Lettre ouverte à Carole Delga (Présidente de la Région Occitanie), Christophe Ramond (Président du Conseil Département du Tarn), Pascal Bugis (Maire de Castres), Clément Beaune (Ministre des Transports) et Agnès Pannier-Runacher (Ministre de la Transition Ecologique).
L’Atécopol est un collectif toulousain de plus de 200 scientifiques concerné·es par les enjeux écologiques. Il regroupe des spécialistes de nombreuses disciplines (climatologie, écologie, urbanisme, agronomie, économie, etc.), membres de tous les établissements d’enseignement supérieur de la région toulousaine. Ce collectif est une plateforme d’expertise du CNRS et il a largement contribué ces dernières années à former étudiant·es, citoyen·nes, élu·es et fonctionnaires de la région toulousaine aux enjeux écologiques, dans la plus large interdisciplinarité. Deux auteurs du GIEC en font partie.
Dans ce collectif à l’expertise reconnue, pas un·e seul·e membre n’est favorable à la construction de l’autoroute A69. Pas un. Pas une. Il s’agit d’un rejet unanime. Autrement dit, la politique d’aménagement du territoire que vous soutenez est contraire à l’avis des scientifiques toulousain·es les plus concerné·es par l’habitabilité de notre planète. Toutes et tous s’accordent sur le fait qu’il est crucial d’arrêter ces travaux au lieu de miser sur le passage en force. Il est plus que temps de mettre un terme aux pratiques d’aménagement obsolètes, vestiges d’un passé qui nous a mené·es au désastre climatique et écologique actuel.
Plusieurs instances consultatives, dont certaines regroupent des expert·es scientifiques, ont émis un avis défavorable à la construction de l’autoroute. Le Conseil National de la Protection de la Nature relève par le menu dans son avis défavorable la légèreté, voire les graves manquements du dossier justifiant l’autoroute
Nous, auteur·es de ce texte, souhaiterions par ailleurs insister sur cinq points. Le premier est que développer un projet permettant à plus de voitures individuelles de rouler plus vite sur de plus grandes distances est tout simplement, sur le principe, absurde au vu des enjeux climatiques. Il serait actuellement plus sensé de limiter fortement la vitesse sur les autoroutes existantes, et on est en droit d’espérer qu’une telle mesure sera prochainement prise par les autorités. Du point de vue de l’intérêt – par ailleurs très discutable – du temps de trajet diminué, une éventuelle limitation des vitesses sur l’autoroute ferait perdre tout bénéfice à ce nouvel aménagement. Cette projection sur le temps long et sur un futur désirable en matière de transport est complètement absente des scénarios présentés par l’entreprise concessionnaire de la construction.
Le deuxième est que voyager en voiture entre Toulouse et Castres émet pour l’instant 3 fois plus de CO2 que de le faire en TER et 8 fois plus que de le faire en autocar. Ce facteur pourrait monter à 25 si la ligne ferroviaire était électrifiée
Le troisième point est que les recherches réalisées ces quarante dernières années dans le domaine de la géographie, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire délivrent une vision du lien entre l’autoroute et le développement économique bien différente de celle des défenseurs de ce projet
Le quatrième point est que, en admettant même que cette autoroute ait un quelconque effet sur la croissance économique de Castres, nous considérons que cela ne justifie pas les pertes de terres agricoles, l’artificialisation d’espaces sauvages, les dommages sur la santé des populations induits par les centrales à enrobés, les expropriations, les dizaines de milliers de tonnes de CO2 qui seront émises au cours de la construction
Le cinquième point concerne la compensation environnementale, que les acteurs favorables au projet mettent systématiquement en avant. Des mesures de compensation permettraient en quelque sorte « d’annuler » les dommages causés par la construction de l’autoroute. Or la validité de la compensation, que l’on parle de carbone ou d’impact écologique, est largement contestée dans la littérature scientifique. Notamment, la compensation écologique repose sur une vision de la nature problématique
La mise en avant de mesures de compensation ne règle donc en rien les questions fondamentales : l’inutilité du projet, son incompatibilité avec les lois relatives à la transition énergétique et écologique, son orientation à l’opposé des nécessaires changements dont notre société a besoin, et son développement au mépris des règles démocratiques.
Plusieurs milliers de citoyen·nes ont affirmé leur opposition au projet dans le cadre de l’enquête publique ou de manifestations, notamment en avril dernier. Plusieurs personnes mettent aujourd’hui leur vie en danger, engagées dans une grève de la faim. Leur action peut sembler disproportionnée pour un projet d’aménagement du territoire. Pourtant, elle est à la hauteur des enjeux, et nous saluons leur courage. En effet, s’il est impossible de stopper un projet délétère, socialement injuste et peu légitime dans une démocratie pilotée par des hommes et femmes que nous espérons de conviction humaniste et conscientes des enjeux environnementaux et de leurs impacts sociaux, quel espoir peut-on encore avoir pour relever les défis autrement plus importants qui nous attendent ?
Après l’été que vient de vivre notre planète, après les catastrophes endurées par les habitant·es de nombreux territoires, alors que Toulouse a battu son précédent record de chaleur de pratiquement 2°C, et tandis que la France continue d’affirmer son souhait de respecter ses engagements climatiques internationaux, nous nous demandons sincèrement ce qui peut justifier de continuer un tel projet contre l’avis des scientifiques et des citoyen·nes. D’autres responsables politiques ont eu la sagesse et la lucidité de renoncer à la construction de grandes infrastructures de transport, comme à Notre-Dame-des-Landes. En tant que scientifiques, nous considérons que changer d’avis face aux faits est une qualité intellectuelle précieuse et que vous sortirez grandi·es en revenant sur votre position.
La mobilisation citoyenne, organisée dans plusieurs collectifs, a fait émerger des projets d’aménagement alternatifs enthousiasmants et à la hauteur de la bifurcation nécessaire pour nos sociétés face à l’urgence écologique : véloroutes, agro-écologie, haies bocagères, ressourceries, productions alimentaires locales, arrêts de train supplémentaires
Atelier d’Ecologie Politique de Toulouse (Atécopol)
Ce texte est issu des réflexions collectives de l’Atécopol. Il a été rédigé par Geneviève Azam, Marianne Blanchard, Guillaume Carbou, Julian Carrey, Florian Debras, Jean-Louis Hemptinne, Gabriel Hes, Jean-Michel Hupé, Sylvain Kuppel, Olivier Lefebvre, Odin Marc, Valentin Maron, Soizic Rochange, Sébastien Rozeaux, Laure Teulières et Laure Vieu, avec le soutien des membres de l’Atécopol listé.es en fin d’article.
Membres de l’Atécopol soutenant cet article :
Camille Besombes, médecin épidémiologiste
Gabriel Hes, doctorant climat et écologie forestière
Hubert Caquineau, Enseignant-Chercheur
Jean-Philippe Decka, Doctorant en sciences de gestion
Eric Rémy, Enseignant-chercheur en sciences de gestion
Gaël Plumecocq, Chargé de recherche en science économique
Alexandre Gondran, enseignant-chercheur en informatique
Adeline Grand-Clément, Enseignante-chercheuse (histoire)
Julien Gros, Chargé de recherche (sociologie)
Corinne Eychenne, enseignante-chercheuse (géographie)
Florian Debras, Chargé de recherche en astrophysique
Didier Poilblanc, directeur de recherche en physique théorique
Laurence Huc, chercheuse
Régis Missire, enseignant-chercheur en sciences du langage
Barbara Köpke, enseignante-chercheur en sciences du langage
Marieke Van Lichtervelde, chercheuse IRD, Géosciences
Marco Faggian, chercheur CNRS, Physique Théorique
Jean-Marc Pierson, enseignant-chercheur en informatique
Gaël Ginot, post-doctorant, physicien
Garance Castino, doctorante en physiologie du vieillissement
Paul Castagné, doctorant en écologie
Julien Milanesi, enseignant chercheur en économie
Claire Couly, docteure ethnobiologiste
Emmanuel Discamps, chercheur CNRS (archéologie)
Laurence Maurice (chercheuse IRD, géochimie environnementale)
Floriane Clément, chargée de recherche en géographie humaine
Romain Guilbaud, chercheur CNRS Géosciences
Charlène Arnaud, enseignante-chercheure en sciences de gestion