Alors qu’il arpentait l’immense réserve naturelle des Sources des trois rivières (ou parc national de Sanjiangyuan en mandarin), dans la province du Qinghai, dans l’ouest de la Chine, Chang Le découvrait un dixième cadavre de rapace, au pied d’un poteau électrique. Le jeune étudiant en anthropologie n’avait alors plus guère de doute sur la cause de leur mort.
Samedi 24 juin, le jeune homme s’est fendu d’un article sur le blog WeChat de militants environnementaux Qingkuang Youdian Fuza (littéralement “la situation est un peu compliquée”) : “Le parc national de Sanjiangyuan se transforme en cimetière avec la mort non naturelle de 53 animaux protégés par l’État.”
Chang Le a été recruté pour “compter les oiseaux” par Jianguo Xiongdi (“frère des noyaux durs”), un collectif d’artistes engagé pour la défense de l’environnement.
Du 24 mai au 21 juin, il a retrouvé les corps de 55 oiseaux, dont 53 rapaces : buses de Chine, pygargues à queue blanche, aigles des steppes ou encore faucons sacres. Il a trouvé deux points communs à l’ensemble de ces spécimens : tous figurent sur la liste de la faune sauvage protégée établie par les autorités chinoises. Et toutes les dépouilles ont été retrouvées à proximité de poteaux électriques ou d’antennes relais.
“Marques de brûlures”
Dans son article de blog, Chang Le publie des informations détaillées sur ces 53 rapaces, précisant la date de leur découverte, le lieu, l’espèce. Dans la case “cause de décès”, il inscrit systématiquement “fuite électrique”.
La région de Sanjiangyuan, située au cœur du plateau tibétain, est une zone de haute altitude (4 200 mètres en moyenne) et une importante réserve de biodiversité. La région est classée par le Fonds mondial pour la nature (WWF) comme l’une des 25 zones prioritaires pour la conservation de la biodiversité à travers le monde.
Interrogé par le média du Sichuan Hongxing Xinwen, Chang Le précise qu’“aucun cadavre de rapaces n’a été retrouvé dans la zone […] où il n’y a pas de réseau électrique ou d’antennes relais”. Il remarque par ailleurs que “certaines carcasses présentent des marques de brûlures évidentes” et décrit des pattes ou des queues séparées du reste du corps.
Un “logement” sur un pylône électrique
En 2019, le quotidien scientifique officiel Keji Ribao avait fait état du problème posé par les “électrocutions d’oiseaux” en lien avec la construction du réseau électrique dans cette région.
Il soulignait alors que “les rapaces sont les principaux prédateurs de l’écosystème du Sanjiangyuan, et jouent un rôle important dans le maintien de l’écosystème”. Mais il se félicitait de la “résolution de ce problème mondial” en rapportant l’installation de nids artificiels.
En décembre 2022, l’agence de presse chinoise Zhongxin She affirmait que plus de 5 000 nids d’oiseaux avaient été installés depuis 2016 dans la réserve naturelle des Sources des trois rivières. Cette mesure tenait compte de l’habitude des oiseaux consistant à “choisir l’endroit le plus élevé pour observer” et devait leur fournir un “logement” sur les pylônes électriques.
Mais pour les défenseurs chinois de l’environnement comme Chang Le, ces nids sont justement la cause de la mort des rapaces. Selon eux, leur construction provoque un comportement dangereux : “Les animaux estiment que […] la commodité du nid artificiel sur les pylônes vaut la peine de risquer leur vie.”
Sur WeChat, Song Dashao, chef de projet au sein d’une ONG de protection des animaux, explique que les rapaces retrouvés morts sont des oiseaux de grande taille. “Une fois leurs ailes déployées, il est facile pour eux de heurter des fils électriques […] et d’être électrocuté.”
Interrogés par la sécurité publique de la forêt de la province de Qinghai, Chang Le et son équipe ne comptent pas reculer. En multipliant la publication d’articles sur ce sujet, ils veulent que le gouvernement chinois fasse en sorte que “les oiseaux puissent vivre sereinement dans la prairie”.
Zhang Zhulin
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