Il est un âge où l’on regarde volontiers dans le rétroviseur. C’est ce que font en particulier les militant·e·s qui ont consacré leur vie à la révolution mais n’ont pas eu le bonheur de la vivre. Alors, parmi ceux et celles qui couchent leurs pensées sur le papier, certains brûlent ce qu’ils ont adoré, voire adorent ce qu’ils ont brûlé. D’autres, qui ne regrettent rien, avouent modestement leur frustration et disent pourquoi ils gardent fièrement levé le beau drapeau rouge de l’espérance.
Denis Horman est de ceux-là. Après quelques soixante années d’activisme politique, notre camarade pose ses pas dans ceux d’Alain Krivine. Comme lui, il dit qu’il ne regrette rien et qu’il continue le combat, car « ça » ne lui est pas « passé avec l’âge ». « Ça », c’est le refus de l’injustice, l’indignation contre l’exploitation, la révolte contre ce capitalisme « fossoyeur du bonheur », et la haine contre la « bête immonde » – toujours présente dans les entrailles du système. « Ça », c’est surtout la conviction profonde, inébranlable, que l’émancipation humaine est possible, dépend des luttes, de leur internationalisation et de leur organisation démocratique.
Denis Horman ne le cache pas : en ces temps de plus en plus sombres, alors que le néofascisme, le postfascisme et la droite extrême semblent partout devoir s’imposer, son optimisme de la volonté cède parfois le pas au pessimisme de la raison. Mais il reste dans le droit fil de Bertolt Brecht, qui disait : « Celui qui lutte n’est pas sûr de gagner, mais celui qui ne lutte pas est sûr de perdre ». Et en définitive, oui, tout dépend de cela : la lutte, l’unification des luttes, la convergence des luttes, moteur de leur politisation autour d’un projet de société alternatif.
En définitive, oui, tout dépend de cela : la lutte…
Retraçant son parcours militant dans « le tourbillon de la vie », Denis Horman évoque à la fois son activité militante d’agitateur infatigable – présent systématiquement dans les luttes ouvrières des années 70 en Wallonie – et les grands événements internationaux qui ont renforcé son engagement – depuis le coup d’État de Pinochet jusqu’à la « transition post-franquiste » en Espagne, en passant par la Révolution portugaise. Il développe ensuite quelques thématiques qui l’ont mobilisé : « l’insolence des criminels climatiques », « la criminalisation migratoire institutionnalisée, la réduction du temps de travail à laquelle il a consacré un autre ouvrage. [2]
À l’heure des bilans, les marxistes révolutionnaires ne peuvent manquer de revenir sur les grands événements du 20e siècle : la Révolution russe de 1917 et la contre-révolution bureaucratique stalinienne. Denis Horman le fait en nous disant à quel point il a été marqué par les analyses de Daniel Bensaïd et d’Olivier Besancenot.
Qui dit « révolution » dit « prise du pouvoir ». L’ouvrage se termine sur quelques réflexions ouvertes concernant le nécessaire prolongement politique des luttes, à partir des tentatives de recomposition de la gauche radicale belge francophone dans lesquelles l’auteur s’est fortement investi – Gauches Unies en 1993-95 et l’appel de la FGTB de Charleroi en 2013-2014. Des tentatives inabouties mais dont il s’agit, selon Denis Horman, de tirer toutes les leçons en perspective de l’avenir. Car nous avons besoin d’une formation politique d’un type nouveau : « ample, crédible et plurielle », « un collectif cherchant le meilleur mode de fonctionnement permettant à tout un chacun et chacune de débattre et contrôler l’ensemble des décisions ».
Par rapport à d’autres ouvrages du même genre, l’originalité la plus grande du petit livre de Denis Horman réside peut-être dans le soin que l’auteur met à décrire le milieu d’où il est issu. Gageons que c’est dans la chaude « bienveillance d’une grande famille » de modestes agriculteurs ardennais très sincèrement catholiques que Denis Horman a puisé la foi dans la possibilité de la liberté, non pas au Ciel, mais sur la Terre.
Daniel Tanuro