Québec solidaire a un certain nombre d’acquis sur la question nationale. Mais depuis l’adoption de sa position sur cette question, des bouleversements importants se sont produits sur la scène internationale et au Québec qui ont transformé radicalement la situation. Les conditions de la lutte pour l’indépendance doivent être de nouveau explicitées et la démarche de souveraineté populaire reconsidérée. Ce texte cherche à amorcer une réflexion face à ces problématiques. Il s’inscrit dans la démarche des débats que nous pensons devoir mener à l’intérieur de Québec solidaire.
1. Retour sur l’histoire nationale au Québec et au Canada
A. Qu’est-ce qu’une nation ?
« Une nation est une construction sociopolitique, un bloc social, c’est-à-dire un système d’alliances entre différentes classes, fractions, couches sociales, généralement sous hégémonie bourgeoise ; alliances nouées autour du projet de conquérir, de maintenir ou de renforcer des avantages relatifs au sein de l’espace mondial de l’accumulation du capital ou si l’on préfère, au sein de la division internationale du travail, sur la base d’un développement plus ou moins autonome du capital mondial ; alliances précisément structurées par l’appareil d’État et prenant appui sur lui. » … Si la nation se construit, n’est construite que dans et par l’érection de l’État, il existe à la fois des États sans nation (exemple type : les États précapitalistes) et des nations sans État propre, soit qu’elle se trouvent englobées dans une structure politique étrangère de type impérial (cas des peuples colonisés ou assujettis) ou de type fédéral (cas des nations serbe, croate, slovène avant l’éclatement de l’État yougoslave), soit qu’elles se trouvent dispersées entre plusieurs États (cas des nations basque ou kurde encore aujourd’hui.) [1] « La nation est l’ensemble des êtres humains liés par la communauté de destin en communauté de caractère… À aucun moment l’histoire d’une nation n’est achevée. Le sort, en se transformant, soumet ce caractère, qui n’est évidemment rien d’autre qu’une condensation du destin passé, à des changements continuels… Par là le caractère national perd aussi son prétendu caractère substantiel, c’est-à-dire l’illusion que c’est lui l’élément durable dans la fuite des événements… Placé au milieu du flux universel, il n’est plus un être persistant, mais un devenir et une disparition continuels. » [2]2 C’est à partir de cette double perspective que va être abordée la question nationale au Québec et dans l’État canadien.
B. De la nation canadienne-française à la nation québécoise
La première nation canadienne (les habitants des rives du fleuve St-Laurent se nommaient Canadiens) a connu une fin tragique. Ce fut la défaite de la révolte des Patriotes en 1838. Cette révolte a été le moment culminant d’un vaste mouvement démocratique où la perspective de l’indépendance comme concrétisation de ces luttes trouvait à s’exprimer. La défaite sous la répression, puis la capitulation de la majorité des élites aux autorités canadiennes-anglaises, leur intégration dans les institutions de l’Union puis de la fédération, l’entrée dans une époque de survivance ont bel et bien installé une impuissance politique pour plus d’un siècle dans laquelle était engoncée la nation qui se décrivait désormais comme canadienne-française.
La nation canadienne-française, dirigée par des élites intégrées dans l’État canadien oppresseur et des élites plus nationalistes défendant un discours autonomiste et libéral, se caractérisa d’abord dans sa volonté de survivance par un retour à la terre pour se protéger contre le développement de l’économie capitaliste, fit de l’agriculturisme, de l’antiétatisme et de sa mission évangélisatrice les axes de son identité. [3] Cette collaboration avec la bourgeoisie canadienne fonda une impuissance qui déboucha sur l’effondrement de la nation canadienne-française suite à une accumulation de défaites : une fédération fondée contre toute volonté populaire, l’assimilation rapide des Canadiens français de l’Ouest canadien qui voient imposer la fermeture des écoles françaises, la conscription forcée en 1917, nouvelle conscription forcée durant la Deuxième Guerre mondiale... Cette nation canadienne-française (bloc de classe dirigé par la moyenne bourgeoisie francophone s’appuyant sur la paysannerie, soudé par une alliance avec les cadres de l’Église catholique ) dont le foyer principal était le Québec, mais dont le territoire était le Canada va disparaître et laisser des minorités francophones dans différentes provinces du Canada comme des lambeaux de la nation d’hier.
Au Québec, l’industrialisation capitaliste et l’urbanisation rapide qui vont s’accélérer avec la Deuxième Guerre mondiale, vont créer une nouvelle société, une société dont la majorité est formée de travailleurs et de travailleuses. La part de la population paysanne va être réduite à la portion congrue. La petite bourgeoisie traditionnelle devient une fraction minoritaire alors que de nouvelles couches techniciennes occupent une place de plus en plus importante parmi les couches moyennes. De nouveaux secteurs d’une bourgeoisie québécoise liée au développement d’entreprises de l’État québécois vont prendre une place plus importante dans la société. Le territoire de cette nouvelle nation sera désormais non pas l’État canadien, mais le territoire du Québec. La Révolution tranquille va effectuer un renouvellement des structures étatiques, une rupture avec un libéralisme économique qui plaçait le Québec en retard, par rapport à la politique keynésienne qui s’était imposée au niveau du gouvernement fédéral. Cette révolution tranquille met fin à la définition de la nation majoritaire au Québec comme Canadienne française. Elle se définira désormais de plus en plus comme québécoise.
2. La société québécoise, une société scindée sur une base nationale
La nation québécoise était caractérisée par une structure de classe spécifique, des aspirations nouvelles, par sa sécularisation (l’affaiblissement de l’influence de l’Église catholique) et la nouvelle place faite aux femmes dans cette nation.
La société québécoise est donc d’emblée une ‘société scindée au niveau de la perspective de son destin national entre un bloc fédéraliste et un bloc souverainiste. La société québécoise est composée d’un bloc social multiclassiste fédéraliste (nation canadienne) dirigé par des élites partie prenante de la gestion de l’État canadien, la communauté anglophone et un secteur de la population francophone attaché à l’appartenance à l’État canadien et d’un bloc social alliant la classe des cadres et experts, la majorité de la classe laborieuse organisée et qui aspire comme destin à faire du Québec un État indépendant. La société québécoise comprend également les nations autochtones soumises à un véritable joug colonial tant par le gouvernement fédéral que par le gouvernement du Québec. Ce sont les couches sociales des experts de la culture (enseignant-e-s, étudiant-e-s, artistes) qui furent les premiers porteurs du mouvement indépendantiste.
S’il y avait une sortie possible vers l’indépendance, le secteur nationaliste des nouvelles élites bourgeoises et cadristes, va rapidement asseoir leur direction sur le mouvement indépendantiste, le dévoyer et l’engoncer dans le confédérationnisme, puis dans le provincialisme... La possibilité d’une définition de la nation sous hégémonie de la classe laborieuse aurait pu ouvrir une autre perspective, mais la classe laborieuse du Québec ne parvint pas à s’organiser sur une base politique autonome et à reprendre sur de nouvelles bases le combat indépendantiste.
Tassant les partis indépendantistes issus des couches petites-bourgeoises radicalisées, les secteurs nationalistes de la bourgeoisie d’État et des cadres remplaceront l’indépendance par la souveraineté-association comme perspective stratégique du mouvement nationalitaire québécois. Ce fut le rôle essentiel du Parti québécois. La stratégie référendaire divisant l’accession au pouvoir provincial de la démarche souverainiste offrit une légitimité à ce qui devait s’avérer un détournement de la perspective indépendantiste. Le maintien de l’association avec la bourgeoisie canadienne et ses institutions était maintenant réclamé par la direction du mouvement souverainiste-association lui-même.
Durant toute la période où la gestion keynésienne dominait les politiques économiques de la bourgeoisie et où la construction de l’État social était à l’ordre du jour, le renforcement de l’État québécois pouvait apparaître comme la concrétisation de l’affirmation nationale et laisser espérer le transfert des pouvoirs comme l’aboutissement possible d’une politique de la souveraineté-association.
Mais avec le recul de la concentration des richesses vers la fin des années 70 et la chute des taux de profits, l’heure de la fin du keynésianisme avait sonné. Les années 80 furent marquées par la contre-offensive néolibérale : contrôle des salaires, blocage des ouvertures à la syndicalisation, chute des taux de progression des investissements publics et privatisation rampante des services publics, ouverture au libre-échange...
Après avoir embarqué dans l’aventure des négociations constitutionnelles et de la réforme du fédéralisme canadien, après avoir attaqué ses bases sociales par des politiques de coupure des salaires dans les services publics, après avoir joué le jeu qui aurait permis la réintégration du Québec dans le cadre de la fédération canadienne, après l’échec de 1982, le gouvernement péquiste est chassé du pouvoir en 1985 par le bloc social fédéraliste qui voulut se donner comme tâche d’en finir avec le modèle québécois caractérisé par une intervention de l’État dans l’économie dans la perspective du développement du Québec Inc. En 1994, le retour au pouvoir du PQ donna l’occasion d’expérimenter, une nouvelle fois, la stratégie référendaire basée sur la défense de la souveraineté-partenariat et sur des stratégies de communication alors que la majorité populaire ne se voyait pas confier un rôle important dans le processus référendaire lui-même. D’autant, que le PQ s’était fait le héraut du libre-échange et des politiques néolibérales. Le fédéral profita de sa victoire pour délégitimer la tenue d’un autre référendum en adoptant la loi sur la clarté, qui donnait au parlement canadien la possibilité de définir la nature d’un référendum qui pourrait déboucher sur d’éventuelles négociations (référendum sur l’indépendance, restant ouvert la possibilité d’exiger d’un taux d’acceptation supérieur à 50%+1).
Après la défaite au référendum de 1995, les leaders nationalistes de la classe des cadres qui dirigeaient de fait le PQ se sont éloignés définitivement de tout projet confédérationniste, jusqu’à rompre pour beaucoup avec le soutien au PQ et à la souveraineté-association. Des secteurs nationalistes de la petite bourgeoisie sont revenus à une version québécoise de l’autonomisme national sous l’étiquette trompeuse de gouvernance souverainiste.
L’échec non seulement provoqua une grande démobilisation, mais le PQ sous la direction de Bouchard, puis de Landry fit de la défense de politiques néolibérales le centre de leur politique. La lutte contre le déficit devint la priorité des gouvernements péquistes. Le bloc social qu’il formait avec les organisations syndicales s’effrita et il fut chassé de nouveau du pouvoir. La prise du pouvoir par Le PLQ de Jean Charest a permis à ce parti de s’imposer sur le Québec pendant plus d’une décennie et de mener des politiques néolibérales et autoritaires, faisant du sous-financement du secteur public et de sa privatisation le centre de son orientation.
Le Parti québécois comme appareil oligarchique nationaliste s’est survécu, par un effet d’autonomie et d’inertie du champ politique, essayant de se proclamer encore porteur du projet de souveraineté-association tout en cherchant à consacrer toutes ses énergies à la gouvernance provinciale.
3. La reconstruction du PQ se fera dans le cadre du nationalisme identitaire et conservateur
Au lendemain de la défaite, le discours de Parizeau sur la responsabilité du vote ethnique dans cette défaite reflétait la division dans la société québécoise et révéla la réalité ambiguë du nationalisme québécois. La logique du bouc émissaire s’imposant, les immigrant-e-s et les communautés culturelles furent présentés comme un danger mortel pour la défense de la nation, de la langue française. Le discours de la CAQ et du PQ incorpora de plus en plus une dimension xénophobe sinon raciste. Le camp nationaliste conservateur rejeta la réalité du racisme systémique.
La défaite du PQ comme alliance de classe dirigée par la classe des cadres et des experts (qui ont rejoint la CAQ) a permis que le PQ fasse de la lutte pour l’indépendance le centre de leur combat politique. On pourrait attribuer ce recentrage sur l’indépendance comme une pure manœuvre liée essentiellement au fait que la perspective de la prise du pouvoir et la formation d’un gouvernement demeure pour le moment fort éloignée. Mais, en fait pour le PQ, l’accession du Québec au statut d’État indépendant vise de plus en plus à faire coïncider parfaitement les frontières politiques et culturelles et la défense de la nation québécoise francophone en Amérique du Nord. Pour ce faire, il est nécessaire de baisser les quotas d’immigration, de mener le combat pour l’homogénéité culturelle, de s’opposer au multiculturalisme, de défendre une intégration-assimilation de toute la population migrante au français (et accepter en conséquence comme migrant-e-s) que les seules personnes parlant le français avant leur arrivée au Québec. Il ne s’agit pas seulement de faire du français une langue publique commune, mais les nationalistes conservateurs insistent sur le fait que la défense de la nation québécoise et de son intégrité passe par l’utilisation de la langue française à la maison par les minorités culturelles. Tout ceci constitue un ralliement de ce parti à une politique clairement assimilationniste. Le nationalisme québécois, qui a été pendant toute une période un nationalisme civique reprend une dimension ethnique, non qu’il fasse des Québécois français de souche les seuls membres authentiques de la nation québécoise, mais que le ralliement-intégration-assimilation au tronc commun constitue désormais les voies d’une véritable intégration nationale.
Pour le PQ, l’État québécois actuel doit donc amener la société québécoise à élargir la domination de ce tronc commun du Québec francophone tout en cherchant à vivre harmonieusement avec les minorités nationales anglophones et avec les peuples autochtones pourvu que ces dernières respectent l’intégrité du territoire national dans un Québec indépendant et ne remettent pas en question l’oppression coloniale encore existante. Telle est la voie choisie par le PQ pour se reconstruire ce qui exercera une pression constante nourrissant une dérive droitiste.
Le refus de reconnaître la réalité du racisme systémique, contre les Noir-e-s, les peuples autochtones et l’islamophobie, en solidarité avec le positionnement de la CAQ, démontre que le PQ refuse de comprendre les voies de la construction du Québec comme société multinationale et pluriculturelle. En ce sens, la majorité indépendantiste d’émancipation ne passe nullement par une alliance avec ce parti, mais par une lutte conséquente contre ces conceptions étroites et conservatrices de la lutte nationale et par la bataille pour faire de la classe laborieuse et des mouvements antisystémiques les porteurs de la définition d’un nouveau destin national…
4. La politique de Québec solidaire sur la question nationale
Québec solidaire a connu, durant ces premières années, un certain nombre de débats qui lui a permis de définir sa position sur la question nationale sur un certain nombre de points. Il s’est démarqué de la perspective de souveraineté-association et à définir l’indépendance (ou la souveraineté nationale) comme son objectif stratégique. . Il a posé la nécessité d’articuler cette dernière à un projet de société égalitaire, féministe, démocratique et internationaliste afin que l’indépendance soit un projet mobilisateur capable de rallier une majorité populaire. Il a développé une stratégie faisant de mobilisation autour d’une démarche de souveraineté populaire, la constituante, comme la voie démocratique du ralliement d’une majorité de la population québécoise autour du projet en faisant de cette majorité le sujet de la définition des institutions devant concrétiser le projet de société et d’indépendance que le parti voulait mettre de l’avant. Québec solidaire a compris que les Premières Nations étaient une composante essentielle de la société québécoise. Il a défendu son droit à l’autodétermination et a fait de la lutte contre le racisme systémique qui frappe les Premières Nations un axe de son combat . Il se dit ouvert à les intégrer sur une base volontaire de leur part, à sa démarche de souveraineté populaire. Récemment, il a fait de la lutte aux changements climatiques et de la rupture avec l’État pétrolier canadien une dimension de son projet national.
Pourtant, Québec solidaire n’a pas replacé la lutte pour l’indépendance dans le cadre de l’État canadien. Il n’a pas compris que l’indépendance avait une dimension clairement anti-impérialiste, car l’indépendance constitue une remise en cause de l’intégrité territoriale d’un important pays impérialiste et d’un allié indéfectible de l’impérialisme américain. Il n’a pas voulu questionner le soutien des États-Unis à l’intégrité de l’État canadien comme cela s’est révélé clairement particulièrement durant le référendum de 1995. Il découle de la méconnaissance de cette réalité que Québec solidaire n’a jamais posé la nécessité d’une alliance avec les forces ouvrières et populaires du Canada anglais et les mouvements antisystémiques (féministes, antiracistes, écologistes…) du Reste du Canada pour qu’ils adoptent une position claire sur le droit à l’autodétermination du Québec et pour faciliter la remise en question de l’État canadien et sa dénégation de son caractère multinational.
Québec solidaire, dans son ensemble et dans toutes ses composantes, n‘a pas rompu l’idée de la famille souverainiste, et avec l’idéologie nationaliste. Ceci s’est clairement exprimé par les débats sur les alliances électorales avec le Parti québécois où des secteurs importants de la direction ont défendu, à plusieurs reprises, cette perspective. Cela se reflète également par un refus de clarifier la différence entre l’opposition à toutes les formes d’oppression nationale et la lutte contre l’idéologie nationaliste qui fait prévaloir la solidarité nationale sur la solidarité de classe et avec l’ensemble des opprimées dans la société.
Sa politique sur l’immigration et sa défense d’une logique de quotas durant a dernière campagne électorale, a affaibli la solidarité avec camp populaire et la clarté de la reconnaissance de la réalité de la société québécoise comme société multinationale et tirer toutes les conséquences de cette prise de position. »
Mais c’est sans doute la conception des conditions de l’avènement d’une constituante débouchant sur l’indépendance qui reste marqué par une approche purement institutionnelle qui peut se résumer ainsi : Québec solidaire prend le pouvoir, il adopte une loi sur l’élection d’une assemblée constituante qui a pour mandat d’élaborer une institution d’un Québec indépendant, constitution qui est enfin soumise à un référendum de ratification. En fait, ce qu’il faut questionner maintenant c’est le processus de construction de la volonté de faire prévaloir la souveraineté populaire dans la majorité de la population. L’affirmation de cette souveraineté populaire ne peut être que le produit du renversement du rapport de force des classes subalternes remettant en question le contrôle des gouvernants et le développement de pratiques d’autogouvernement dans différents secteurs de la société… La constituante ne peut donc être réduite à un projet de transformation des institutions politiques découlant de l’élection, mais sera le résultat de l’affirmation du pouvoir de la majorité populaire dans la société.
5. Nouvelle époque, les axes et fondements d’une stratégie indépendantiste
A. La nouvelle période marquée par la convergence des crises économiques, sociales et politiques et climatiques
L’impérialisme a divisé le monde entre nations dominantes et nations dominées (restés précaires et inachevées dans la plupart des régions du monde. Appuyées par les États impérialistes et les institutions internationales à leur service, les multinationales s’accordent le droit de s’emparer des énergies fossiles et des richesses minières partout sur la planète, de détruire l’agriculture d’autosubsistance et de produire à moindre coût en exploitant la main-d’œuvre du Sud en délocalisant ces entreprises manufacturières. Au nom du libre-échange et des ajustements structurels, les institutions comme la Banque mondiale et le FMI contraignent les États du Sud à renoncer à des dépenses vitales en matière de santé, de logement, d’éducation ce qui provoque la détérioration radicale de la qualité de vie de vastes secteurs de la population. À cela s’ajoutent les effets du développement de la crise climatique, qui tend à rendre certaines parties du monde de moins en moins habitables. L’immigration (Sud – Sud dans un premier temps, puis Sud – Nord) deviendra de plus en plus importante stimulée par la recherche de meilleures conditions de vie, ou plus radicalement de conditions de survie. [4]
Les gouvernements des pays capitalistes avancés ont de plus en plus tendance à vouloir bloquer ces migrations en durcissant les règles permettant l’immigration, en dressant des murs physiques ou virtuels, en refusant de plus de reconnaître les droits des réfugié-e-s, en instrumentalisant des pays pour servir de frontières avancées dans le contrôle des personnes migrantes. Mais les frontières et les murs ne parviennent pas à contrer les flux migratoires.
La fermeture des frontières trouve sa justification sur le développement du racisme et de la xénophobie et le repli des populations du Nord vers une position fermée et défensive, ce qui est un fait majeur de ce début du XXIe siècle. Avec l’intrusion de la périphérie dans le centre se met en place un processus de multiculturalisation qui est à la base d’une réaction défensive et du développement d’un absolutisme ethnique. Cela est vrai tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Cette prolifération des diasporas racisées perturbe la conception stable qu’avaient les cultures d’elles-mêmes. La perception de l’étranger comme un danger favorise la montée d’un nationalisme xénophobe et raciste. Si ce phénomène est un phénomène international, il prend des formes particulières dans un contexte canadien et québécois compte tenu de l’histoire récente de la lutte pour l’indépendance dans l’État canadien.
Au Québec, le racisme systémique frappe bien sûr les nations autochtones, mais aussi de nombreuses personnes appartenant à des communautés ethnoculturelles minoritaires et aux secteurs racisés de la population. Ce racisme se manifeste par des discriminations à l’embauche, à la promotion, au logement, mais également dans les rapports aux services publics (santé, éducation, protection de l’enfance), dans les rapports au système judiciaire et à la police. Le gouvernement Legault, le PQ et le Bloc québécois refusent de reconnaître la réalité du racisme systémique. Il ne s’agit pas seulement d’une guerre de mots, sinon elle serait surmontée rapidement.
Ces prises de position du nationalisme conservateur se nourrissent du déni enragé de toutes les crises qui nous frappent. « Le refus d’envisager la remise en question de ce qui « nous » fait et qui est la seule chose que nous connaissons, d’envisager quelque deuil que ce soit à l’égard de ce que « nous sommes », et le désir forcené d’identifier des responsables et des coupables et des boucs émissaires, est au cœur de cette montée réactive qui manifeste sur les surfaces politiques massifiées du premier monde. » [5]
B. Pour la construction d’un bloc national populaire instrument d’une véritable lutte d’émancipation
L’indépendance du peuple québécois, de toutes les personnes qui y vivent et qui y travaillent, doit reprendre et préciser la perspective mise de l’avant par Sol Zanetti dans le livre ce qui nous lie. « Faire avancer l’humanité en commençant ici. Ce regard nouveau est plurinational. En effet, le pays du Québec auquel nous aspirons sera le fruit d’une quête de souveraineté pour l’ensemble des peuples qui l’habitent : le premiers pays fondé, dès le départ, avec les peuples autochtones et non à leurs dépens. Ce pays, nous le voulons affranchi des relations nécoloniales, un pays de peuples souverains travaillant ensemble pour s’épanouir sur un terrier confié à leur protection. »
Dans un tel contexte, l’indépendance conçue dans un sens cosmopolitique signifie que l’indépendance vise à faire du territoire québécois libéré un centre de solidarité avec la lutte des peuples du monde pour leur émancipation et pour faire face ensemble à ces multiples problèmes.
La construction d’un bloc national populaire regroupant la majorité populaire d’une société plurinationale et pluriculturelle qu’est le Québec passera : a) par le rejet d’une vision ethniquement homogène de la nation et par le rejet du projet nationaliste d’homogénéisation culturelle ; b) par une politique de rejet des discriminations et par le refus de l’existence de secteurs de la société privés de droits, et par l’union de toutes les composantes de la majorité populaire dans ce combat ; c) par la liberté de circulation et d’installation de tous les migrant-e-s. d) par l’éradication du racisme systémique qui touche tant les nations autochtones que les autres secteurs racisés de la population ; e) par le rejet des discours qui font des minorités les seuls porteurs de l’inégalité des femmes. f) par une politique linguistique qui refuse de faire des personnes immigrantes la cause du manque d’attractivité de la langue française et enfin par g) par le rejet d’une laïcité identitaire qui essentialise la réalité de la nation.
a) par le rejet d’une vision ethniquement homogène de la nation, et par le rejet du projet nationaliste d’homogénéisation culturelle
Il faut éviter de diviser le Québec entre un « nous » défini sur une base généalogique et culturelle et un « eux » qui en serait exclu. Partir sur cette base, c’est créer les conditions de l’approfondissement des divisions ethniques au sein de la société québécoise. Plus, c’est jeter ces divisions en pâture aux forces fédéralistes qui sauront bien les instrumenter. La société québécoise doit se définir non pas comme un « nous » dont la substance se construit autour de certaines valeurs partagées. Elle se construit par l’apport de tous et de toutes dans un processus reflétant le nouveau contexte dans lequel toutes les personnes de la société sont appelées à vivre.
Cette vision d’une nation ethnique présente les personnes immigrantes et les communautés ethnoculturelles non seulement comme différentes du nous québécois, mais comme étant dangereuses, car porteuses d’une possible régression sociale.
Tous les peuples ont dans leurs traditions des acquis qui nous permettent d’élargir la richesse de notre expérience du monde : musique, littérature, architecture, expériences de luttes. La culture que nous serons amené-e-s à construire doit se baser sur tous ces acquis. Ce que nous sommes aujourd’hui, ce que nous serons demain, est en grande partie lié au processus de métissage culturel que notre ouverture sur le monde nous permet de réaliser. Les principes de solidarité, de coopération, de partage, d’égalité sociale et de genre, de démocratie se définissent par leur opposition aux attitudes de cupidité, de thésaurisation et de prédation et d’accaparement de tous les pouvoirs qui sont le propre des classes exploiteuses des différentes nations. La vaste majorité de la nation québécoise est formée par les classes subalternes.
Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que toutes les personnes qui habitent le Québec sont des Québécois-e-s en niant la réalité plurinationale du Québec. Au Québec, il y a des minorités nationales (Grecs, Italiens, Algériens, Chiliens…) et il y a également les nations autochtones. Ces nations et minorités nationales peuvent se définir comme membres de la nation québécoise, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Mais tous les habitants du Québec sont des citoyen-ne-s du Québec ou du moins devraient l’être et en partager tous les droits et constituent le peuple québécois. Il faut donc découpler le statut de citoyen de l’appartenance nationale dans un Québec indépendant et lutter pour ce découplage dès maintenant dans l’État canadien. Nous luttons pour l’indépendance du peuple québécois de l’État canadien.
b) par une politique de rejets des discriminations et par le refus de l’existence de secteurs de la société privés de droits et par l’union des toutes les composantes de la majorité populaire dans ce combat
Toutes les personnes vivant au Québec, toutes celles qui y œuvrent et qui participent à la création de la richesse commune font partie de la société et contribuent à son destin national. Pour assurer une véritable inclusion des personnes migrantes « on ne peut accepter que des personnes se trouvant sur un même territoire, dans un même ordre juridique, soient traitées différemment ou discriminées. Le principe d’égalité des droits implique donc la libre circulation, mais aussi une série d’autres droits, dont notamment : le droit de s’installer durablement, le droit de travail, le droit de recevoir un salaire égal, le droit d’acquérir la nationalité, le droit de vivre en famille, le droit de vote, le droit à la sécurité sociale », le droit d’avoir accès aux différents services publics.. La lutte pour l’égalité des droits doit être la tâche de tous les mouvements sociaux qui visent l’égalité sociale et la fin des discriminations (mouvement syndical, mouvement des femmes, des jeunes, mouvement populaire, mouvement antiraciste…) Le combat contre les discriminations et l’égalité des droits sont à la base de la convergence des différentes composantes de la majorité populaire.
c) S’opposer pied à pied à la dynamique anti-migratoire et à la fermeture des frontières
La libre circulation, le droit d’installation et l’égalité dans l’accès aux droits sociaux pour les immigré-e-s sont des droits fondamentaux pour l’humanité, les indépendantistes doivent défendre ces droits.
Contrairement à l’approche du nationalisme régressif de Legault, du PQ et cie, les indépendantistes internationalistes doivent en finir avec le nationalisme étroit. Cela ne sera possible qu’en s’engageant avec détermination aux côtés de ceux et celles qui, en franchissant les frontières, revendiquent le droit de mieux vivre, de fuir les situations de survie auxquelles ils et elles sont acculés. Il faut savoir accueillir les personnes réfugiées et refuser de limiter l’immigration à la seule utilité économique pour les entreprises capitalistes et en faire des citoyen-ne-s aussitôt l’installation confirmée.
Il s’agit de mettre fin à l’extension des situations d‘exclusion et de non-droit que recouvre la notion de dualisation de société entre nationaux ayant des droits et étrangers dépourvus de ces droits. Sans cela, on laissera se développer la masse des citoyen-ne-s de seconde zone, voire l’existence d’individus privés sinon réellement sinon formellement de toute citoyenneté et sans cesse menacés d’exclusion . Cela va se concrétiser par la lutte pour la régulation immédiate de l’ensemble des personnes migrantes du pays sans limite concernant le nombre de personnes admissibles, et sans critères liés au travail. [6] Il ne s’agit pas de défendre les droits des nationalistes conservateurs à avoir des droits que n’ont pas les personnes migrantes, mais d’assurer leur égalité en tant que citoyens du pays. Il faut donc mettre fin immédiatement aux déportations et aux détentions.
d) par l’éradication du racisme systémique qui touche tant les Premières Nations que les secteurs racisés de la population
Le gouvernement Legault, le PQ, le Bloc et l’ensemble des nationalistes conservateurs osent prétendre qu’il n’y a pas de racisme systémique au Québec. Les nationalistes conservateurs refusent des mots choisis par ceux et celles qui les ont choisis pour parler de la réalité de ce qu’ils vivent. Et c’est précisément ce refus d’écouter, de croire, auquel il est temps de mettre fin. [7]
C’est une négation du colonialisme qu’ont subi et subissent encore les nations autochtones. « En réalité, une grande portion des territoires sur lesquels les gouvernements québécois ont exercé leur pouvoir au profit explicite de la majorité francophone n’a jamais été cédée au sens entendu par le régime néocolonial british canadian. L’accès au territoire au nord du 49e parallèle, son occupation par les populations nécessaires pour la colonisation, l‘exploitation et l’accaparement des ressources aquifères, hydro-électriques, forestières, minières, marines, touristiques, ont été défendus tant par les tribunaux canadiens que par les gouvernements québécois successifs comme relevant, selon le langage juridique canadien, « d’objectifs publics réels et impérieux. » [8] Un projet internationaliste d’indépendance du Québec doit s’articuler à la dynamique panamérindienne. Il faut éviter de sous-estimer la signification politique des aspirations autochtones et leur portée continentale. [9]
Mais ce racisme systémique ne vise pas seulement les peuples autochtones, il vise également les minorités raciales et ethnoculturelles. La lutte contre le racisme ne peut, on le saisit, encore plus aujourd’hui que par le passé, se bâtir sur une base morale et sur le seul champ idéologique. Elle ne peut prendre toute l’ampleur nécessaire que sur la base d’un antiracisme politique s’attaquant au racisme en acte constitué par les discriminations raciales. [10] C’est à partir de l’auto-organisation du mouvement antiraciste que le combat contre les discriminations racistes pourra s’organiser et ainsi faire reculer le racisme systémique.
e) par le rejet des discours qui font des minorités les seuls porteurs de l’inégalité des femmes.
Au Québec, le fémonationalisme est porté par l’organisation Pour le droit des femmes. Elle détourne la mobilisation des idées féministes par les partis nationalistes dans la guerre contre l’islam ou les migrants venus du tiers-monde. Ce fémonationalisme s’exprime particulièrement par la lutte pour le projet de loi 21 et défend l’idée que l’émancipation des femmes passerait nécessairement par l’absence de foulard. Ce courant refuse de comprendre que le combat pour la liberté de porter le voile dans les pays démocratiques s’accompagne toujours du combat pour la liberté dans les pays non démocratiques où il est imposé. [11] L’alliance du mouvement féminisme avec une indépendance dans une optique cosmopolitique implique une rupture avec le fémonationalisme.
f) par une politique linguistique qui fait du français la langue publique commune, mais qui rejette la perspective de défense de la nation par une politique d’assimilation.
Malgré la loi 101 qui a forcé la fréquentation des enfants des communautés culturelles des écoles françaises du primaire et du secondaire, l’anglais demeure la langue la plus attractive au Québec. Le français n’est pas la langue commune de travail dans les grandes entreprises dont les plus importantes sont pour la plupart gérées en anglais. Les immigrant-e-s, comme les francophones, se voient exiger la connaissance de l’anglais pour trouver un emploi. Au lieu de partir d’une analyse matérialiste de la situation de la langue française, les nationalistes identitaires attribuent la situation du français dans la région métropolitaine de Montréal à l’existence d’une immigration trop importante ne connaissant pas le français. C’est à partir d’une telle analyse que le Parti québécois a mis dans son programme la nécessité de la connaissance du français pour avoir accès à l’immigration au Québec. Plus, au lieu de définir le français comme la langue publique commune facilitant la formation de la communauté politique, les nationalistes conservateurs, adoptant un modèle assimilationniste, présentent le fait de ne pas parler français à la maison pour les membres des communautés culturelles comme un recul du français.
La loi 96 ne part pas d’une analyse des fondements économiques, sociaux et culturels de la précarité du français au Québec, mais d’une certaine marginalisation que feraient peser sur elle l’immigration et les communautés culturelles. Tant que le Québec restera subordonné à cet État canadien, comme le propose le gouvernement Legault, les droits nationaux du Québec et le caractère du français comme langue commune de la société québécoise seront constamment remis en question. La volonté majoritaire de la population de vivre dans un Québec français sera constamment frustrée par les attaques de l’État fédéral et du grand capital anglophone, qui ne renoncera pas à imposer sa domination sur le Québec. C’est pourquoi la défense de la langue française passera par l’indépendance du Québec.
Québec solidaire doit s’opposer à la loi 96. Ce n’est certainement pas en ciblant les populations immigrantes ni en forçant la main des populations autochtones qu’on peut voir une possible solution. Au contraire, c’est en construisant la solidarité. En faisant du Québec une société inclusive où toutes les communautés trouvent leur place, où le Québec est une terre qui appartient à ceux et celles qui l’habitent que les communautés issues de l’immigration seront attirées à parler français. Les autochtones ont le strict droit de décider de leur langue d’usage et notre position doit être celle de respecter leurs décisions. L’inclusion dans la société québécoise ne nécessite aucunement le reniement de leur appartenance nationale d’origine et de leur culture de la part des minorités ethnoculturelles.
g) En finir avec la laïcité identitaire qui essentialise la réalité de la nation
Quelle est donc la place de la laïcité dans cette problématique complexe ? La laïcité est un héritage important. Pour limiter la fermeture communautaire et favoriser l’inclusion et le métissage, s’attaquer à quelques signes vestimentaires distinctifs risque de produire le contraire de l’effet escompté. Comme l’écrit Poulat, la laïcité est une “politique de pacification par le droit”. [12] Elle permet d’assurer la liberté de conscience par la séparation et la neutralité de l’État. Mais la laïcité ne se définit jamais sur un mode qui nie son inscription dans l’histoire d’une société donnée. Et la définition que nous lui donnons aujourd’hui doit favoriser cette unité citoyenne et non exacerber les divisions existantes. Le combat laïque est une dimension du combat pour l’unité citoyenne. Lorsque la laïcité devient un instrument de démarcation identitaire et d’approfondissement des divisions, elle se transforme en son contraire, c’est pourquoi il faut juger la laïcité à ses fins avant de la juger sur ses moyens. [13]
B. mise en place d’une véritable démarche de souveraineté populaire
Le pouvoir constituant ne peut être que le moment final d’une délibération confiée à des resprésentant-e-s du peuple sur la réalité que devraient prendre les institutions économiques et politiques de la société. Il se construit par une série de luttes économiques, sociales et politiques pour élargir le contrôle populaire sur les différents éléments de sa vie : démocratie économique et la représentation de la majorité populaire dans la direction des entreprises, la place des citoyens, des travailleurs et des travailleuses sur la politique de l’énergie qui tient compte d’une transition véritable ; la démocratisation des contrôles de la majorité populaire sur la production réelle, la capacité des producteurs et producteurs agricoles de faire les choix permettant de concrétiser notre souveraineté alimentaire ; la capacité des travailleuses et des travailleuses de la santé, de bloquer la privatisation de la santé, le poids du contrôle citoyens sur les institutions locales et régionales.
C’est dans la mesure où une aura une convergence de ces mouvements visant à assurer une réelle souveraineté populaire sur les différentes composantes de la société qu’une assemblée constituante, pouvant assurer la convergence des acquis, pourra déboucher sur l’institutionnalisation d’une véritable assemblée constituante.
Si ce n’est la réforme du mode de scrutin et l’introduction du scrutin proportionnel, Québec solidaire n’a jamais mené campagne contre les limites de la démocratie parlementaire et contre la formation d’une oligarchie politique au service de la classe dominante. Ce sont l’ensemble des combats partiels pour développer concrètement la souveraineté populaire, une véritable démocratie qui va au-delà des limites actuelles du parlementarisme, qui pourront réellement préparer concrètement la tenue d’une constituante permettant l’expression de la souveraineté populaire. Si Québec solidaire doit clairement présenter les contours des institutions qu’il veut défendre dans la constituante, il doit maintenant, mener des combats qui renforcent la volonté de la majorité populaire d’imposer un véritable contrôle démocratique sur la société.
Voici des revendications pouvant être défendues dès maintenant qui vont dans le sens du renforcement de la souveraineté populaire et qui visent à bloquer les voies par lesquelles les représentant-e-es échappent au contrôle des personnes représentées. Ces revendications préparent la mise en place d’une véritable république sociale. Il s’agit :
a) d’ imposer un contrôle populaire des représentant-e-s dans le cadre de la démocratie représentative ;
- en donnant des mandats impératifs aux élu-e-s par les assemblées devant lesquelles ces élues sont redevables ;
- en interdisant la circulation des élu-e-s entre les responsabilités politiques et les responsabilités économiques dans le secteur privé ;
- en implantant des mécanismes pour en finir avec les sous-représentations des catégories modestes (travailleurs et travailleuses manuelles
- en introduisant une procédure de révocation des élu-e-s par les circonscriptions ou par les autres instances où il y a des élections.
b) de mettre fin à la consolidation d’une oligarchie politique
- en imposant la parité de genre (hommes/femmes) dans la représentation politique ;
- en abolissant les mandats consécutifs au parlement et dans les municipalités (limiter à deux au maximum) ;-
- en introduisant un niveau de rémunération qui place les élu-e-s au niveau du salaire médian de la population. ;
c) d’introduire des mécanismes de démocratie participative à tous les niveaux dans les institutions de l’État et généralisation du principe d’éligibilité
- en introduisant les principes d’éligibilité et de révocabilité des chefs administratifs ;
- en instaurant des budgets participatifs laissant à des assemblées locales (municipalités et MRC) de citoyenNEs de larges pouvoirs de participation et de décision sur la détermination des priorités budgétaires dans les villes et les régions
- en introduisant un processus d’autogestion démocratique dans les entreprises et les services publics
- en mettant en place des référendums d’initiatives populaires et particulièrement des référendums abrogatifs (abrogation de lois rejetées par la majorité citoyenne) [14]
C. La lutte pour l’indépendance, une lutte pour la destruction de l’État canadien
Québec solidaire n’a pas jusqu’ici intégré dans sa stratégie de lutte pour l’indépendance, la signification de l’indépendance comme une remise en question radicale de l’intégrité de l’État canadienne, de son existence même.
L’État canadien retient les fonctions les plus fondamentales d’un État bourgeois « souverain » : le contrôle militaire, le contrôle de la politique monétaire, le monopole de la représentation du capitalisme canadien vis-à-vis les autres États, le contrôle du Code criminel, et le contrôle sur une série de fonctions juridiques et régulatrices touchant l’économie. Il est absolument clair que l’État central est l’ultime instrument de défense des rapports de production contre toute menace qui pourrait remettre en question cette domination. Ce rapport de force et cette domination se sont construits en mettant au rencart les Métis et les nations autochtones, de même qu’en subordonnant la nation québécoise. L’État fédéral constitue le garant de l’unité canadienne et a utilisé tous les moyens possibles pour affaiblir le mouvement indépendantiste.
Aujourd’hui la lutte de libération nationale au Québec pose toute la question du changement de société et par voie de conséquence des rapports avec la population du Reste du Canada. La population québécoise et les forces sociales, syndicales et populaires ne pourront trouver une issue viable, qu’en dépassant le cadre uniquement québécois de sa lutte et en construisant des alliances stratégiques avec les Premières Nations et avec la classe ouvrière du Reste du Canada. Cela permettra aussi d’asseoir concrètement la lutte de libération nationale de la population du Québec sur des bases de changement social du Québec, mais aussi du reste du Canada.
La lutte pour l’indépendance n’est donc pas une lutte confinée au territoire du Québec. En s’insérant dans une lutte contre l’État fédéral central, elle pose objectivement le problème du pouvoir à l’échelle de tout l’État canadien. Il ne s’agit pas de l’indépendance d’une colonie lointaine, mais d’un État souverain au cœur même du Canada. L’indépendance du Québec diviserait le pays entre un Canada Ouest et un Canada Est faisant de l’État canadien un État tronqué. L’intransigeance de la bourgeoisie canadienne et de son personnel politique découle de cette réalité. Les projets de souveraineté-association ou de souveraineté-partenariat remettaient en question l’unité canadienne et correspondaient à un important transfert des pouvoirs vers la bourgeoisie québécoise. Toutes ces remises en question de l’intégrité du territoire canadien ont donc toujours été rejetées. Même la perspective d’un fédéralisme asymétrique qui accorderait plus de pouvoirs au Québec qu’à d’autres provinces a été repoussée au moment où la centralisation de l’État canadien s’est imposée pour renforcer le pouvoir concurrentiel de l’économie canadienne sur le terrain international.
Le rapport à l’indépendance dans le Reste du Canada (ROC), le soutien au droit à l’autodétermination du Québec signifie pour la gauche et les différents mouvements sociaux du ROC de faire le choix soit d’appuyer leur propre bourgeoisie contre la lutte d’émancipation sociale au Québec, soit d’appuyer la lutte sociale au Québec pour son émancipation. C’est une nécessité objective pour elle-même, mais également pour le succès de la lutte au Québec. Un choix du soutien au droit à l’autodétermination c’est le choix de rompre avec le nationalisme canadien, de l’État qui serait brisé par l’indépendance du Québec. La remise en question d’une forme de l’État bourgeois, l’État fédéral ouvre la voie à la remise en question d’un bloc de classes sous direction de la bourgeoisie qui forme la nation canadienne. La question des intérêts de classe est donc fondamentale pour le mouvement ouvrier canadien dans la compréhension de la nécessité de son appui à la lutte de la population du Québec pour son affranchissement de la domination de l’État canadien.
C’est cette compréhension mutuelle (basée sur l’autonomie politique de chaque nation de leur direction bourgeoise) qui permettra l’unification dans des dynamiques différentes des forces vives du Québec et du reste du Canada avec celles des peuples autochtones vers la création d’une nouvelle société égalitaire, une Confédération libre des républiques et des peuples autochtones.
La lutte pour l’indépendance doit dépasser le cadre provincialiste et s’inscrire résolument dans une stratégie pancanadienne. Cette lutte doit sortir du carcan nationaliste bourgeois – l’idée selon laquelle nos intérêts sont plus près des capitalistes d’ici que de ceux des travailleuses et travailleurs d’autres nations. Il n’est pas question non plus d’opposer, comme le font vulgairement les nationalistes identitaires, la nation québécoise aux minorités, mais de rassembler les classes travailleuses, les sans-travail, groupes subalternes et peuples autochtones au sein d’un projet de libération plurinational. Un projet indépendantiste émancipateur doit donner un contenu socialiste, féministe, antiraciste et décolonial à la question nationale, ce qui implique le rejet de tout projet d’alliance avec le Parti Québécois, qui promeut maintenant une conception identitaire de la nation qui a nourri le racisme, l’islamophobie et la xénophobie.
La gauche indépendantiste doit au contraire lier sa lutte à un projet de société socialiste tout en appuyant l’autodétermination des nations autochtones et en développant des solidarités avec les mobilisations populaires partout au Canada. Ainsi, la lutte de la nation québécoise pour l’indépendance et celles des peuples autochtones pour leur autodétermination pourra et devra encourager les travailleuses et travailleurs du Reste du Canada à rompre avec le nationalisme majoritaire qui participe de leur exploitation. Nous appuyons toute démarche visant, d’une part, la décolonisation immédiate des institutions canadiennes et québécoises actuelles, et d’autre part, la constitution d’institutions nouvelles fondées sur le principe d’autodétermination des peuples ainsi que la démocratisation de la vie politique et économique sur le territoire occupé par le Canada. Ainsi, nous voulons contribuer à l’établissement d’un bloc social entre les différentes forces à l’œuvre pour mettre en place des mesures concrètes telles que les réparations envers les peuples autochtones, les assemblées constituantes populaires, l’abolition des paradis fiscaux pour les entreprises minières, ainsi que le démantèlement du complexe militaro-industriel canadien. [15]
D. Inscrire l’indépendance dans une démarche cosmopolitique
Tous les problèmes qui sont en cours (crise climatique, montée du militarisme et dangers de guerre, santé humaine face aux épidémies, crise alimentaire, racisme, domination patriarcale, migrations, contraintes, oppression nationale…) doivent être affrontés dans une perspective planétaire où se rejoignent la vision cosmopolitique des intérêts de l’humanité considérée comme un tout et une praxis de mobilisation collective qui traverse les frontières.
On ne peut plus définir les orientations politiques stratégiques à partir du seul niveau national. Car les défis qui sont devant nous sont des problèmes mondiaux. Il est nécessaire de dépasser l’espace national, même si celui-ci demeure un espace stratégique incontournable pour contrer le nationalisme qui réduit les horizons sur un territoire limité. La convergence des résistances aux problèmes posés à l’humanité et à la vie sur la planète doit reposer sur une conscience d’appartenir à une communauté politique universelle. Capable d’exercer un véritable pouvoir sur les plans économiques, écologiques et démocratiques. [16]
La définition de la nation est un enjeu de la lutte des classes. Soit la nation, sa configuration et son idéologie sont le produit de la bourgeoisie et de la place que cette dernière veut occuper dans le système mondial, soit elle est définie par les classes populaires comme une communauté qui vise la déconnexion du système impérialiste et aspire à construire. Un nouvel internationalisme reposant sur une solidarité de classe internationale.
Une nation déconnectée du système mondial et refusant toute solidarité avec les puissances capitalistes, c’est une nation qui veut assurer la fusion entre la tradition classiste, socialiste et anti-impérialiste et les dimensions féministe, écologique et démocratique des mouvements des nations dominées, et particulièrement, des Nations autochtones. C’est dans une telle nation que la souveraineté populaire peut réellement s’exprimer jusqu’au bout et que l’indépendance peut se réaliser sur une base émancipatrice.
Une nation, dont la majorité populaire a su prendre la direction de sa libération, rejette tout nationalisme identitaire. Une telle nation fait de l’ouverture des frontières et de la liberté d’installation le centre de son combat internationaliste. Il définit son indépendance comme la liberté de nouer des liens avec les peuples du monde qui sont en lutte pour se soustraire à la domination des puissances capitalistes.
Bernard Rioux
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