Peut-on célébrer l’anniversaire d’un accord de cessez-le-feu dans un pays à feu et à sang et quelques jours seulement après la mort de plus de 29 civils, dont 11 enfants, dans un bombardement aérien ?
Oui, d’après la junte militaire birmane, à en croire le The Straits Times de Singapour. L’armée s’apprêterait à célébrer le cessez-le-feu signé le 15 octobre 2015 avec huit organisations militaires défendant les groupes ethniques. Des armées avec lesquelles elle combat à nouveau aujourd’hui. Et ce quelques jours après les accusations dont elle fait l’objet au sujet de l’attaque du camp de personnes déplacées dans l’État Kachin, dans le nord du pays, près de la frontière chinoise. La junte nie toute responsabilité dans le bombardement.
Depuis le coup d’État de février 2021 lors duquel l’armée a mis un terme à une parenthèse démocratique, la violence dans le pays s’aggrave, souligne le Straits Times. Un rapport publié en juin 2023 par l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo indique que plus de 6 000 civils ont été tués au cours des vingt mois suivant la prise du pouvoir par les militaires.
Dans un tel contexte, quel sens donner à la célébration d’un accord de cessez-le-feu obsolète ?
Lors de sa signature, cet accord avait été salué comme un tournant dans l’histoire troublée du pays depuis son indépendance. Il devait mettre un terme à des décennies de combat entre l’armée, dominée par la majorité ethnique bamar, et les groupes ethniques minoritaires, soucieux d’affirmer leur place dans un pays mosaïque et exigeant une meilleure représentation politique.
Lignes de fracture
Aujourd’hui “un véritable dialogue de paix entre les principaux groupes armés en Birmanie [est] une perspective lointaine”. D’autant plus que le “paysage politique est de plus en plus fracturé”, écrit le Straits Times.
Outre les armées ethniques, ennemies de l’armée depuis l’indépendance du pays en 1948, la junte affronte désormais “les nouveaux groupes de résistance ayant émergé en réponse au coup d’État de février 2021”.
Les lignes de fracture dans le conflit sont de plus en plus floues, estime le quotidien. Si la junte laisse la porte ouverte à des pourparlers avec les groupes armés ethniques, elle rejette les Forces de défense du peuple (PDF), qui luttent contre le coup d’État, les qualifiant de terroristes. Or, l’Union nationale karen (KNU) et le Front national chin – deux des huit signataires initiaux de l’accord de cessez-le-feu – combattent activement l’armée et ont même contribué à former les PDF.
Pour Min Zaw Oo, directeur exécutif de l’Institut du Myanmar pour la paix et la sécurité, cité dans le Straits Times, “l’accord de paix national peut encore jouer un rôle important à l’avenir, car il s’agit de l’accord de paix le plus complet que la Birmanie ait jamais eu”.
De plus, élément essentiel, il est le seul accord écrit mentionnant explicitement le fédéralisme. Un fédéralisme qui a les faveurs des groupes ethniques contestant la centralisation du système politique autour des Bamars.
“Une soupape de sécurité”
Malgré les combats en cours, aucun signataire de l’accord ne l’a, d’ailleurs, officiellement désavoué, ajoute dans le Straits Times, Morgan Michaels, chercheur à l’Institut international d’études stratégiques de Londres.
“Ils le conservent comme une soupape de sécurité. Dans le pire des scénarios, si la guerre dégénérait complètement, ils disposeraient d’un processus qu’ils pourraient réintégrer et que l’armée accepterait.”
Cet accord de paix permet à la junte de signaler a minima un engagement de façade en faveur de la paix. “Il y a beaucoup de doutes sur les performances de l’armée et encore plus sur ses intentions lorsqu’elle parle de paix, mais il y a peu de doutes sur la détermination de ce régime sur le champ de bataille”, a déclaré M. Michaels.
Courrier International
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