Dès le moment où Israël a lancé son agression militaire contre le camp de réfugiés de Jénine le 3 juillet, des milliers de Palestiniens qui s’y trouvaient ont été privés de leurs besoins les plus élémentaires. L’assaut de deux jours a de fait placé le camp sous blocus, l’approvisionnement en eau, en électricité et en nourriture étant paralysé. Quelques heures après le début de l’assaut, l’armée a ordonné à des milliers d’habitants du camp de quitter leur maison avec les seuls vêtements qu’ils portaient, rappelant les images poignantes des expulsions de la Nakba en 1948.
Solidarité et entraide
Mais à côté des scènes horribles de destruction et de déplacement forcé, des histoires inspirantes de solidarité et d’entraide palestiniennes se sont également produites durant ces journées.
Tout a commencé dès la première nuit de l’invasion israélienne. Lorsque les militaires ont ordonné aux résidents du camp de partir, ou menacé de les expulser — obligeant environ 5 000 personnes à fuir dans la détresse et sans leurs biens — les familles à l’extérieur du camp ont rapidement invité les réfugiés à venir chez elles. Dès le deuxième jour de l’invasion, les Palestiniens du district de Jénine ont proposé d’autres logements et ont fait des dons massifs de nourriture, d’eau, de lait, de couches pour bébés, de vêtements, d’équipements de santé et d’autres produits.
L’afflux d’aide n’est pas venu uniquement de Jénine. Des mouvements de jeunesse, de Naplouse à Hébron, ainsi que des Palestiniens vivant à l’intérieur d’Israël, ont lancé des campagnes publiques pour collecter des fournitures par l’intermédiaire de points de collecte improvisés dans leurs villes et des dons d’argent en ligne. Certains ont apporté des bouteilles d’eau, de la nourriture et d’autres produits nécessaires aux familles déplacées, tandis que d’autres ont rejoint l’équipe de plus en plus nombreuse de la municipalité de Jénine chargée de déblayer les décombres et de nettoyer le camp après l’assaut.
Ce soutien massif s’est avéré vital tant sur le plan moral que matériel. En deux jours, l’armée israélienne a tué 12 Palestiniens et en a blessé plus de 250, tout en causant des dommages intolérables aux résidences et aux infrastructures publiques. Selon la municipalité de Jénine, le camp, qui compte un millier de propriétés, a subi d’énormes dommages sur les réseaux d’eau et d’électricité, et 80% des maisons ont été partiellement ou totalement détruites.
« Il y a eu beaucoup d’efforts, variés, petits et grands », explique Mustafa Shata, le directeur du Théâtre de la liberté. « Le Premier ministre [de l’Autorité palestinienne], Mohammad Shtayyeh, a formé un comité pour la reconstruction, comprenant le comité populaire pour les services du camp de Jénine et plusieurs personnes du district et de la municipalité de Jénine. Mais globalement la plupart des Palestiniens apportent un soutien et une aide directs », ajoute-t-il. « Ils viennent dans le camp et interagissent directement avec les résidents. »
Le comité populaire de la ville a organisé une collecte de sang dans toutes les villes palestiniennes de Cisjordanie, annonçant sur sa page Facebook que « les hôpitaux de Jénine ont besoin de sang, quel qu’il soit, en raison du grand nombre de blessés dans le camp de Jénine ». Le comité, entre autres, a également annoncé des lieux d’hébergement temporaire pour les personnes déplacées du camp, y compris des hôtels et des clubs locaux qui sont intervenus pour héberger des personnes.
Solidarité nationale
Des militants et des journalistes ont également organisé des campagnes de collecte d’aide dans plusieurs villes de Cisjordanie. Bakir Abd Alhaq, l’un des coordinateurs d’une campagne à Naplouse, explique que leur initiative « a démarré spontanément le matin suivant le début de l’assaut israélien » par l’intermédiaire d’un groupe WhatsApp.
« Lorsque nous avons vu les scènes de déplacement [des habitants du camp], c’était atroce et cruel, et la situation humanitaire difficile a immédiatement suivi l’invasion israélienne », déclare-t-il. « Nous avons senti que nous devions faire quelque chose, alors nous avons lancé notre campagne sur différents groupes et sur les radios locales. Nous avons désigné un centre culturel du centre-ville pour déposer les dons, et la réponse a été massive de la part des habitants du district de Naplouse. Nous avons commencé à 5 heures du matin et, à 9 heures, nous avions plus d’une tonne et demie de pain. »
« Les dons ont dépassé nos attentes et nous avons continué à en recevoir jusque tard dans la nuit », poursuit-il. « Une soixantaine de camions et de voitures ont participé au transport des denrées alimentaires et de l’eau jusqu’à Jénine. Nous les avons livrés à cinq endroits différents, dont l’hôpital gouvernemental de Jénine ».
La campagne de Naplouse a également permis de livrer de la viande à l’hôpital de Jénine, qui souffrait d’une pénurie alimentaire, afin de préparer des repas pour les patients. L’hôpital manquait également de matériel médical, que la campagne a immédiatement fourni.
Les gens ont tout offert, explique Abd Alhaq, en conduisant leurs voitures à Jénine, pleines de fournitures, et les entreprises et marchés locaux ont également fait des dons. La semaine suivante, la campagne avait prévu d’envoyer 200 jeunes de la région de Naplouse pour participer aux efforts de nettoyage et de déblaiement des décombres à l’intérieur du camp de Jénine.
Les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel dans la diffusion de l’information en Palestine sur la manière dont les gens pouvaient apporter leur aide. Ce qui a commencé par une solidarité de bouche à oreille entre les habitants de Jénine s’est rapidement amplifié sur internet, permettant à des milliers de personnes, proches ou éloignées, de donner de l’argent et des fournitures. Sur Facebook, dès le premier jour de l’assaut, des boulangeries et des magasins palestiniens ont annoncé qu’ils faisaient don de pain, de produits d’épicerie, d’eau et d’autres marchandises. Des restaurants ont également déclaré qu’ils fourniraient des repas aux personnes déplacées, et des mosquées et des églises ont ouvert leurs portes pour que les gens puissent dormir à l’intérieur.
Des dizaines de propriétaires de maisons situées à l’extérieur du camp ont également utilisé les réseaux sociaux pour faire savoir qu’ils étaient prêts à accueillir des personnes dans leurs propres maisons avec leurs familles, ou ont ouvertement signalé leurs propriétés et leurs emplacements, et ont invité les gens à les contacter pour organiser leur emménagement.
À Zababdeh, une petite ville près de Jénine, un certain nombre de bénévoles de l’église Notre-Dame de la Visitation ont préparé des installations pour accueillir les personnes déplacées du camp de Jénine, en leur fournissant un lieu d’hébergement, de la nourriture et des boissons. De nombreuses mosquées ont fait de même. D’autres habitants de la ville ont également offert leur aide en fournissant du matériel et de la nourriture.
« Tout le monde veut aider notre peuple »
Un soutien a également été apporté aux combattants palestiniens du camp, qui ont été largement salués comme des défenseurs face à l’armée israélienne d’invasion. Une photo d’une lettre a circulé sur Internet, montrant un bout de papier écrit par un habitant du camp de Jénine qui a été forcé de quitter sa maison, mais qui y a laissé son argent et ses biens pour soutenir les combattants de la résistance s’ils en avaient besoin.
« La nourriture et les provisions sont dans la maison et dans le réfrigérateur », avait écrit le résident. « Une porte arrière s’ouvre sur la cour de notre voisin si vous devez vous échapper. La maison est faite pour vous, en entier. Puissiez-vous rester en bonne santé. Il y a 700 shekels dans le congélateur, si vous avez besoin d’argent. Que Dieu vous protège ».
Un groupe d’anciens et d’actuels étudiants de différentes universités de Jénine, qui ont vu l’attaque du camp alors qu’ils se trouvaient chez un ami à Qabatiya, une ville voisine, ont également estimé qu’ils devaient faire quelque chose, a expliqué Youssef Kamil, militant et ancien étudiant : « Lorsque nous avons vu les vidéos de nos concitoyens de Jénine forcés de quitter leurs maisons pour se retrouver dans la rue, nous avons pensé qu’il était inacceptable qu’ils se sentent seuls ou qu’ils aient besoin de quoi que ce soit. Nous avons décidé d’agir rapidement ».
Le groupe de jeunes militants et d’étudiants a commencé par repérer les dortoirs et les appartements d’étudiants vides autour de l’université américaine de Jénine, dans la ville d’Al-Zababdeh. Ils se sont ensuite mis à collecter les fournitures nécessaires, notamment de la nourriture et de l’eau, puis ont publié des messages sur les réseaux sociaux et contacté des amis dans différentes universités, formant ainsi une équipe plus importante.
« Nous avons commencé à recevoir de nombreux appels d’étudiants et de propriétaires d’appartements », explique M. Kamil. « Nous avons senti que tout le monde voulait aider notre peuple et nous avons donc eu le sentiment de pouvoir contribuer, même avec une petite fraction de ce que [les réfugiés de Jénine] ont sacrifié ».
« La dignité dont j’ai été témoin dans ce camp est incroyable »
Après avoir trouvé une compagnie de bus prête à les aider, les étudiants ont coordonné le transport des familles vers les logements. Ils ont ouvert un petit espace de stockage dans l’un des dortoirs et ont chargé le chef adjoint du conseil des étudiants, originaire d’Hébron, de collecter les dons. Ce ne sont pas seulement les étudiants et leurs amis qui sont venus, mais aussi des habitants des villes voisines, d’Hébron à Ramallah, de Jérusalem à Jéricho.
Le groupe a également préparé une base de données des familles qui ont besoin d’aide et reste en contact avec elles. « Nous essayons d’estimer ce dont elles ont besoin et la quantité dont elles ont besoin », explique M. Kamil. « Ils refusent de demander de l’aide parce qu’ils ne veulent pas nous accabler, ils veulent se débrouiller seuls. La dignité dont j’ai été témoin dans ce camp est incroyable. »
La solidarité sociale en temps d’attaques israéliennes est une pratique palestinienne courante — une démonstration de la force, de la créativité et de l’hospitalité de la population, qui fournit gratuitement de l’aide et un abri. En temps de guerre, toutes les maisons sont considérées comme des abris pour les personnes déplacées.
Cette coutume d’assistance est profondément ancrée dans l’histoire et la tradition palestiniennes, y compris au moment de la Nakba en 1948, lorsque les forces sionistes ont pris d’assaut les villes et les villages, tuant et déplaçant des milliers de familles. Cette pratique a également été observée en masse pendant le régime militaire contre les citoyens palestiniens à l’intérieur d’Israël, et après la Nakba de 1967, lorsqu’Israël a occupé la bande de Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
Ces actes de solidarité remarquables ont également été observés au cours de la première et de la deuxième Intifada. Le camp de réfugiés de Jénine lui-même a bénéficié d’un soutien massif et d’une grande empathie après le massacre israélien de 2002, lorsque l’armée a fait irruption dans la ville dans le cadre de l’opération « Bouclier défensif ». Si la violence de l’occupation a perduré deux décennies plus tard, la résilience des Palestiniens, elle, est restée intacte.
Vera Sajrawi