Le maître mot de la « réforme » est l’« autonomie des universités ». Dans le cadre de l’offensive idéologique (et médiatique) qui est un point nodal de la politique sarkozyenne, on nous vend l’autonomie comme le synonyme de liberté. Mais ne nous trompons pas : ce n’est pas d’autonomie pédagogique qu’il s’agit ; il n’est pas non plus question d’autonomie des équipes de recherche dans la maîtrise de leurs thématiques...
L’autonomie voulue par Sarkozy est celle de conseils d’administration (CA), ultrarestreints, dirigés par des présidents d’université dotés de pouvoirs régaliens, gérant leur « entreprise » sous le contrôle étroit de ceux qui la financeront : le ministère (qui leur attribuera un budget « global » incluant les salaires) et le patronat (par le biais de fondations). Le droit de veto accordé aux présidents pour les affectations de personnel, les commissions de recrutement entièrement nommées par le CA, la remise en cause implicite des statuts et des obligations de service, la légalisation de l’emploi précaire sont les aspects les plus révoltants de la nouvelle « gouvernance » au cœur du projet.
Mais derrière ce terme à la mode des technocrates, il y a des définitions de « politiques d’établissement », au gré des rapports de force et des contraintes budgétaires, au gré de l’environnement économique de chaque université. Cette autonomie-là vise la concurrence entre les établissements, entre les formations, entre les équipes de recherche, entre les personnels. C’est une contre-révolution libérale, qui porte en elle une destruction du service public. Si cette « réforme » était menée à bout, l’université deviendrait méconnaissable, ce qui ne signifie pas que sa situation ne doive pas être déjà considérée comme bien dégradée. Il suffit de prendre quelques exemples pour mesurer de la gravité de cette loi.
Concurrence, sélection et recherche
L’objectif est un enseignement à plusieurs vitesses, et l’arme du financement est le meilleur outil pour y arriver. Dans le projet libéral, le réseau d’universités généralistes couvrant tout le territoire disparaît. Il y aurait un petit nombre d’universités de « renom international », couvrant les trois étages des cursus LMD (licence, master, doctorat) dans des formations liées à la recherche, assurées par des enseignants chercheurs, et bien dotées. À l’autre bout, le tout-venant d’universités « de proximité », une appellation qui en dit long, s’arrêtant le plus souvent aux premiers cycles, coupées de la recherche, et disposant d’un minimum de moyens. De fait, des « collèges universitaires » secondarisés. Au milieu, quelques universités de deuxième division assureraient des masters et (peut-être) quelques doctorats...
L’enseignement supérieur est déjà sélectif, car la majorité de ses filières pratiquent une sélection à l’entrée : classes préparatoires et sections médicales conduisant à des études longues d’un côté, instituts universitaires de technologie (IUT) et sections de technicien supérieur (STS), destinés aux couches sociales plus défavorisées et délivrant un diplôme à bac +2, de l’autre. Les filières non sélectives de l’université sont celles qui disposent de l’encadrement et des moyens les plus faibles, ce qui est une des raisons de l’échec dans les premiers cycles universitaires (ouverts à tous les titulaires du bac). L’Unef a crié victoire parce qu’elle aurait obtenu, dans le second projet, la suppression de la sélection en master. Mais que se passera-t-il lorsque les universités seront autonomes, c’est-à-dire concurrentielles ? Le cadre national des diplômes ayant explosé à la faveur de la « réforme » LMD, la plupart des étudiants voudront aller dans les « bonnes » universités, délivrant les formations les mieux cotées sur le marché du travail.
Le projet de loi anticipe bien ce « désir d’excellence », puisque la notion de « capacité d’accueil » des établissements y est inscrite. Comme nous avons mauvais esprit, contrairement à l’Unef, nous pouvons prédire que ces universités n’inscriront que les meilleurs (ou désignés tels), les autres devant se rabattre sur celles de « proximité ». À condition que ces dernières offrent les cursus désirés... Sinon, il faudra changer d’orientation ! D’ailleurs, Sarkozy a bien prévenu que les enseignements seraient financés en fonction des débouchés qu’ils peuvent offrir. La plupart des universités pourront dire adieu à la sociologie, à l’histoire ou aux langues anciennes... Et demain, aux mathématiques pures, à la physique théorique ?
Pour la recherche, les mécanismes délétères ont déjà été mis en place par les gouvernements précédents : loi Innovation en 1999, création de l’Agence nationale de la recherche en 2005, qui substitue de plus en plus le financement par contrats au financement récurrent. Ce dernier laissait aux chercheurs une certaine autonomie en matière de thématiques de recherche. La logique des contrats est celle d’une soumission à des objectifs utilitaristes. Il n’est donc pas étonnant que le projet de loi ne dise presque rien de la recherche. Mais il est également clair que la carte universitaire qu’elle entend redessiner va s’articuler avec une redéfinition de la carte et des objectifs des laboratoires.
La riposte
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la riposte ne fut pas bien engagée ! Tout le monde syndical s’est d’abord précipité dans les « groupes de travail » diligentés par Valérie Pécresse. Une discussion sans objet tant que le projet n’était pas connu. Le Snasub-FSU - qui syndique les personnels - a, le premier, proposé de quitter ce simulacre de concertation et, finalement, ce sont l’ensemble des syndicats de la FSU qui ont quitté la séance du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) qui examinait le premier projet, et ce, après avoir fait voter une motion pour le rejeter.
Les autres syndicats sont restés pour amender le projet, mais ils ont tout de même majoritairement voté contre. Sarkozy a ensuite été suffisamment malin - dans tous les sens du terme - pour recevoir tout ce monde et accorder à l’Unef trois « inflexions » : retrait de la sélection explicitement prévue à l’issue de la licence pour l’entrée en master ; possibilité d’étendre jusqu’à 30 membres les CA, mais sans modifier leurs équilibres ; suppression du caractère optionnel des dispositifs qui suggéraient des universités à plusieurs vitesses (mais la concurrence subsiste bel et bien !). L’Unef a bien formulé quelques critiques et des « inquiétudes » ( !), mais elle n’appelle pas à la mobilisation. Attitude lourde de conséquence, à l’image d’un mouvement syndical pour l’essentiel tétanisé par l’élection de Sarkozy ! On entend qu’il est légitimement élu. Pour nous, la politique qu’il entend mener n’est pas légitime... Et il nous faut le crier haut et fort !
Le Snesup, après s’être calé sur l’Unef, a jugé ce projet inacceptable, a demandé son retrait, sans toutefois imprimer dans ses documents cette volonté en gros caractères. Et puis, il y eut ces « assises », le 2 juillet à la Sorbonne, où la « communauté universitaire » était conviée par l’intersyndicale et... la Conférence des présidents d’université (CPU) ! Attendre de ces présidents la condamnation d’une autonomie qu’ils appellent de leurs vœux, même si quelques-uns peuvent la vouloir différente, est bien entendu une impasse. Il n’est rien sorti de ces assises, en dépit de la demande presque générale de l’assistance qu’elle se prononce pour le retrait du projet de loi... Deux stratégies syndicales se sont confrontées !
On sait ne pas pouvoir compter sur l’opposition parlementaire : le PS s’est déjà prononcé, à mots plus ou moins couverts, pour cette autonomie. La loi va donc être adoptée cet été. L’objectif sera ensuite son abrogation. La mobilisation doit s’organiser, dès les premiers jours de la rentrée, dans les AG de personnels et d’étudiants, dans un contexte difficile, mais avec opiniâtreté ! La grève sera nécessaire... Et pas seulement une journée !
La destruction du service public d’enseignement supérieur et de recherche, orchestrée par cette loi, est un problème de société. À nous de susciter un mouvement social pour le battre !
Jean Malifaud et Jean-Luc Godet
Dans l’université-entreprise, précarité et stress à tous les étages
Pour les personnels, en fait d’autonomie, ce seront les salaires comprimés et les effectifs limités. Et, en prime, les inégalités, l’arbitraire, le clientélisme, aggravés par la mise en concurrence...
La gestion, au niveau des établissements, d’un budget global et des « ressources humaines » ne peut que conduire à l’autoréduction des effectifs en personnels. Si la loi organique pour les lois de finances (LOLF) impose de ne pas prélever sur le budget de fonctionnement pour financer les salaires, elle permet en revanche de diminuer la masse salariale. Le projet de loi en rajoute en précisant que « les montants affectés à la masse salariale sont limitatifs » et que l’établissement ne pourra dépasser le plafond d’emplois qui lui sera fixé.
Le projet de loi répond à la volonté de la Conférence des présidents d’université (CPU) de faire de ces derniers de vrais patrons d’entreprise, choisissant leur personnel, distribuant les promotions et les primes selon leur bon vouloir. Le texte prévoit un droit de veto du président d’université pour refuser l’affectation d’une personne (personnel administratif, enseignant, etc.) dans son établissement. Les présidents veulent, depuis longtemps, s’affranchir des règles mises en place dans les commissions paritaires des personnels administratifs en matière de mutation. Lorsqu’on met en avant la mobilité des personnels, il s’agit des déplacements imposés, pas des mutations souhaitées par les personnels.
En matière de primes, c’est le président qui est responsable de leur attribution et le conseil d’administration pourra « créer des dispositifs d’intéressement » ! On imagine ce que cela pourra donner avec la mise en place de fondations, etc.
Mais toutes ces mesures ne suffisent pas, ce projet de loi remet en cause explicitement le statut de fonctionnaire d’État, en permettant le recrutement de personnels contractuels de niveau A, enseignants chercheurs et Biatos (personnels d’encadrement), non plus seulement pour des fonctions saisonnières ou à durée limitée, mais aussi pour des fonctions permanentes, sur CDD ou CDI. Les personnels seront mis en concurrence, les carrières et les salaires individualisés, et les droits collectifs acquis, avec le statut de fonctionnaire, détruits. C’est donc en toute légalité que pourra être développé ce à quoi nous assistons déjà, la valse des précaires sur des contrats 10 mois ou des contrats aidés, au moindre coût pour les établissements.
Le projet de loi prévoit même des « petits boulots » pour les étudiants, notamment dans les bibliothèques universitaires, à la place de personnels fonctionnaires. En revanche, pas un mot sur les allocations d’étude, ni sur le statut de chercheur revendiqué par les doctorants afin de leur ouvrir des droits. C’est donc bien à la généralisation de la précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche que les personnels sont aujourd’hui confrontés.
Danièle Patinet