifs, dont le rôle est de détecter les molécules odorantes. Leurs fibres nerveuses sont en contact avec le bulbe olfactif situé dans le cerveau (la structure qui traite les informations liées aux odeurs). Nous avons démontré que le coronavirus SARS-CoV-2 était capable d’infecter ces neurones (c’est pour cela que l’un des symptômes est la perte de l’odorat, ou anosmie), lesquels constituent donc une seconde porte d’entrée.
Mais le virus dispose aussi d’une troisième voie d’accès au cerveau. Nos collègues allemands ont en effet découvert que le coronavirus détruit les cellules qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins cérébraux. Ceux-ci perdent alors leur étanchéité, endommageant la barrière hématoencéphalique censée isoler le cerveau, et laissant « fuir » le virus.
Enfin, à certains endroits de l’hypothalamus, la barrière hématoencéphalique s’interrompt, pour laisser passer librement dans le sang les neurohormones produites par cette structure cérébrale, telle que la GnRH. On peut donc imaginer que le virus, présent dans le sang, puisse lui aussi passer par là. Nous avons d’ailleurs montré qu’il infecte aussi des cellules appelées « tanycytes », qui régulent notamment la fréquence de sécrétion de la GnRH dans le sang…
L’entrée du virus dans le cerveau n’est pas sans conséquence : lorsque nous avons pratiqué des autopsies de patients décédés de la maladie, nous avons découvert que leurs neurones à GnRH avaient été tués ou étaient en train de mourir. La GnRH n’était donc plus produite à des taux suffisants. Or, en l’état actuel des connaissances, on considère que ces neurones ne se régénèrent pas.
The Conversation : Quelles sont les conséquences pour les patients ?
VP : Divers rapports scientifiques avaient fait état de taux de testostérone très bas chez des patients atteints de Covid-19. Par ailleurs, de nombreux hommes atteints de Covid long se plaignent d’une baisse de libido ou de problèmes érectiles.
Nous l’avons aussi constaté dans la cohorte de 47 hommes que nous avons analysée lors de nos derniers travaux. Les dosages que nous avons effectués indiquent par ailleurs que cette baisse de testostérone n’est pas due à un problème au niveau des organes sexuels, mais bien à un déficit de production de GnRH dans l’hypothalamus (c’est ce que l’on appelle un hypogonadisme hypogonadotrope.
Mais les problèmes posés pourraient être plus importants qu’une simple baisse de la libido. Dans cette même étude, nous avions déjà constaté un plus fort taux de mortalité chez les personnes en réanimation dont l’axe gonadotrope était altéré. Mais on sait aussi qu’un déficit en GnRH peut se traduire par des troubles cognitifs.
Ainsi, certains traitements du cancer de la prostate ou de l’endométriose, qui consistent à supprimer l’axe GnRH, s’accompagnent d’une perte cognitive chez certaines personnes, ainsi que d’un risque accru de développer la maladie d’Alzheimer plus tard.
Or, dans notre cohorte, les patients qui présentaient des dosages hormonaux anormaux se traduisant par une baisse de testostérone étaient en proportion plus nombreux à signaler des troubles de la mémoire ou de l’attention, ou des difficultés de concentration. Ces résultats doivent encore être confirmés sur des cohortes de plus grande taille incluant également des femmes.
The Conversation : Doit-on craindre que l’effet du virus se fasse sentir à long terme ?
VP : On peut légitimement se poser la question des conséquences de l’infection par le SARS-CoV-2 sur le cerveau humain. Comment vont vieillir les cerveaux des personnes infectées ? Les troubles cognitifs dont se plaignent les patients vont-ils persister ? Va-t-on assister à une augmentation des cas de démence dans les décennies à venir ?
C’est d’autant plus inquiétant que des effets sur le cerveau ont été constatés, y compris chez des personnes souffrant seulement de symptômes modérés.
Il ne s’agit pas d’être alarmiste, bien entendu. Mais le cas de l’épidémie de grippe espagnole survenue au début du XXe siècle, doit nous faire réfléchir : une grande partie des survivants avait développé la maladie de Parkinson, pour des raisons qui restent à élucider.
Par ailleurs, on peut se demander si l’infection des enfants en très bas âge, longtemps considérée comme peu problématique, ne pourrait pas avoir elle aussi des conséquences à plus long terme. Si l’étape de mini-puberté a été altérée chez certains nourrissons, leur développement neurologique pourrait s’en ressentir, et nécessiter un accompagnement afin de tenter d’atténuer l’impact de cette situation.
Répondre à ces questions va nécessiter d’approfondir les recherches dans les années à venir.
The Conversation : Quelle va être la suite de ces travaux ?
VP : Jusqu’ici, nos résultats ont été obtenus sur de petites cohortes. Nous allons maintenant changer d’échelle, en analysant des échantillons provenant d’hommes et de femmes participant à la cohorte française Coper.
Il s’agit de 300 personnes qui ont eu un Covid « léger » sans conséquence à long terme, et 300 personnes qui ont eu un Covid similaire, mais ont développé un Covid long.
Nous allons tester l’état de l’axe gonadotrope et le comparer entre les deux groupes, afin de vérifier si un axe gonadotrope déficient est effectivement associé à des troubles neurologiques.
En attendant d’en savoir plus, mieux vaut éviter d’être contaminé par ce virus, qui n’est de toute évidence pas un simple virus respiratoire.
Vincent Prévot, Directeur de Recherche en Neuroendocrinologie et Neurosciences, Inserm
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