Le 27 octobre dernier, un couple de Moldaves en situation irrégulière en France est pris en flagrant délit alors qu’il tague au pochoir des étoiles de David sur les murs d’une habitation dans le 10e arrondissement de Paris.
Interrogé quatre jours plus tard sur cette attaque par des journalistes, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui se trouve alors dans un centre communautaire juif dans les Hauts-de-Seine, élude la question, regrettant au même moment que l’antisémitisme s’exprime « dans une forme d’islam radical et d’ultragauche ».
Le lendemain, le parquet confirme l’implication du couple moldave dans l’affaire des tags antisémites. Il indique en outre que cette attaque ainsi que d’autres opérations du même type (250 inscriptions antisémites à Paris et dans sa proche banlieue) ont été réalisées à la demande d’un commanditaire basé à l’étranger. Selon les médias français, les services de renseignement sont sur la piste d’une tentative de déstabilisation orchestrée par la Russie.
Malgré ces révélations, les musulmans continuent d’être montrés du doigt, notamment à l’extrême droite. Pour le président du Rassemblement national Jordan Bardella, par exemple, tous les actes antisémites qui se produisent en France depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre (1 518 « actes et propos antisémites » selon le ministère de l’Intérieur, un chiffre trois fois supérieur au total de l’année 2022)
« Instrumentalisation de la violence au Proche-Orient pour attiser la haine des musulmans »
Alors que les tensions sont vives en France depuis le début de cette nouvelle phase particulièrement meurtrière du conflit israélo-palestinien, avec 1 200 morts recensés en Israël et plus de 11 000 Palestiniens tués dans les bombardements sur Gaza, cet amalgame inquiète la communauté musulmane.
« On aimerait bien qu’on nous donne les noms des auteurs, qu’on nous dise s’ils sont vraiment des musulmans français, ou plutôt des racistes, des militants des mouvements identitaires ou des étrangers », réagit dans une conversation avec Middle East Eye Abdallah Zekri, membre de la direction du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président de l’Observatoire contre l’islamophobie (OCI), qui dénonce « l’instrumentalisation de la violence au Proche-Orient pour attiser la haine des musulmans ».
Dans un communiqué, le CFCM a refusé de prendre part à la marche contre l’antisémitisme et pour la libération des otages israéliens détenus par le Hamas, organisée dimanche 12 novembre, à l’appel des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Il déplore « une initiative qui n’est pas de nature à rassembler » car faisant l’impasse sur « la recrudescence des actes islamophobes en France ».
« De nombreuses mosquées et citoyens de confession musulmane ont fait l’objet de menaces directes. Sur les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux, un déferlement décomplexé de la haine des musulmans s’exprime également au quotidien dans une totale impunité »
- Abdallah Zekri, président de l’Observatoire contre l’islamophobie (OCI)
« De nombreuses mosquées et citoyens de confession musulmane ont fait l’objet de menaces directes. Sur les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux, un déferlement décomplexé de la haine des musulmans s’exprime également au quotidien dans une totale impunité », s’indigne le président de l’OCI auprès de MEE.
Sur la chaîne LCI, fin octobre, Pascal Perri, éditorialiste, a évoqué l’existence d’un « islamisme couscous », lié au « conflit historique » entre les juifs et les musulmans.
Arno Klarsfeld, juriste et magistrat franco-israélien rapporteur au Conseil d’État, invoque le même préjugé raciste sur CNEWS, en déclarant que la hausse actuelle des actes antisémites « vient essentiellement d’une partie de la population musulmane ».
Il va plus loin en affirmant que « les musulmans, beaucoup travaillent sur des chantiers, ont accès à des explosifs, peuvent avoir accès à des armes à feu ; s’il y avait un mot d’ordre pour tuer des juifs, il pourrait y avoir un attentat tous les jours ».
Ses propos sont depuis sous le coup d’une plainte auprès de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel et du numérique (ARCOM).
Recrudescences des actes islamophobes et anti-arabes
« Le caractère incitatif à la haine raciale est très clair dans les propos tenus par Arno Klarsfeld », commente maître Sefen Guez Guez, l’un des avocats impliqués dans la plainte, qui s’étonne auprès de MEE de l’absence de réaction du Conseil d’État. « On ne réagit pas de la même manière lorsque des déclarations injurieuses ciblent des musulmans », ironise l’avocat.
De son côté, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, s’inquiète de « la libération progressive » d’une « parole essentialiste, stigmatisante, raciste et haineuse contre les musulmans de France ».
Dans un communiqué publié le 2 novembre, il s’est dit alarmé par les « propos scandaleux et répréhensibles » tenus « par certaines personnalités politiques et médiatiques », dans le but selon lui « de jeter l’opprobre sur nos concitoyens musulmans et de les exclure de la communauté nationale ».
Le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), organisation basée en Belgique qui vient de lancer une pétition en ligne à l’adresse de l’ARCOM, dénonce lui aussi « le traitement médiatique réservé aux communautés musulmanes ».
En parallèle des discours, des actes islamophobes ont été rapportés depuis le 7 octobre, comme celui ayant ciblé le local d’une association culturelle franco-turque dans le Loiret, dont le mur a été tagué des mots « mort à l’islam ».
À Cannet, dans les Alpes-Maritimes, le 17 octobre dernier, un septuagénaire a fait l’objet d’une agression raciste alors qu’il se rendait à la mosquée. D’après Me Guez Guez, qui a pris l’affaire en main, le vieil homme a été frappé à coups de poing et de marteau. Selon lui, les agresseurs ont proféré des propos racistes en criant : « Sale Arabe, je vais te découper en morceaux et t’envoyer à Jérusalem ».
« On ne réagit pas de la même manière lorsque des déclarations injurieuses ciblent des musulmans »
- Maître Sefen Guez Guez, avocat
Quelques jours plus tard, Sabrina Sebaihi, députée Europe Écologie-Les Verts-NUPES, a dévoilé sur X une lettre de menaces adressée à une mosquée de Nanterre, d’où elle est originaire.
Le courrier, signé « Les amis de Charles Martel », en référence au dirigeant et chef militaire franc du VIIIe siècle célébré par les milieux d’extrême droite pour avoir arrêté l’avancée des troupes omeyades à Poitiers, prévient les musulmans que leurs écoles, leurs lieux de culte, leurs commerces et leurs cités seront brûlées s’ils s’en prennent à des symboles de la République française et de la religion chrétienne.
« C’est ignoble », a twitté la parlementaire, pour qui « l’islamophobie gagne du terrain ces dernières semaines dans le plus grand silence des responsables politiques ».
Le ministre de l’Intérieur, qui a finalement réagi à l’affaire, a annoncé l’ouverture d’une enquête. Il a également voulu rassurer les musulmans français en affirmant que l’État les protégeait de la même façon que les autres communautés religieuses. Selon Gérald Darmanin, « il y a des actes anti-musulmans supplémentaires, mais ce n’est pas à la mesure de ce que nous connaissons pour l’antisémitisme ».
Pourtant, estime Vincent Geisser, chargé d’études au CNRS et à l’Institut de recherche et d’études sur le monde arabe et musulman, les autorités, en faisant « le lien entre l’antisémitisme et l’islam des quartiers », concourent à la stigmatisation des musulmans.
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« Les lectures religieuses de l’engagement pro-palestinien des générations postcoloniales fournit un cadre d’interprétation particulièrement efficace et persuasif, reliant sur un mode anxiogène deux ‘’radicalismes’’ : l’islamisme et l’antisionisme, censés partager la même haine d’Israël », explique-t-il à MEE.
Le politologue relève aussi que « la conversion de certains milieux d’extrême droite à une position pro-israélienne » constitue, pour eux, un moyen « de régler leurs comptes avec les musulmans » et de « consolider leur idéologie anti-arabe ».
« Le Rassemblement national est le seul mouvement politique susceptible de protéger nos compatriotes de confession juive du danger mortel que représente le développement du fondamentalisme islamiste », s’est vantée la présidente du RN, Marine Le Pen, après l’attaque du Hamas.
Le 12 novembre, elle a pris part à la marche contre l’antisémitisme. Le président de Reconquête (extrême droite) Éric Zemmour, qui a également défilé, estime quant à lui que « la montée de l’antisémitisme est proportionnelle à la montée de l’immigration arabo-musulmane ».
Samia Lokmane à PARIS, France