Jeudi 12 juillet 1973 [deux semaines après le coup d’Etat]. Des dizaines de milliers de travailleurs reprennent le travail. Dans les usines, les chantiers, les ateliers, les banques, les abattoirs, les hôpitaux, les bureaux, la « normalité » du travail commence à se rétablir.
Dans beaucoup de ces lieux, dès leur arrivée, les travailleurs retrouvent les mêmes situations inquiétantes : affiches syndicales et panneaux de solidarité arrachés. Les vestiaires ont disparu, les casiers sont vides. Aucune trace d’organisation ou de lutte récente.
La veille, le Conseil représentatif de la déjà interdite CNT (Convention nationale des travailleurs-Convención Nacional de Trabajadores, créée en 1964) a décidé de suspendre la grève générale [décrétée face au coup d’Etat militaire du 27 juin 1973] : 22 syndicats pour, 2 contre, 4 abstentions. La résolution indique :
« Dans les circonstances actuelles, sa prolongation indéfinie ne ferait qu’épuiser nos forces et consolider celles de l’ennemi. Nous ne sortons pas vaincus ou humiliés de cette bataille. Au contraire, l’héroïsme dont elle a fait preuve tout au long de son déroulement, notamment de la part des plus forts détachements de la classe ouvrière (…) montre que la force des travailleurs, malgré les coups reçus, n’a pas été fondamentalement entamée. » [1]
A cette époque, des centaines de grévistes et de militants sont déjà emprisonnés dans des casernes et dans le Cilindro Municipal de Montevideo, le plus grand stade de basket-ball du pays. Ceux qui parviennent à échapper à la traque répressive se réfugient dans la clandestinité. Certains sont contraints à vagabonder, d’autres sont hébergés par des amis, des parents, des centres paroissiaux. Tous se cachent.
Contrairement aux dirigeants de la CNT, les hommes d’affaires ont compris la situation avec précision. Ils ont fait le calcul et sont passés à l’action, sans attendre. Grisés par la victoire du coup d’Etat, ils ont empêché tout effort de réorganisation syndicale à la base, interdisant même les badges distinctifs. Le mot « camarade » est devenu suspect pour les contremaîtres et les cadres. Il doit être prononcé à voix basse. Les « fauteurs de troubles » les plus en vue sont licenciés presque immédiatement. C’était le test des patrons pour évaluer la capacité de réaction des travailleurs. Il n’y en a pas eu.
Les accords signés et les fonctions contractuelles ont été immédiatement ignorés. Les équipes de travail, les « bons » de quinzaine et les congés annuels ont été « reprogrammés ». Les heures supplémentaires ont été ramenées à une rémunération « simple ». Les vêtements de travail sont devenus coûteux. Tous les acquis sont piétinés.
Il n’y a plus de place pour la confusion. Ce sont les premiers signes d’une défaite stratégique indéniable. La grève générale qui a fait face au coup d’État du 27 juin n’a pas pu empêcher la consolidation d’un régime « civilo-militaire » qui allait balayer toutes les libertés démocratiques pendant plus d’une décennie.
Dans les jours et les semaines qui suivent la levée de la grève, la répression s’accélère. D’innombrables « listes noires » commencent à circuler. Les chambres de commerce et le ministère de l’Intérieur y « fichent » les militants. Ils sont interdits d’emploi dans toutes les branches de l’économie. Des milliers d’entre eux sont licenciés dans le secteur privé (même sans indemnités). D’autres dans la fonction publique ont été « poursuivis », puis licenciés.
Il a fallu se reconvertir pour survivre. Et beaucoup n’ont pas trouvé d’autre solution que le travail précaire du « changa » [travail au noir], qui n’exigeait pas d’antécédents professionnels ni de casier judiciaire vierge. Ils sont passés par différents « métiers ». Ils improvisent ainsi un nouveau « savoir travailler » dans des conditions de surexploitation. Entre 1974 et 1981, les salaires ont baissé de 30%.
De « nouvelles formes de rapports de travail » s’imposent. Produits de « la baisse des salaires réels, de l’augmentation des heures de travail et de leur intensité, et de la plus grande participation des femmes au marché du travail, avec des salaires moyens inférieurs. Tout cela a conduit à une augmentation substantielle de la plus-value absolue et relative. A cela s’est ajoutée une disqualification des connaissances des travailleurs résultant de l’exil forcé du secteur le plus qualifié de la main-d’œuvre. » [2]
A la mi-1974, des milliers de travailleurs et leurs familles étaient partis pour un exil économique en Argentine, en Europe, au Canada, en Australie. Avec le désarroi dans leurs valises. Certains ne sont jamais revenus. D’autres ne sont revenus qu’en 1985, avec la « restauration démocratique ».
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La levée de la grève signifiait la « reprise du travail » dans les conditions imposées par les putschistes. C’est la preuve catégorique que les rapports de force ont basculé en défaveur des salarié·e·s et de leurs organisations.
Avec l’arrêt de la grève, l’Etat et les fractions dominantes des classes possédantes reprennent le contrôle de la « discipline sociale ». Sans qu’il soit nécessaire de revenir aux « traditions civiques », devenues obsolètes. La « vieille classe politique », usée, « inepte et corrompue », est écartée du pouvoir. Nul besoin d’artifices légalistes. Le format institutionnel du régime de domination a été radicalement bouleversé. Et pas seulement en façade. La fable de l’« Uruguay libéral » égalitaire et tolérant, célèbre pour son modèle « exemplaire » de partitocratie, a cédé la place à un ordre contre-révolutionnaire granitique. Atroce, obscurantiste.
Pionnier, notons-le, dans l’inauguration du cycle du terrorisme d’Etat dans le Cône Sud au cours des années 1970. Sans les attentats à la bombe et les fusillades de masse dès le premier jour, comme ce fut le cas lors de l’assaut fasciste qui a renversé le gouvernement populaire de Salvador Allende, mais certainement avec le même instinct criminel. [Voir sur ce site la série d’articles intitulé « Récupérer la mémoire historique » consacrée aux développements politiques au Chili fin des années 1960-début des années 1970.]
De ce côté-ci des Andes, « seulement deux morts » : Ramón Peré et Walter Medina, de jeunes étudiants abattus par la police alors qu’ils traçaient des slogans sur les murs pendant la grève générale. La tristement célèbre liste des crimes contre l’humanité, avec des milliers de prisonniers politiques et torturés, des centaines d’assassinats et de disparitions, ne sera dressée que plus tard, dans le cadre du sombre plan Condor [novembre 1975 réunion des polices secrètes des pays mentionnés, sous la présidence de Pinochet, avec l’appui des Etats-Unis], qui opère en Argentine, au Chili, au Paraguay et en Uruguay.
La machine totalitaire visait les organisations syndicales et étudiantes, le Frente Amplio et toutes les forces de gauche, la liberté de la presse, la créativité culturelle. Ce sont les principaux ennemis, des cibles stratégiques à détruire. C’est ce qu’enseignent les manuels de contre-insurrection de la « Doctrine de sécurité nationale » inspirée par Washington.
Dans ce cadre de terreur implacable, toute expression de résistance était passible d’une longue peine pour le crime de « sédition », dicté par une justice militaire qui fournissait à son tour juges, procureurs et « avocats commis d’office » (civils et militaires) qui prétendaient défendre les accusés.
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En 1964, le mouvement syndical uruguayen avait décidé d’une grève générale en cas de coup d’Etat. La mesure a été ratifiée par la CNT en 1967, peu après sa fondation [en 1964]. Elle ajouterait « avec occupation », pour concentrer les forces sur les lieux de travail et « éviter la dispersion ». La résistance se fera par des « méthodes pacifiques ».
Aucune des innombrables reportages photographiques de l’époque ne montre de policiers ou de soldats blessés ou attaqués au cours de la grève. Une preuve incontournable que la résistance n’a jamais dépassé les indications de la CNT, hégémonisée par le Parti communiste [dirigé par Rodney Arismendi].
Les propositions d’utiliser des méthodes de résistance plus combatives ont été étouffées au nom de l’« unité » du mouvement ouvrier. Les initiatives isolées d’exercice du droit légitime d’autodéfense ne s’inscrivent pas dans l’orientation stratégique de la grève. Elles ont été critiquées dans les assemblées de militants où les alternatives ont été débattues : sortir du confinement des occupations, qui permet de concentrer la répression ; porter le conflit dans la rue par des manifestations massives qui stimuleraient dans la société la perception d’une sorte de « double pouvoir » ; donner à la grève générale la perspective de renverser la dictature.
Mais ce ne fut pas le cas. Ces objectifs ne figuraient dans les objectifs ni de la CNT, ni du Frente Amplio. Ces structures ont continué à jouer tous leurs atouts sur une alliance illusoire avec les secteurs « constitutionnalistes » des Forces armées. Lesquels, d’ailleurs, s’ils existaient, n’avaient aucun pouvoir de commandement sur les troupes, ni aucune puissance de feu. Les unités militaires les plus importantes étaient résolument pro-coup d’Etat.
Dans ce contexte, le seul arsenal des grévistes consistait en leur propre conviction, l’encouragement de la population des quartiers, le soutien des étudiants et l’inévitable chant de l’hymne national au moment où les travailleurs étaient expulsés des usines occupées.
En revanche, les photographies montrent bien la fureur répressive dans des dizaines d’usines, à la raffinerie de La Teja (à Montevideo), au Frigorífico Nacional [qui contrôle l’industrie et le commerce de la viande], et dans tant d’autres lieux occupés. Des travailleurs battus, blessés, ensanglantés, gazés, menottés et frappés à terre. Obligés d’effacer avec leur langue les murs et les affiches sur lesquels on pouvait lire des slogans contre le coup d’Etat.
Des armes de guerre sont utilisées contre les tracts imprimés sur des presses artisanales. Des quartiers ouvriers sont envahis, militarisés, pour désarticuler la large solidarité populaire avec les grévistes. Un combat formidable, héroïque, inégal, durant lequel les travailleurs ont fait preuve d’une volonté constante de lutte et de sacrifice :
« Sans direction ni directives claires, ils ont résisté aux expulsions et à la répression pour réoccuper les lieux dès le départ des militaires (…) ils sont venus, comme à Alpargatas, occuper et réoccuper l’usine jusqu’à 8 fois, pour finir par poursuivre l’occupation de la Cervecerías (brasserie) lorsque l’armée s’est installée dans l’usine. » [3]
Depuis février 1973, on savait que le coup d’Etat était « imminent ». Cependant, la CNT n’a pas fait un pas dans la préparation de cet affrontement décisif. Pas d’organisation centralisée. Pas la moindre recommandation défensive. Pas de « caisse de grève ». Chaque syndicat, chaque comité de base, les grévistes dans leur ensemble, devaient répondre avec ce qu’ils avaient sous la main.
Ils l’ont fait, disciplinés par les quelques directives de la centrale syndicale. 1) Occuper et ne pas résister en cas d’expulsion ; 2) Réoccuper si les conditions le permettent ; 3) Pas d’étrangers dans le lieu occupé, à l’exception des autres travailleurs expulsés ; 4) S’appuyer sur la solidarité du quartier, en menant des activités avec les voisins, les petits commerces et les fêtes foraines.
Mais l’ampleur de la grève générale s’affaiblit lentement. Le cinquième jour, les transports urbains et suburbains, dirigés par des syndicalistes du Parti communiste, font défection. Dès lors, les grandes zones commerciales reprennent leur activité. Il en va de même à l’intérieur du pays. L’atmosphère conflictuelle des débuts s’estompe peu à peu.
Lors de réunions successives avec les dirigeants de la CNT (au cours de la grève elle-même), les commandants militaires avaient déjà rejeté les revendications qui résumaient le « programme » de la grève « pour le redressement du pays ». Pleine application des droits syndicaux et politiques ; liberté d’expression ; mesures de « réorganisation économique » telles que la nationalisation du système bancaire, du commerce extérieur et de l’industrie de transformation de la viande ; récupération du « pouvoir d’achat » des salaires et des pensions ; contrôle des prix subventionnant les produits de consommation populaires.
Pas une seule allusion à Juan María Bordaberry (Parti Colorado, président constitutionnel de mars 1972 au 27 juin 1973, puis président « de facto » du 27 juin 1973 au 12 juin 1976), le Président de la République, qui avait accepté le « co-gouvernement » avec les Forces armées en février 1973, en créant le Conseil de sécurité nationale (COSENA-Consejo de Seguridad Nacional), le véritable organe du pouvoir d’Etat depuis lors. Il ne s’agit pas non plus de sa démission et de l’exigence de convoquer de nouvelles élections, en les anticipant, sans attendre 1976.
A cet égard, la direction de la CNT a maintenu sa cohérence insensée pendant la grève. Pariant jusqu’au dernier moment sur l’illusoire « contre-coup » de l’aile « progressiste » des Forces armées.
Le lundi 9 juillet 1973, « à cinq heures » de l’après-midi, dans le centre de Montevideo, quelque 30 000 personnes ont défié les chars de l’armée et les canons à eau « guanacos » de la police avec des pierres et des cocktails Molotov improvisés. Des centaines de manifestants sont abattus, autant sont arrêtés, dont le général (r) Líber Seregni, président du Frente Amplio [depuis sa création en février 1971]. C’est le seul appel à une manifestation de masse lancé par la CNT en deux semaines. Il s’agit d’une démonstration de force tardive. Entre-temps, la grève s’était vidée de son contenu.
Il a fallu des décennies à certains des principaux dirigeants de la CNT et du Parti communiste [ici est cité Vladimir Turiansky, élu député du Frente Amplio en 1972 et membre du Parti communiste depuis 1940] de ces années-là pour démonter le « bilan » présenté par la centrale syndicale dans la résolution du 11 juillet, lorsque la grève a été levée. L’histoire a changé le tableau historique :
« (…) La grève générale s’est développée de manière très isolée de la société dans son ensemble, avec beaucoup de sympathie populaire, mais sans que les forces politiques et sociales s’y associent d’une manière ou d’une autre. Elle n’est pas devenue une grève civique, une grève nationale (…) C’était une grève de résistance, qui a résisté tant qu’elle a pu. Elle a été utile, elle a certainement été utile. Je n’ai jamais dit que nous avions gagné. Ils nous ont vaincus et massacrés, mais d’une certaine manière, la grève a isolé la dictature sur le plan social. » [4]
Bien qu’il n’y ait aucune autocritique dans ce qu’il dit sur l’accumulation de désinformation faite par la CNT et sur sa désorganisation pendant la grève, ni sur la stratégie adoptée, ce constat est plus proche de la réalité de ce qui s’est passé.
L’autre conclusion est une vieille vérité. La dictature uruguayenne est née « orpheline » d’une base sociale active en sa faveur. Une différence qui mérite d’être soulignée par rapport aux coups d’Etat du Chili (septembre 1973) et de l’Argentine (mars 1976). Mais le coût politique et économique, social et humain payé par la classe ouvrière a été très similaire. Tragique.
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Quelques mois plus tôt, le 9 février (alors que le coup d’Etat était déjà en gestation), les Forces armées avaient publié les « Communiqués 4 et 7 ». Ils sont accueillis avec enthousiasme par le Parti communiste qui – par son principal théoricien, Rodney Arismendi – propose le front uni « entre le bleu de travail, la soutane et l’uniforme ». La même position est adoptée par d’autres forces du Frente Amplio et par la direction de la CNT. Ils sont d’accord sur le diagnostic : la déclaration militaire exprime des « objectifs programmatiques communs » et l’existence d’un courant de pensée nationaliste « péruvianiste » [5] au sein de l’appareil militaire. Il fallait la soutenir. Parce qu’elle reconfirmait que le dilemme clé continuait d’être entre « l’oligarchie ou le peuple », et que les Forces armées faisaient, dans cette logique, partie du peuple et n’étaient pas simplement le bras armé de l’oligarchie.
Quelque temps plus tard, les militaires eux-mêmes reconnaîtront que les communiqués ont servi à « neutraliser » la gauche face à la perspective de l’instauration d’une dictature. Autre chose : certaines des questions économiques soulevées dans les communiqués avaient été le résultat de négociations avec les dirigeants du Movimiento de Liberación Nacional-Tupamaros-MLN (dont la plupart étaient déjà en prison) au sein du Bataillon de Floride [6].
Le 27 juin 1973, la « crise nationale » qui durait depuis longtemps prend fin. L’impasse du régime de domination est débloquée. Le Parlement, caisse de résonance de la scission des « partis traditionnels », est dissous. La « solution autoritaire » a la voie libre.
Même si sa genèse remonte à loin. Sous les gouvernements Colorado de Jorge Pacheco Areco [décembre 1967-mars 1972] et Juan María Bordaberry, la répression était à l’ordre du jour : « mesures de sécurité rapides » [7] pour écraser les grèves, militarisation des fonctionnaires, assassinats d’étudiants, torture des prisonniers politiques (pour la plupart issus de la gauche « guérilleriste »), escadrons de la mort, illégalisation des partis de gauche, fermeture des médias.
Avec la défaite stratégique de juin-juillet, le cycle de montée des luttes ouvrières et populaires, qui avait atteint son apogée dans les années 1968-1972, s’est refermé. Le processus d’« accumulation des forces » du mouvement populaire a été interrompu. Les organisations à « vocation révolutionnaire » ont été détruites.
Les débats sur le programme de « réformes structurelles », le rôle de la grève générale, les « voies d’accès au pouvoir » et l’« armement de l’avant-garde » ont disparu. La force des courants « conscients de la classe et militants » qui, dans les « années dures », disputaient des espaces d’influence à l’hégémonie « réformiste » dans le mouvement syndical n’a pas non plus été retrouvée. Les méthodes de « lutte politique par les armes » du MLN et d’autres groupes inspirés par le guévarisme avaient été vaincues bien avant le coup d’Etat.
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D’une certaine manière, le fil de la « mémoire historique » a été rompu. Même si des commémorations rituelles continuent d’évoquer, légitimement, cette « grève glorieuse ». Un demi-siècle plus tard, la classe ouvrière est très différente, et pas seulement pour des raisons générationnelles.
La « conscience de classe » a cédé la place à l’« identité nationale » dans une société où les principaux acteurs politiques, de tous les partis du système, se reconnaissent comme des « adversaires mais pas des ennemis ». Le Frente Amplio s’est recyclé dans le « camp progressiste » et a gouverné pendant 15 ans. Le « changement possible » a gardé sous clé toute idée d’horizon anticapitaliste. Désormais, la « lutte des classes » peut avoir lieu, sans antagonismes radicaux, dans le cadre d’une « coexistence démocratique » indissoluble qui respecte à la lettre le rite du « Plus jamais ça ».
Le mardi 27 juin 2023, le PIT-CNT (Plenario intersindical de trabajadores – Convención nacional de trabajadores, institué en 1984) a appelé à une « Grève générale partielle » entre 9h et 13h, et à une marche depuis la raffinerie de l’ANCAP (entreprise pétrolière publique) jusqu’au siège de la Federación del Vidrio (Fédération du Verre), lieu où en 1973 la CNT a décidé de commencer la Grève générale, dans l’emblématique quartier ouvrier de La Teja. En hommage aux combattants du coup d’Etat. Plusieurs centaines de manifestants ont répondu à l’appel.
Pendant ce temps, comme dans toutes les « grèves générales partielles » décrétées par les appareils syndicaux, l’essentiel des salariés, plus de 60%, se rend au travail. Ils ont respecté leur horaire quotidien. En d’autres termes, ils n’ont pas pris les quatre heures de congé pour se souvenir. Les syndicats des transports n’ont pas organisé l’arrêt du travail, même si, cette fois, ils ont « adhéré » à l’appel.
Quoi qu’il en soit, une grande partie des travailleurs a suivi avec attention l’intense couverture médiatique des commémorations. Beaucoup d’entre elles ont été passionnantes. Au milieu, bien sûr, de la précarité du travail et des salaires, et de la pauvreté massive imposée par les formes « modernes » de l’exploitation capitaliste. Qui ne considèrent pas comme productif le temps perdu à cultiver la mémoire de formidables expériences de luttes collectives. De plus, elles ne sont pas reproductibles.
Notes
[1] “La CNT de febrero a junio de 1973”. Documentos del PIT-CNT.
[2] La Dictadura Financiera. Livre écrit par Juan Berterretche et Aldo Gili, sous les pseudonymes de Juan Robles et Jorge Vedia. Editorial LETRO, Montevideo, 1983.
[3] 15 días que conmovieron al Uruguay. Essai écrit par Pablo Ramírez, pseudonyme de Jorge Guidobono, publié dans la Revista de América, abril-mayo de 1974, Buenos Aires.
[4] Entretien avec Vladimir Turiansky dans le livre de Alfonso Lessa, El “pecado original”. La izquierda y el golpe militar de febrero de 1973. Editorial Sudamericana, Montevideo, 2012.
[5] En référence au régime militaire présidé par le général Juan Velasco Alvarado [octobre 1968-août 1975] au Pérou, et caractérisé comme nationaliste et progressiste.
[6] Négociations menées alors que la structure militaire du MLN avait déjà été démantelée par la répression. Elles ont été suspendues par les militaires qui exigeaient une reddition politique « inconditionnelle » de la part des guérilleros.
[7] Les mesures anticipées de sécurité sont des pouvoirs d’urgence prévus par la Constitution de la République, qui permettent à l’exécutif de suspendre temporairement certaines garanties dans des cas graves et imprévus d’agression extérieure ou de troubles intérieurs.