C’est évidemment vrai dans des pays comme le Mexique. Mais des mafias existent aussi en France. Autant dire que nous avons pris très au sérieux les menaces proférées depuis sa prison par le criminel Arnaud Mimran et visant Fabrice Arfi, auteur de nombreux articles et d’un livre sur une des plus vastes escroqueries des dernières décennies : celle aux quotas carbone.
« C’est la première fois qu’un journaliste de Mediapart est menacé par une figure du crime organisé, explique Edwy Plenel, directeur de la publication, qui s’alarme et s’étonne de ne pas avoir été prévenu plus tôt. C’est Fabrice lui-même qui a découvert ce projet de guet-apens contre lui. Alors que les menaces remontent à 2019, ni les juges ni la police ne nous ont alertés d’une manière ou d’une autre, formelle ou informelle, afin qu’on redouble de vigilance. »
Outre l’article relatant les faits, Edwy Plenel a donc décidé d’interpeller publiquement les autorités et de signaler les menaces au procureur de la République. « Nous sommes habitués aux polémiques, à la diffamation, à la violence verbale, et notre habitude, c’est de ne pas réagir, explique Edwy Plenel. Nous sommes dans l’espace public, nous bousculons des intérêts, des personnes, et c’est logique que cela puisse susciter de la virulence, des paroles injurieuses ou diffamatoires. Nous devons avoir de la hauteur, nous n’allons pas poursuivre en justice des éditorialistes ou des personnalités publiques. »
Cependant, les menaces évoluent et se précisent. « Depuis la dernière élection présidentielle et la libération de la parole violente d’extrême droite, nous faisons face à une multiplication des menaces de mort et de violences explicites. »
Via le réseau crypté Telegram, des individus qui savent qu’ils ne peuvent être identifiés se manifestent de plus en plus fréquemment : « Mon numéro de téléphone a été rendu public, ainsi que mon adresse. Je reçois des appels. On n’a jamais eu de secrétariat à Mediapart et quand c’est un numéro masqué, je décroche car ça peut être une source, une information. Et là, j’entends qu’on va me mettre une balle dans la tête ou qu’on va me faire la peau. Bien sûr, auparavant, il m’arrivait de recevoir des lettres anonymes de ce registre. Mais là, le fait d’entendre la voix, que ce soit sur mon téléphone personnel, que ce soit aussi explicite, cela renforce la proximité de la menace. »
Pour ce type d’intimidation, survenu quatre ou cinq fois depuis le mois de janvier, Mediapart a décidé de porter plainte au commissariat du XIearrondissement de Paris, situé non loin de nos locaux. « Pour que si un jour il y a un passage à l’acte, on puisse rechercher dans le passé. C’est important, cette traçabilité. »
Autrefois, en cas de signaux néfastes de ce type, la direction du journal recevait un appel, soit du cabinet du préfet de police de Paris, soit du ministère de l’intérieur. « Y compris sous la présidence de Nicolas Sarkozy, rapporte Edwy Plenel. Par courtoisie. Par souci du respect des libertés fondamentales. Par attention humaine et politique. Parfois pour nous demander si nous aurions besoin d’une protection. »
Sur ce point, le président de Mediapart se montre très clair : « J’ai comme philosophie de ne jamais solliciter la protection des services de l’État. Car un journaliste accompagné d’un représentant de l’État ne peut pas inspirer le même sentiment de confiance vis-à-vis des citoyens. Notre indépendance serait questionnée. Il n’empêche : le proposer était une marque d’attention et de vigilance. »
Cette semaine, fait rare, une des plaintes du journal a abouti à un procès. Un homme a écrit et réitéré des menaces contre Edwy Plenel et le journal : « Je promets de détruire Plenel et son journal de merde. Je ferai un attentat contre vous », etc.
L’homme, ayant écrit depuis une boîte mail classique, a été retrouvé par une brigade de recherche de la gendarmerie, jugé et condamné en comparution immédiate à Valenciennes à dix mois de prison avec sursis, à une obligation de soins et à payer un euro de dommages et intérêts à Mediapart. « Le major de gendarmerie a été transparent, diligent, nous a informés. Cela fait du bien. On se sent pris en compte, protégés. Derrière les journalistes, il y a des familles, des gens qui s’inquiètent, d’autres salarié·es du journal qui se sentent visé·es. C’est important les signaux qui rassurent, même quand l’enquête ne peut pas aboutir. »
Après la révélation du guet-apens projeté par Arnaud Mimran, Edwy Plenel et Fabrice Arfi ont reçu énormément de messages de soutien. Mais pas un seul d’un ministre, d’un parlementaire, d’un homme politique. Pas plus que d’un quelconque membre du ministère de la culture, censé avoir des liens privilégiés avec la presse.
Les médias ont toujours été à la merci d’illuminés. Edwy Plenel lui-même, quand il était directeur des rédactions du Monde, a connu la frayeur de sa vie quand un malade mental s’est présenté au siège du quotidien et qu’il a pris en otage avec un fusil une hôtesse d’accueil, demandant à voir au plus vite un rédacteur en chef.
Edwy Plenel est descendu. Il a vu le mot que l’homme avait laissé sur la table, à l’entrée du journal, promettant que quelqu’un allait mourir « Je lui ai demandé qui allait mourir, et il m’a répondu : “Vous, Edwy Plenel.”J’ai alors essayé d’improviser un dialogue. La raison de sa colère était que Le Monde ne parlait pas de ses livres. Je lui ai dit que je ne les avais pas eus, moi, ses livres. Qu’il fallait me les envoyer. Il m’a demandé de m’engager à en parler dans le journal et j’ai dit : “Bah oui, bien sûr, mais il faut me les envoyer.” Il a alors pris les gens à partie en disant : “Vous avez vu ? Il s’est engagé !” Il a démonté son fusil, il y avait deux grosses cartouches à l’intérieur. Je l’ai raccompagné à la sortie, et la police l’a interpellé un peu plus tard. Il a fini par se suicider dans un hôpital psychiatrique. »
Depuis, Le Monde a mis un sas avec des vitres blindées à l’entrée de son siège. Mediapart aussi a pris des précautions. « Nous sommes une société ouverte et on ne peut pas mettre un policier derrière chaque journaliste. Il y aura toujours des fous de journaux. Mais ce qui m’inquiète, c’est qu’actuellement, la violence verbale se libère, se déchaîne. Et que cela risque de générer des passages à l’acte. C’est afin de les empêcher que nous sollicitons une réaction ferme des autorités, judiciaires, policières ou politiques. »
Par Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête.
enquete mediapart.fr