Les nouvelles affluent [ce samedi matin 7 octobre], faisant état d’au moins 40 Israéliens tués et de centaines de blessés, ainsi que de personnes qui auraient été enlevées dans la bande de Gaza. Pendant ce temps, l’armée israélienne a déjà commencé sa propre offensive sur la bande de Gaza, placée sous blocus, avec des troupes mobilisées le long de la clôture et des frappes aériennes qui ont tué et blessé des dizaines de Palestiniens jusqu’à présent. L’effroi absolu des personnes qui voient des combattants armés dans leurs rues et leurs maisons, ou qui aperçoivent des avions de chasse et des chars d’assaut, est inimaginable. Les attaques contre les civils sont des crimes de guerre, et je suis de tout cœur avec les victimes et leurs familles.
Contrairement à ce qu’affirment de nombreux Israéliens – et alors que l’armée a manifestement été complètement prise au dépourvu par cette invasion –, il ne s’agit pas d’une attaque « unilatérale » ou « non provoquée ». L’effroi que ressentent actuellement les Israéliens, moi y compris, n’est qu’une infime partie de ce que ressentent quotidiennement les Palestiniens sous le régime militaire qui sévit depuis des décennies en Cisjordanie, ainsi que sous le siège et les assauts répétés contre Gaza [2009, juillet-août 2014, mai 2021, août 2022, mai 2023]. Les réponses que nous entendons aujourd’hui de la part de nombreux Israéliens – qui appellent à « raser Gaza », qui disent que « ce sont des sauvages, pas des personnes avec qui on peut négocier », « ils assassinent des familles entières », « il n’y a pas de possibilité de parler avec eux » – sont exactement ce que j’ai entendu d’innombrables fois les Palestiniens occupés dire à propos des Israéliens.
L’attaque de ce matin s’inscrit également dans un contexte plus récent. L’un d’entre eux est l’horizon imminent d’un accord de normalisation [1] entre l’Arabie saoudite et Israël. Depuis des années, le Premier ministre Benyamin Netanyahou soutient que la paix peut être obtenue sans parler aux Palestiniens ni faire de concessions. Les accords d’Abraham [2] ont privé les Palestiniens de l’un de leurs derniers atouts de négociation et de leurs dernières bases de soutien : la solidarité des gouvernements arabes, même si cette solidarité est depuis longtemps douteuse. La forte probabilité de perdre le plus important de ces Etats arabes [l’Arabie saoudite] pourrait bien avoir contribué à pousser le Hamas au bord du gouffre.
Les commentateurs avaient averti depuis des semaines que les récentes offensives [des colons avec soutien de l’armée israélienne] en Cisjordanie occupée conduisaient sur une voie périlleuse. Au cours de l’année écoulée, plus de Palestiniens et d’Israéliens ont été tués qu’au cours de toute autre année depuis la seconde Intifada, au début des années 2000 [de septembre 2000 à février 2005]. L’armée israélienne fait régulièrement des incursions dans les villes palestiniennes et les camps de réfugiés. Le gouvernement d’extrême droite laisse aux colons toute latitude pour installer de nouveaux avant-postes illégaux et lancer des pogroms dans les villes et villages palestiniens, les soldats escortant les colons et tuant ou estropiant des Palestiniens qui tentent de défendre leurs maisons. Pendant les grandes célébrations [Roch Hachana, Yom Kippour, Soukkot, septembre-octobre], des juifs extrémistes ont remis en question le « statu quo » autour du mont du Temple et de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, avec l’appui de dirigeants politiques qui partagent leur idéologie.
A Gaza, pendant ce temps, le siège en cours détruit continuellement la vie de plus de deux millions de Palestiniens, dont beaucoup vivent dans une extrême pauvreté, avec peu d’accès à l’eau potable et environ quatre heures d’électricité par jour. Ce siège n’a pas de fin officielle ; même un rapport du contrôleur de l’Etat d’Israël a constaté que le gouvernement n’a jamais discuté de solutions à long terme pour mettre fin au blocus, ni envisagé sérieusement d’autres options que les cycles récurrents de guerre et de mort. C’est littéralement la seule option que ce gouvernement et ses prédécesseurs proposent.
Les seules réponses que les gouvernements israéliens consécutifs ont apportées au problème des attaques palestiniennes depuis Gaza ont pris la forme de prothèses : si elles viennent du sol, nous construirons un mur ; si elles viennent par des tunnels, nous construirons une barrière souterraine ; s’ils tirent des roquettes, nous installerons des dispositifs d’interception [Dôme de fer] ; s’ils tuent certains des nôtres, nous en tuerons beaucoup plus. Et ainsi de suite.
Ces considérations n’ont pas pour but de justifier le meurtre de civils – c’est absolument inacceptable. Il s’agit plutôt de nous rappeler qu’il y a une raison à tout ce qui se passe aujourd’hui et que, comme lors de tous les cycles précédents, il n’y a pas de solution militaire au problème d’Israël à Gaza, ni à la résistance qui émerge naturellement en réponse à un apartheid à caractère violent.
Ces derniers mois, des centaines de milliers d’Israéliens ont défilé pour « la démocratie et l’égalité » dans tout le pays, et nombre d’entre eux ont même déclaré qu’ils refuseraient de faire leur service militaire en raison des tendances autoritaires de ce gouvernement. Ce que ces manifestant·e·s et ces soldats de réserve doivent comprendre – surtout aujourd’hui, alors que nombre d’entre eux ont annoncé qu’ils cesseraient leurs manifestations et participeraient à la guerre contre Gaza – c’est que les Palestiniens luttent pour ces mêmes revendications et plus encore depuis des décennies, face à un Israël qui, pour eux, est déjà, et a toujours été, complètement autoritaire.
Au moment où j’écris ces mots, je suis assis chez moi à Tel Aviv, essayant de trouver comment protéger ma famille dans une maison sans abri ni pièce sécurisée, suivant avec une panique croissante les rapports et les rumeurs d’événements horribles qui se déroulent dans les villes israéliennes proches de Gaza et qui sont attaquées. Je vois des gens, dont certains sont mes amis, appeler sur les médias sociaux à attaquer Gaza plus violemment que jamais. Certains Israéliens affirment que le moment est venu d’éradiquer complètement Gaza, appelant ainsi au génocide. Au milieu de toutes les explosions, de l’effroi et des effusions de sang, parler de solutions pacifiques leur semble être une folie.
Pourtant, je me souviens que tout ce que je ressens en ce moment, et que chaque Israélien doit partager, est l’expérience vécue par des millions de Palestiniens depuis bien trop longtemps. La seule solution, comme elle l’a toujours été, est de mettre fin à l’apartheid, à l’occupation et au blocus, et de promouvoir un avenir fondé sur la justice et l’égalité pour chacun d’entre nous. Ce n’est pas en dépit de l’horreur que nous devons changer de cap, c’est précisément à cause d’elle.
Haggai Matar