Le sujet quelque peu sensible aurait été abordé par le président maldivien et le Premier ministre indien Narendra Modi depuis Dubaï où les deux responsables politiques d’Asie du Sud participaient au COP28 World Climate Action Summit. Mohamed Muizzu et le chef de gouvernement indien auraient également discuté lors de cette interaction moyen-orientale du mode opératoire futur de la maintenance des hélicoptères et des appareils indiens en service [1] dans cette petite nation insulaire de l’océan Indien, et décidé de la création d’un groupe restreint pour l’approfondissement du partenariat (Core Group For Deepening Partnership) [2].
Lors de sa campagne électorale, Mohamed Muizzu avait articulé son discours autour d’un changement de cap radical en matière de politique étrangère. Le leader du Parti progressiste des Maldives (PPM) avait appelé à la fin de la traditionnelle « India first policy », en promettant à ses électeurs d’obtenir le départ de l’archipel des personnels militaires indiens au plus tôt.
Avant lui, un autre chef de l’État maldivien au prisme lui aussi sino-compatible notoire, Abdulla Yameen (2013-2018), avait déjà déployé quelque énergie sur le principe d’un projet « India Out ». Notons à ce propos qu’une des premières décisions actées par Muizzu dans ses nouvelles fonctions présidentielles fut d’obtenir la libération de prison de son ancien mentor politique et ex-président Abdulla Yameen, lequel purgeait une peine de 11 années de prison pour corruption et blanchiment d’argent.
LIENS ÉTROITS DEPUIS L’INDÉPENDANCE
Sans se tromper ni de sujet ni de timing, le magazine The Diplomat titrait le mois dernier : « Les relations Inde-Maldives en eaux troubles », non sans quelque raison. Mais de la situation temporairement tempétueuse d’une ancienne et dense relation bilatérale à la rupture pure et simple, il y a bien entendu fort loin.
Rappelons en quelques éléments concis l’importance, l’historique et la rationalité de la relation indo-maldivienne. New Delhi et Malé ont établi des relations diplomatiques dès leur indépendance de la couronne britannique. L’Inde avait du reste été l’un des tout premiers États à reconnaître l’indépendance des Maldives, en 1965. Depuis lors, les deux pays ont développé des rapports étroits dans les domaines stratégique, militaire, économique et culturel, notamment.
Mohamed Muizzu était encore adolescent quand en 1988, l’intervention des 1 500 parachutistes indiens des forces spéciales mettait fin à la tentative de coup d’État [3] contre le président M.A. Gayoom. Seize ans plus tard, lors du tsunami dévastateur et meurtrier de Noël 2004 ou encore lors de la crise de l’eau sévissant à Malé une décennie plus tard, en décembre 2014, l’Inde était parmi les toutes premières nations à porter assistance et expertise au voisin archipélagique maldivien. Dans cette troisième décennie du XXIe siècle, Malé et New Delhi coopèrent sur une palette extrêmement dense et variée de domaines : douanes, transport de marchandises, services maritimes, gestion des catastrophes, éducation, recherche, sport ou santé.
En 2016, les deux pays ont paraphé un plan d’action global pour consolider leur partenariat de défense. Pour rappel, le voisin indien assure environ 70 % des besoins des Maldives en matière de formation militaire. Cette coopération s’étend notamment aux exercices conjoints, aux dons de matériels, au développement des infrastructures, à la formation à l’assistance humanitaire en cas de catastrophe, recherche et sauvetage.
Mohamed Muizzu aura-t-il oublié que son voisin continental s’est investi dans la réalisation d’une noria de projets et chantiers au profit de la population maldivienne telles que la construction de l’lndira Gandhi Memorial Hospital (Malé), de l’École polytechnique des Maldives ou encore de l’École nationale de police et de droit ? Il y a tout juste cinq ans, en décembre 2018, l’Inde annonçait un programme d’assistance financière d’1,4 milliard de dollars à l’archipel. Une ligne de crédit s’étirait à 8 projets majeurs d’infrastructure : eau et assainissement sur une trentaine d’îles, réaménagement de l’aéroport international de Hanimadhoo et de l’aéroport international de Gan.
CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE ET RÉALITÉS DU POUVOIR
Plus près de nous, le septième chef de l’État maldivien « ami de la Chine » aurait-il également oublié qu’à l’été 2020, c’est encore New Delhi qui alloua à Malé un prêt de 250 millions de dollars pour aider l’archipel à traverser la tumultueuse vague pandémique de Covid-19 ? Pour information, au cours des années ayant suivi la pandémie (2020-2022), l’Inde a fourni le plus important contingent de touristes étrangers (15 % du total des arrivées) au chevet d’un secteur touristique et hôtelier maldivien particulièrement sinistré. Le nouveau président n’ignore probablement pas davantage l’importance des échanges commerciaux bilatéraux : 500 millions de dollars en 2022.
Pour nombre d’observateurs et d’analystes, la posture agressive du nouveau président maldivien militant pour une dynamique « India Out » doit avant tout se comprendre comme un exercice de campagne. La nécessité de devoir composer, une fois arrivé aux affaires, avec la réalité du terrain, de l’histoire et des dynamiques bilatérales mécaniques inhérentes au voisinage devraient en toute logique amener l’intéressé à assouplir ses demandes et à faire montre d’un peu plus de raison, de moins de passion.
Reste cependant à voir si la chose relève pour l’équipe au pouvoir à Malé du faisable, et si une autre capitale asiatique très en cours dans l’administration Muizzu n’a pas quelque intérêt à entretenir cette dynamique indo-sceptique. Une dynamique à terme nécessairement pénalisante pour les 400 000 Maldiviens, pour le développement inachevé de leur nation archipélagique, voire pour leur souveraineté.
Olivier Guillard