Personne ne peut se satisfaire d’un tel résultat obtenu de justesse. Au mieux, nous pouvons rêver à de nouveaux pourparlers à venir entre le ministère de l’Éducation et la FAE en vue de trouver des solutions adéquates aux problèmes les plus criants qui étaient au cœur de la présente négociation. Au pire, les enseignant.e.s de la FAE et les élèves auront à vivre, d’ici au moins le 31 mars 2028, avec les solutions, dans une certaine mesure, bancales négociées entre les deux parties et ne l’oublions pas solutions quand même recommandées aux enseignant.e.s pour adoption par l’instance fédérative de négociation de la FAE.
L’étape de la rédaction du « clause à clause »
La double condition (unités et mandats) étant maintenant satisfaite, la prochaine étape entre les parties négociantes consistera à consigner par écrit dans la convention collective les modifications à y introduire dans ce qu’il est convenu d’appeler, dans le jargon des relations de travail, « la rédaction du clause à clause ». Un exercice parfois long, pénible et laborieux. Là où il n’y aura aucune ambiguïté, réside en ceci : le contenu de l’entente prévoit, pour certains enseignant.e.s des gains salariaux importants et pour d’autres ce sera le moule uniformisateur du 17,4% (sur cinq ans) plus un potentiel d’ajustement, pour toutes et tous, de 3% face à l’inflation[1] (pour les trois dernières années en raison d’un maximum de 1% par année). Sur cet aspect de la réalité, pour les gestionnaires du monde scolaire, les choses seront faciles à mettre en application. Pour le reste, certaines « solutions » (sic) imaginées durant la négociation n’iront pas de soi.
Le défi de garder et d’attirer le personnel enseignant demeure entier
Avec un tel résultat mitigé en faveur de l’entente de principe force est de constater qu’un des enjeux principaux de la présente ronde de négociation – la composition de la classe – ne semble pas avoir été bien compris par le gouvernement. La solution de l’État patron (une prime là où il n’y aura aucune ressource professionnelle digne de ce nom) apparaît à sa face même comme une mesure inappropriée. Donner plus de fric, jusqu’à 8000$ par année, cela permettra-t-il réellement de répondre adéquatement aux besoins des élèves ? Cela permettra-t-il de retenir le personnel expérimenté ou d’attirer de nouvelles et de nouveaux enseignant.e.s ? C’est ce que nous serons en mesure de vérifier au cours de prochains mois et des prochaines années. En ce sens, le défi de garder et d’attirer le personnel enseignant, dans le réseau d’enseignement public de certains centres de services scolaires du Québec, demeure entier. Par conséquent, le défi d’offrir un enseignement élémentaire et secondaire de qualité à toutes et à tous, dans certaines écoles, reste également entier.
Une leçon possible à retenir de la présente négociation
Nous avons pu entendre au cours des dernières semaines certaines et certains ex-leaders syndicaux nous dire qu’une négociation ne permettait pas de régler la totalité des problèmes. C’est vrai. Mais diantre, à quoi peut bien servir une négociation quand celle-ci a pour effet de s’ajouter à d’autres rondes précédentes qui ont contribué à pelleter par en avant des problèmes ? Qui a la responsabilité de la gestion de la chose commune et de l’intérêt général dans notre société ? Qui doit trouver les conseillères et les conseillers capables de dégager des orientations susceptibles de résoudre nos problèmes sociaux et éducatifs ? Le gouvernement et ses différents ministères ou les syndicats ? Un gouvernement qui refuse d’écouter et de négocier sur la base des revendications des personnes à qui il confie la responsabilité de dispenser sur une base quotidienne des services jugés essentiels dans notre société est un gouvernement qui regarde ses salarié.e.s de haut. La présente ronde de négociation a été profitable, dans une certaine mesure pour les enseignant.e.s qui font, dans certains cas, des gains salariaux importants, mais elle a aussi permis au gouvernement d’imposer, dans un cadre négocié, sa solution, partiellement modifiée du côté de la FAE, à l’aide à la classe. Il n’est pas certain, selon nous, que toutes les écoles élémentaires et secondaires du Québec sortent gagnantes de la présente ronde de négociation.
La vision du gouvernement Legault
Pour le moment il est permis de dire que la vision de l’éducation élémentaire et secondaire et les pseudoréponses apportées aux problèmes qui la confrontent qui vont primer dans certaines régions au Québec (Montréal, Québec, Laval, Laurentides, Outaouais et Estrie) semblent découler de la vision et des intérêts du gouvernement. Le problème avec le gouvernement Legault est le suivant : il ne parvient pas à saisir ce à quoi correspond l’intérêt général de la population et il est incapable d’accepter de mettre en place des mesures ou des correctifs qui s’attaquent à la complexité de certains problèmes. De plus, il fait la sourde oreille à plusieurs solutions qui viennent de la base. Résultat : avec son approche qui réside dans plus d’argent à distribuer auprès de certain.e.s salarié.e.s, il laisse les services publics se dégrader et il s’imagine qu’avec ses primes il va attirer des personnes au travail sans leur offrir des conditions de travail digne de ce nom.
Pour conclure
Il n’est pas exagéré de dire que la situation dans certaines écoles publiques est catastrophique et le manque de ressources professionnelles compétentes est criant. La présente négociation était une occasion de s’attaquer à ces fameux problèmes de la charge de travail, d’attraction et de rétention des enseignant.e.s et également d’innover en ouvrant des postes à des ressources professionnelles d’accompagnement qualifiées. Nous verrons dans le temps ce que donnera l’aide à la classe, l’amélioration de l’échelle salariale pour les enseignant.e.s en début de carrière et les primes. À première vue, à la lumière des résultats obtenus chez les membres de la FAE, ce qui a été négocié ne semble pas suffisant pour relancer dans la voie de la réussite des élèves de certaines écoles publiques. C’est donc de justesse et avec une grande tristesse que semble se conclure, du côté de la FAE, la ronde de négociation 2023 avec le gouvernement Legault.
Après la signature de la nouvelle convention collective viendra l’heure du bilan de la négociation et qui sait l’heure des décisions à prendre en lien avec l’avenir professionnel de certaines personnes actives dans les structures syndicales et dans leur profession. Resteront-elles ou resteront-ils en place ou iront-elles et iront-ils ailleurs ? La décision leur appartient. À l’issue du processus qui s’est échelonné sur un peu plus de quatorze mois et d’un affrontement ouvert qui a duré 22 jours, il n’y a pas lieu de conclure ici à une grande victoire syndicale. C’est d’une tristesse à la fois pour certain.e.s enseignant.e.s de l’école publique et également pour leur organisation syndicale.
Yvan Perrier
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