Ce ne sont même pas leurs millions de votes crades qui cultivent ma colère. Ma colère n’a pas attendu les élections pour bouillonner. J’ai 28 ans dans un monde qui pue la mort.
J’ai passé ma jeunesse assis sur un cimetière d’idéaux.
Et il y a ce foutu temps qui m’court après comme un flic en chasse.
Je vois des paradis fiscaux dans l’atlas et une gueule qui accueille les premières rides dans la glace. Que les rois du vent se querellent sur des questions d’éthique, je sais quoi faire de ma vie et comment faire tourner ma musique. En résistance.
Comme un con d’vant mon ordi, dans une manif, sur scène pour soutenir le MIB, des médias indépendants com-me radio FPP, les prisonnières de Fleury, les étudiants palestiniens,
les militants de la mémoire collective, en ateliers d’écriture,
autour d’une table avec les camarades de la Sierra ou juste au fond d’un rade avec moi-même, toujours l’esprit en résistance.
On n’changera rien sans d’abord changer les mentalités. Ma mère me disait qu’on entendait déjà ce refrain dans sa jeunesse communiste mais pourtant il n’y a rien de plus simple et rien de plus vrai.
Je mettrai ma petite poésie au service de ce grand changement,
de cette révolution que je n’verrai sans doute jamais. Le système, c’est nous. À quoi aspire une grande partie des jeunes que je peux rencontrer, à faire du blé, du flouz, du gent-ar.
Et je les comprends, quand tu as vu tes pa-rents trimer toute leur vie pour très peu tu en veux beaucoup plus. Quand toute la journée JC Decaux et ses tepos t’exposent des milliers de produits à rendre épileptique ton maigre pouvoir d’achat, tu en veux beaucoup plus.
Pourtant si on veut un jour ne plus chialer inlassablement sur les inégalités c’est bien notre rapport à la consommation qu’il faudra changer. Peut-on combattre un système et l’engraisser en même temps ? On n’a pas l’choix. Faut voir.
Je n’en peux plus, je tourne en rond dans une cage de doléances. Je pourrai t’en écrire un roman : de la Palestine qu’on imagine, des vitrines qui nous hallucinent, des quartiers qui s’assassinent, de la musique qui se conditionne et de ce nouveau monde qu’aucun grand révolutionnaire ne nous dessine. De cet écran pour imbéciles, de ces villes qui rendent fou, de ces fous qui rampent seul, du seul espoir qui nous tient d’bout : l’amour.
De l’amour de l’argent, de l’argent qui crée l’argent, de l’argent qui détruit notre temps,
du temps qui part en couille, des couilles trop pleines dans des prisons plus que trop pleines, de trop longues peines.
De la peine à croire qu’on est si peu nombreux place de la Bastille un 6 mai au soir.
De la peine à voir les privilégiés fêter leur nouveau roi, l’arrogance au pouvoir.
Alors on s’est tu pendant quelque temps, non qu’ils aient entamé notre volonté, vaincu notre courage, juste que nous avions trop de haine et de pitié pour avancer intelligemment.
On s’est vite ressaisi, on s’est remis en résistance... culturelle, on n’est pas en 1940.
Avec Kalash tout d’abord l’écriture de notre deuxième album qui devrait voir le jour début 2008 sera fortement imprégnée de toute cette rage et de toutes les réflexions que ce pays,
ce monde, l’Homme nous inspirent. L’Homme, pauvre bête qu’on achète toujours ou quasi avec les mêmes lubies. La bête, d’abord on lui fait peur pour la dresser,
gare aux autres, aux étrangers, et puis on la rassure, la communauté va te protéger.
Restons entre Nous, Nous sommes les meilleurs. Qui ? C’est quoi ce Nous ?
Un tampon sur un bout de papier : nationalité française. Pauvre co.
Regarde-moi, d’un côté aristo déchu, Breton de l’Est aussi, à vrai dire je n’ai jamais été féru de généalogie. De l’autre côté, prolo de la Champagne qui embrassa le fusil, pour fuir l’usine, puis embrassa une Italienne en Tunisie merci les colonies.
Après, des soixante-huitards qui oublient tout ça, foncent sur Paris, vivent sans contraintes. Trouver du taff, rien de plus facile. Voler aussi, baiser aussi, putain d’époque apparemment. Donc ça c’est l’origine de la viande contrôlée. Et après... C’est la voix des nations et c’est la voix du sang, au suivant, au suivant.
On devient ce que l’on est et dans ce chemin l’écriture et la musique m’ont énormément apporté. C’est dur d’expliquer la passion. On court après l’frisson, le frisson d’un bon son, d’un bel échange, d’une bonne impro, d’une bonne pression.
On résistera par le frisson en restant convaincus que la culture et l’ouverture d’esprit ne sont pas des places réservées. Et que le bien-être ne se résume pas à un compte bancaire furieusement créditeur.
Notre asso Sierra Maestra existe pour tout ça, pour réfléchir et agir, pour servir.
Associer aux concerts des débats-rencontres, le prochain aura pour thématique :
« Le travail est-il une valeur ? » Et puis continuer nos ateliers et être soutien de plus en plus actif pour d’autres associations.
Pour ne pas accepter cette foutue normalité.
C’est devenu normal. Tous les jours dans ma boîte email des informations sur de nouvelles arrestations, les mêmes mots qui tournent en boucle, expulsion, centre de rétention.
C’est devenu normal un CRS dans une cour d’école.
C’est devenu normal, comme voir des gens dormir sur des cartons, des tentes pour être vus mais ça dérange les commerçants. C’est devenu normal de mourir seul, de vieillir sans contact avec ses voisins dans des villes sans Lumières.
C’est devenu normal Le Pen à la télé, la dialectique du Kärcher à l’Élysée,
les médias contrôlés, les groupes de rap engagés en cassation ou quand la liberté d’expression tombe sous ce couperet dictatorial appelé diffamation.
C’est devenu normal qu’un jeune homme sportif meurt d’une crise cardiaque dans un fourgon de police et qu’on avertisse sa famille 36 heures plus tard...
C’est devenu normal d’être con, étrange de réfléchir.