L’Indépendance
PSPP parle d’indépendance, mais a-t-il rejeté le confédérationniste (soit la souveraineté-association), il parle de monnaie canadienne – mais il souligne également que ce n’est qu’une hypothèse… l’indépendance n’est pas fondamentale pour le PQ qui a tenu ses deux référendums sur une nouvelle alliance (référendum de 1980) ou sur un nouveau partenariat (référendum de 1995). S’il revient à ses fondamentaux, c’est à ces derniers qu’il reviendra. Parmi d’autres fondamentaux, auxquels le PQ reste fidèle, c’est le libre-échange, assurance de la domination des multinationales sur l’économique du Québec.
Sur la démondialisation, il a repris les thèses sur la croissance nationale, sans remettre en question les tenants et aboutissants de la mondialisation – soit le libre-échange. Sur l’immigration, il a fait des personnes migrantes les causes des maux de la société québécoise en matière de logement, de difficultés des services publics ou de l’itinérance. Il a proposé des quotas pour limiter à 35 000 l’immigration permanente. Il a fait campagne contre le niveau des demandes des réfugié-e-s. Il s’est prononcé contre l’existence du racisme systémique malgré les dénonciations des peuples autochtones et des communautés ethnoculturelles. Il s’est rangé ainsi dans le camp du nationalisme conservateur allant jusqu’à faire pression sur la CAQ pour son laxisme en matière d’immigration.
Il réduit la question nationale aux francophones de souche, ne tient aucunement compte des populations racisées ni des motifs qui conduisent les populations du sud global à émigrer au nord.
La stratégie d’indépendance du Québec ne peut, à plus forte raison dans la situation politique et économique actuelle, se situer autrement que dans une stratégie d’alliances avec les forces sociales du Reste du Canada et avec les populations autochtones. Dans ce sens la dynamique sociale au Québec qui a pour origine l’oppression nationale a permis des luttes sociales de grande ampleur qui n’ont pas d’équivalent dans le reste du Canada. Les luttes syndicales du secteur public ou les luttes étudiantes comme celle de 2012 en sont des exemples.
Le sort réservé à la Grèce en 2005 qui a subi le blocus financier de la Troïka, soit la Banque centrale européenne (BCE), le Fond monétaire international (FMI) et l’Union européenne (UE), démontre qu’un projet de changement social ne peut se faire sans une stratégie de soutien international, c’est également le cas du Québec. Naomi Klein avait développé une analyse percutante sur cette question dans La stratégie du choc.
L’auteur mentionne que QS semblait pouvoir jouer le rôle d’alternative suite à son succès électoral de 2018. Mais que depuis l’élection de 2022 il s’est fait damner le pion par le PQ.
Le succès de 2018 est le résultat du débat initié par le CCN concernant l’opposition à l’alliance électorale avec le PQ. Un débat public et dans les instances de QS qui a duré pratiquement une année. Ce débat a servi de politisation des membres concernant notre projet souverainiste et d’exercice de la démocratie large. Il a permis également de déjouer les pièges mesquins tendus par Jean-François Lisée qui visaient à neutraliser QS pour emporter la mise et le pouvoir, son objectif n’avait rien à voir avec la souveraineté.
L’élection des 10 députéEs était le résultat d’une campagne imaginative qui savait illustrer les principaux enjeux de société, tels les soins de santé, les soins dentaires, l’éducation, l’inclusion et le projet d’indépendance. Résultat qui aurait été impossible si QS était tombé dans le piège du PQ et de Lisée. Nous aurions politiquement été associé aux politiques du PQ et sombré avec lui. Nous n’aurions jamais fait élire 10 personnes et nous ne serions certainement pas rendus où nous sommes aujourd’hui. Cette conclusion pourtant évidente est passée pratiquement sous silence, même à l’intérieur des rangs de QS.
L’élection de 2022 et après
Cette campagne a démontré les limites d’une campagne qui se voulait porteuse de changement social avec par exemple son plan de transport écologique, mais sans plan global de changement de société. QS a omit d’indiquer qu’il mettrait les multinationales à profit afin de financer ses projets. La population laborieuse plus aisée, celle qui a un emploi stable et un fonds de retraite, a eu la nette impression qu’elle était la cible et qu’elle serait la seule à contribuer.
L’indépendance est également disparue de cette campagne. Ce changement de société, socialement et économiquement égalitaire, féministe et inclusif nécessite un combat des idées mais aussi un combat dans la rue, contre les dominants, les corporations et les multinationales. L’indépendance ne peut prendre un sens que si elle se conjugue dans un combat inclusif de toute la population laborieuse du Québec dans cet espoir de justice. On ne peut mener une campagne électorale sans mener ces combats, sinon nous seront pris au piège, celui du pouvoir pour le pouvoir.
L’auteur Bálint Demers apporte une réflexion et des critiques sur cette période concernant entre autres la timidité du caucus solidaire concernant l’abolition du serment à la monarchie britannique. Son plan stratégique passe par contre à côté des éléments essentiels à la construction d’un rapport de force et du rassemblement des forces sociales. Sa stratégie se concentre d’abord et presqu’uniquement sur la question de l’unité des partis souverainistes QS et PQ, dans une perspective politique qui fait abstraction des luttes de classe dans le Reste du Canada, de l’importance des revendications territoriales et des luttes des populations autochtones et de la réalité des populations racisées et issues de l’immigration.
Il nie l’existence du nationalisme identitaire et va même jusqu’à en changer le nom pour « enjeux symboliques-institutionnels » et associe les positions inclusives de QS concernant la laïcité à un nouveau concept qu’il appelle « la gauche libérale américaine ». Il crée ainsi un effet de brouillard qui vient neutraliser le poids de ce nationalisme. Il prend ainsi à partie les populations racisées en les considérant comme adversaires déjà gagnés au fédéralisme et aux politiques libérales.
Il affirme ainsi que cette politique de QS l’a éloigné du sens commun de la majorité des québécois et québécoises sur les enjeux symboliques-institutionnels (Laïcité) et conclue que le seul bassin politique pour QS est celui du PQ. Il met de côté toutes les personnes qui rejettent le nationalisme identitaire, ce nationalisme qui es vu et senti comme raciste et repoussant, qui conduit toutes ces populations, racisées ou non, à rejeter le nationalisme et par voie de conséquence l’indépendance.
Le refus de reconnaître la réalité du racisme systémique, contre les Noir-e-s, les peuples autochtones, et l’islamophobie, en solidarité avec le positionnement de la CAQ, démontre que le PQ refuse de comprendre les voies de la construction du Québec comme société multinationale et pluriculturelle.
Sa perspective ne peut donc concevoir cette question politique que de façon binaire. Il classe ainsi ceux et celles qui considèrent la problématique de façon inclusive et égalitaire avec les populations racisées dans le camp du Parti Libéral. Un raccourci mensonger qui rejette l’idée d’une culture politique universalisante. Comme l’a écrit Silvia Federici, « les communs doivent être envisagés comme les résultants d’une diversité d’histoires d’oppression et de luttes dont les différences ne produisent pas de divisions politiques. Les communs sont le produit de la lutte ». [1]
Cela l’entraine également à ignorer le rôle qu’ont joué des personnages comme Jean-François Lisée ou Gilles Duceppe dans la stigmatisation des personnes racisées avec une vision du Québec où la définition est l’intégration aux « valeurs québécoises » comme cela a été le cas avec le débat concernant le port du voile. Comment oublier la campagne à la direction du PQ où Lisée avait affirmé qu’Adil Charkaoui appuyait son principal adversaire dans la course à la chefferie du Parti québécois. Il avait également fait allusion au fait qu’en Afrique les AK47 sous les burqas, était une réalité.
Gilles Duceppe, dirigeant du BLOC québécois avait utilisé les mêmes préjugés, et fait campagne pour que le serment d’allégeance à la reine soit fait à visage découvert. Dans un message publicitaire contre le NPD de Mulcair le BLOC avait même produit une vidéo dans laquelle une coulée de pétrole se transformait en Niqab. [2] Le député Louis Plamondon avait publié une publicité qui portait uniquement sur le port du Niqab et dans laquelle il démontrait que le BLOC était le seul parti à être contre.
La Ligue des droits et libertés soulignait dans son Portrait de l’extrême droite au Québec publié en 2019 [3], que le projet de la Charte des valeurs québécoises semblait avoir donné une légitimité politique aux discours identitaires. C’est en effet à partir de 2015 que naissait à travers la province une nouvelle panoplie de groupes nationalistes identitaires, xénophobes et anti-immigration.
L’espace politique de QS
Balint Demers affirme que faire le choix du souverainisme de gauche implique qu’il faille pour QS développer un espace politique commun avec le PQ, rien n’est plus faux.
QS traverse cependant une période problématique en termes d’orientation politique et de processus démocratique. Le livre de Catherine Dorion a souligné quelques éléments qui ont permis de lever le voile sur ce processus. L’absence de référence à l’indépendance lors de la campagne électorale de 2022 n’est pas le fruit du hasard. Le processus d’indépendance implique une prise en main de notre économie et de nos ressources. Par exemple, le programme prévoit que « …Québec solidaire préconise de placer l’industrie minière sous contrôle public (participation majoritaire de l’État), incluant au besoin la nationalisation complète. De plus, afin de réaffirmer la souveraineté de l’État et de la collectivité sur le territoire québécois, un gouvernement solidaire élaborera une nouvelle loi sur les mines à la suite d’une consultation populaire. »
La direction de QS n’a pas souligné la nécessité de mettre à contribution les multinationales dans le plan de financement du plan de transport, qui était un élément phare de notre campagne de 2022. Cela a eu pour effet que les mauvaises cibles, la population qui a un fonds de pension et ou une maison, ont senti que c’est uniquement elles qui devraient contribuer à financer nos projets étatiques. Cette mesure a été caractérisé par le terme taxe orange.
S’en prendre aux multinationales représentait probablement un écueil d’un point de vue communicationnel, parce qu’il fallait indiquer comment on les forcerait à se conformer à nos réglementations. Mais notre objectif, s’il n’est qu’électoral, conduira à une adaptation à ce qui est politiquement acceptable. Cette attitude a pour effet également de négliger la construction d’une mobilisation sociale, essentielle au changement de société que nous préconisons.
On voit également un manque important sur la question de l’immigration. Bien que la direction de QS ait proposé le seuil d’immigration le plus élevé et n’adhère pas au discours identitaire, elle reste dans le discours d’adaptation à l’immigration selon nos besoins, particulièrement en main d’œuvre. Cette position évacue la problématique des changements climatiques causés par l’industrialisation et la déforestation, dont les populations du sud global subissent plus fortement les conséquences, ainsi que l’exploitation économique intense par les compagnies multinationales. Au final les populations du sud global n’ont de moins en moins le choix que d’émigrer vers le nord.
Cette question nous interpelle en tant que parti de gauche, nous ne pouvons trouver de solution dans un cadre uniquement national, qui revient à calculer le taux d’immigration qui nous convient. Il est essentiel de voir cette problématique de façon mondiale et d’en faire une analyse anticapitaliste.
Vers un républicanisme radical
Les membres de Québec solidaire ont opté pour une perspective inclusive et altermondialiste comme en fait foi le programme et les différentes décisions prises en instances nationales.
Affirmer que Québec solidaire et le clivage ouverture/fermeture alimentent le nationalisme conservateur est un déni de la réalité. Les partis qui nourrissent et ont fait du nationalisme leur fonds de commerce, ce sont la Coalition Avenir Québec et le Parti québécois. Affirmer que les raisonnements de PSPP relèveraient non du nationalisme conservateur, mais du républicanisme, à partir de sa critique du multiculturalisme qui empêcherait « la constitution d’une communauté politique de citoyennes et de citoyennes repose sur un nationalisme étroit, qui nie le caractère pluriculturel et plurinational de la société québécoise. » Ce n’est pas un républicanisme radical, c’est un républicanisme d’exclusion.
Le républicanisme que doit développer Québec solidaire est celui d’une république sociale qui remet en question au-delà de la monarchie canadienne, le pouvoir économique des grandes entreprises au nom d’une souveraineté populaire véritable.
Le républicanisme du PQ a toujours été sous-développé. Le PQ dans son histoire n’a jamais radicalement remis en question le régime parlementaire d’origine britannique. Il n’a jamais remis en question la réalité du pouvoir politique basée sur la domination d’une minorité possédante. Son radicalisme n’est pas radical et il ne s’inscrit nullement dans une logique de la mise en place d’une véritable république sociale.
Si Bálint Demers demande à Québec solidaire d’abandonner des pans entiers de son programme, il ne demande rien au PQ. Il ne demande pas l’abandon de son ralliement au nationalisme conservateur, il ne demande pas de rompre avec sa démagogie anti-immigrant, il ne demande pas d’envisager une démarche de souveraineté populaire.
Le texte de Bálint Demers est une initiative qui permet un débat. Mais son analyse propose en fait une alliance avec un parti qui n’a jamais rompu avec le néolibéralisme et qui est basé sur une conception nationaliste identitaire. L’avenir de la société québécoise est au contraire lié à une perspective inclusive, socialiste et internationaliste. Québec solidaire est le seul parti qui peut mener cette lutte.
André Frappier
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