taz (Tobias Bachman) : Monsieur Zeller, lors de l’initiative « L’autre Davos », un événement en opposition au Forum économique mondial, vous animez un atelier. Pour résumer grossièrement, le sujet est la résolution de la crise climatique par l’abandon des énergies fossiles. Vous ne faites pas confiance au forum économique pour proposer de bonnes solutions dans ce domaine ?
Christian Zeller : Depuis sa création, le Forum économique mondial est un forum des élites dirigeantes. Elles y discutent également de leurs propres contradictions et de la manière dont elles peuvent les réduire. Mais toujours dans le but de stabiliser ou d’étendre leur domination.
Et cela n’est pas possible avec la crise climatique ?
Bien sûr, au Forum, ils veulent aussi gérer le réchauffement de la planète. Mais ils considèrent ce risque comme quelque chose qui vient de l’extérieur. Ils ne partent pas du constat que le réchauffement de la planète est le résultat de l’industrialisation capitaliste basée sur les énergies fossiles, c’est-à-dire qu’il résulte en fin de compte de la nécessité dans laquelle ils se trouvent d’accumuler du capital.
Pourquoi en êtes-vous si sûr ?
Au Forum, on voit aussi des gens qui veulent tout simplement continuer à promouvoir le modèle extractiviste. D’autres veulent un capitalisme vert en apparence, mais là aussi sans véritable sortie des énergies fossiles. Pour une approche qui aille au fond des problèmes, ce n’est pas au Forum qu’il faut s’adresser.
Le Forum économique accueille désormais aussi des critiques.
Cela relève en quelque sorte du bon ton que de débattre ainsi. Mais je ne pense pas que cela ait une quelconque incidence sur la façon dont les choses évoluent réellement.
Comment voyez-vous donc « la façon dont les choses évoluent réellement » ?
Il faut en réalité considérer qu’il y a un retour de flamme fossile. Depuis 2022, tous les grands groupes pétroliers et gaziers ont augmenté leurs investissements, y compris dans les installations extractivistes. Cela signifie que les rendements dans ce secteur fossile restent ou redeviennent plus élevés que dans le secteur des énergies renouvelables.
Comment expliquez-vous cela ?
D’un point de vue capitaliste, le secteur des énergies renouvelables présente des risques importants. Certains groupes comme Siemens Energie envisagent même une sortie de l’éolien terrestre, car il est trop incertain pour eux. Le retour en arrière fossile se fait également sentir lors de toutes les conférences sur le climat. Elles se tiennent désormais dans des dictatures et des pays qui sont de exportateurs de pétrole. Rien n’indique que les puissants aient vraiment un programme sérieux pour freiner substantiellement le réchauffement de la planète - autrement dit, pour sortir des énergies fossiles.
Et une société écosocialiste pourrait le faire ?
Nous ne pouvons évidemment pas tourner un commutateur pour passer d’une société capitaliste à une société écosocialiste qui résoudrait tous les problèmes. Cela ne se passera pas ainsi, c’est un processus. Il s’accompagnera de nombreux conflits très durs. L’un d’entre eux commence maintenant. Partons-nous du principe que nous pouvons remédier au réchauffement de la planète grâce à des dispositifs technologiques tels que le captage du carbone (captage et stockage du Co2, ndlr) ? Moi je pars du principe que de telles technologies n’apporteront pas de solution. Elles sont insuffisamment développées et les quelques ébauches qui existent ne fonctionnent qu’à des échelles extrêmement petites. Elles ne pourront jamais atteindre le volume nécessaire. De plus, ces technologies allongeront la durée du recours aux énergies fossiles, car elles consomment elles-mêmes énormément d’énergie.
Autrement dit ?
Si nous voulons électrifier l’ensemble du système énergétique, ce qui implique une décarbonisation, nous ne pourrons y parvenir que si nous réduisons globalement la consommation d’énergie. Mais cela implique aussi des discussions sur ce qui est produit. Une infrastructure utilisant des énergies renouvelables requiert beaucoup plus de matières premières que celle qui utilise des énergies fossiles. Cela signifie qu’elle n’est pas écologique en soi. Nous devons donc trouver une façon de gérer cela. Nous ne devons pas seulement réduire la consommation d’énergie, mais aussi le débit de matières. Et c’est en fin de compte une question de pouvoir.
Qui doit poser cette question ? Les syndicats ?
Sur le plan écologique, les syndicats restent, il faut bien le dire, inconscients de leurs responsabilités. Ils sont complètement intégrés au modèle de croissance capitaliste. Ils pensent que si « notre » industrie se porte bien, c’est-à-dire si les entreprises exportent beaucoup, si elles réussissent sur les marchés mondiaux, alors pour nous et pour tou.s les salariés, il en sortira un peu plus de salaire, ou peut-être des conditions de travail un peu meilleures. C’est le calcul. Ils partent de l’idée qu’une sorte de modernisation verte pourrait être réalisée. Que les voitures peuvent être peintes en vert. Que l’on peut peindre le gaz et le pétrole en vert et que les problèmes se résoudront d’une manière ou d’une autre. C’est une illusion.
Qui alors pose la question du pouvoir ?
Je n’ai pas de recette toute prête. Mais la clé pour moi est d’essayer de partir de la réalité de la vie des gens et de promouvoir toute forme d’auto-organisation. Que ce soit sur le lieu de travail, dans le quartier, dans les établissements d’enseignement. L’action collective peut avoir un impact réel. Je pense que c’est là que l’apprentissage est le plus important : il ne s’agit pas de faire appel à des forces supérieures, à des hommes politiques forts ou à des populistes. Il s’agit d’amener les gens à avoir confiance en leur propre force et en celle de l’organisation commune. Cela doit bien sûr aussi trouver une expression dans l’arène politique. Il faudra de grandes mobilisations et des grèves, pas seulement pour une augmentation des salaires, mais pour un meilleur travail et pour des productions autres.
Supposons qu’une nouvelle gauche écosocialiste voie le jour. Que devrait-elle faire concrètement ?
Une première étape importante serait la socialisation et la mise hors d’état d’exercer un pouvoir des grands groupes énergétiques extractivistes comme Shell, Exxon Mobile, RWE, E.ON, Wintershall ou OMV en Autriche, ainsi que leur démantèlement contrôlé et planifié. Toutes les industries qui leur sont liées doivent également être placées sous le contrôle de la société. L’industrie automobile ne devrait peut-être plus fabriquer que dix pour cent des automobiles qu’elle produit actuellement. Elle pourrait du coup fabriquer d’autres choses : pour les transports publics, les chemins de fer et les tramways, des minibus, des taxis à la demande. Avec un contrôle social et démocratique, nous pourrions combiner le démantèlement de l’industrie automobile avec le développement de l’industrie des transports publics, c’est-à-dire la mise en place d’une industrie de la mobilité intégrée et respectueuse de l’environnement. Tout cela ne peut évidemment pas être réalisé à l’échelle nationale, il faut pour cela une perspective écosocialiste transnationale pour l’ensemble du continent.
Christian Zeller, Tobias Bachman