Selon les chiffres publiés par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), environ 1,5 million de résident·es ont été déplacé·es depuis le début de la guerre, et près de la moitié d’entre elles et eux sont hébergé·es dans des installations de l’UNRWA surpeuplées, dont le nombre dépasse largement la capacité, et dans des conditions de vie intolérables. En moyenne, les installations de l’UNRWA disposent d’une toilette pour 160 personnes et d’une douche pour 700. Ces conditions exacerbent le risque d’infections et d’épidémies. Des milliers de cas de maladies infectieuses ont déjà été signalés. Dans le nord de la bande de Gaza, environ 160 000 personnes sont hébergées dans les installations de l’UNRWA, mais l’agence n’est pas en mesure de leur fournir des services, et leur état est inconnu.
Le manque d’électricité et de carburant affecte également les hôpitaux, qui dépendent désormais de générateurs dont les réserves de carburant s’épuisent. Selon l’OCHA, depuis le début de la guerre, 14 des 35 hôpitaux ont cessé de fonctionner, ainsi que 46 des 72 centres de soins primaires. Les hôpitaux restants sont dans un état d’effondrement car ils sont inondés de milliers de personnes blessées par les frappes israéliennes et sont confrontés à une grave pénurie de médicaments, notamment d’anesthésiques, d’équipements médicaux et de personnel. Les médecin·es indiquent qu’ils doivent choisir les patient·es à traiter et effectuer des opérations chirurgicales dans des conditions impossibles. Le manque d’eau, de matériel sanitaire et d’équipement médical rend impossible le maintien d’un environnement stérile, ce qui augmente le risque d’infection parmi les malades, les blessé·es et le personnel médical.
Gaza est également en proie à une pénurie alimentaire. Seule une poignée de boulangeries continuent de fonctionner, et les habitant·es attendent des heures dans les files d’attente pour le pain ou renoncent carrément à cette expérience. L’OCHA rapporte que les produits de base sont presque épuisés et que les quelques produits restants ne peuvent être livrés aux magasins en raison des grèves et du manque de carburant.
Deux semaines après le début de la guerre, sous une forte pression, Israël a accepté de laisser entrer l’aide humanitaire dans la bande de Gaza via le point de passage de Rafah. Le 21 octobre 2023, les premiers camions transportant de la nourriture, de l’eau et des fournitures médicales sont arrivés. Selon l’OCHA, jusqu’au 8 novembre 2023, 756 camions au total sont entrés dans la bande de Gaza. Il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan qui ne suffit pas à répondre aux besoins. Avant la guerre, 500 camions transportant des marchandises entraient en moyenne chaque jour dans la bande de Gaza. En outre, l’eau fournie par ces camions ne représente qu’environ 4% des besoins de consommation quotidiens de la population, sur la base d’un calcul de trois litres par personne et par jour, ce qui devrait suffire pour la boisson, la cuisine et l’hygiène. La quantité minimale d’eau recommandée par l’Organisation mondiale de la santé est de 100 litres par personne et par jour. L’OCHA rapporte que l’aide parvient à peine au nord de la bande de Gaza et qu’elle est distribuée principalement aux personnes déplacées dans le sud.
Malgré la situation désastreuse de Gaza, l’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, Gilad Erdan, a nié l’existence d’une quelconque crise humanitaire dans la bande de Gaza. Cette affirmation défie la réalité, non seulement au vu des chiffres alarmants de la situation actuelle, mais aussi parce que la bande de Gaza connaissait déjà une crise humanitaire depuis des années lorsque la guerre a éclaté – une crise entièrement créée par Israël lorsqu’il a imposé un bouclage de la bande de Gaza en 2007 après la prise de pouvoir du Hamas. L’économie de Gaza s’est rapidement effondrée : avant la guerre, environ 80% des habitant·es dépendaient des organisations d’aide pour leur subsistance. La plupart d’entre elles et eux n’avaient pas accès à l’eau potable et l’électricité n’était fournie que quelques heures par jour. Le taux de chômage est monté en flèche, atteignant environ 45% dans l’ensemble de la population et 60% chez les moins de 29 ans.
Une pause humanitaire est essentielle pour permettre l’entrée de nourriture, d’eau, de médicaments et de carburant en quantités suffisantes pour répondre aux besoins de tous les habitant·es de Gaza. Israël s’y oppose avec véhémence, affirmant qu’une pause dans les combats donnerait au Hamas une chance de se regrouper et qu’elle n’est pas justifiée tant que les otages ne sont pas restitués. Ces affirmations ne peuvent justifier les dommages indescriptibles infligés aux quelque 2,2 millions de personnes vivant dans la bande de Gaza, qui sont désormais engagées dans une lutte quotidienne pour leur survie, non seulement en raison des frappes incessantes d’Israël, mais aussi à cause de la grave pénurie de nourriture et d’eau.
L’acheminement de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza n’est pas une faveur que l’on demande à Israël d’accorder à la population civile. Il s’agit plutôt d’un devoir d’Israël en vertu du droit international humanitaire, qui stipule que les parties aux hostilités doivent permettre l’acheminement rapide de l’aide humanitaire – y compris la nourriture et les médicaments – à la population civile. C’est certainement le cas lorsque l’une des parties soumet la région à un blocus qui pourrait entraîner la famine des habitants. Selon le commentaire du CICR qui fait autorité, l’aide ne peut être refusée de manière arbitraire et, si la population civile est réellement en danger et que les agences humanitaires sont en mesure de l’aider, les parties doivent l’autoriser. Dans le passé, lorsque des parties à des hostilités ont limité l’aide humanitaire dans d’autres régions du monde, leurs actions ont été immédiatement réprimandées par d’autres nations, le Conseil de sécurité des Nations unies et le CICR.
Ces règles s’appliquent également à Israël, comme à tout pays en guerre, et ce d’autant plus qu’Israël interdit aux habitant·es de Gaza de sortir de la zone et de subvenir à leurs propres besoins. Prétendre que l’aide humanitaire aiderait le Hamas n’annule pas ces règles et ne peut justifier le refus de fournir de la nourriture, de l’eau, des médicaments et du carburant aux 2,2 millions de citoyen·nes de la bande de Gaza. Continuer à le faire équivaut à cibler délibérément et de manière disproportionnée des civil·es et, en tant que tel, est illégal.
Contrairement à l’idée défendue par les responsables politiques israéliens, toutes et tous les habitant·es de la bande de Gaza ne sont pas membres du Hamas. 2,2 millions de personnes y vivent – des êtres humains avec des visages, des noms et des familles, qui ont désespérément besoin de nourriture, d’eau, de médicaments, d’hôpitaux, d’électricité et d’abris pour pouvoir survivre. Prétendre que l’aide humanitaire ne peut être apportée au nom de la nécessité de combattre le Hamas implique l’hypothèse sous-jacente que, au moins pour l’instant, ces civil·es peuvent être ignorées et laissé·es à leur faim, à leur maladie et à leur mort. Cette attitude est aussi cruelle qu’elle est volontairement aveugle à la crise humanitaire qui se déroule sous nos yeux.
Les règles du droit humanitaire international ont été conçues précisément pour des situations comme celles-ci, et ce à quoi Israël est confronté n’est pas unique. Ces règles reflètent le point de vue moral selon lequel, même lorsque la guerre fait rage, l’obligation de protéger les civil·es subsiste. Israël affirme officiellement qu’il partage ce point de vue et déclare à plusieurs reprises qu’il respecte ces règles. Cependant, son refus d’une pause humanitaire pour permettre l’acheminement d’une aide de base aux civil·es prouve le contraire.
10 novembre 2023
B’Tselem