Dans une lettre datée de mardi, adressée au ministère des Affaires étrangères français, les putschistes ont précisé que l’ambassadeur de France à Niamey, Sylvain Itté, “ne [jouissait] plus des privilèges et immunités attachés à son statut” et que ses “cartes diplomatiques et visas, ainsi que ceux des membres de sa famille” avaient été annulés, rapporte le titre burkinabè Wakat Séra..
Les services de police ont été “instruits” afin qu’ils procèdent à son “expulsion”, ajoutent les militaires. Le 25 août, la junte avait donné quarante-huit heures à M. Itté pour quitter le territoire nigérien – un ultimatum ignoré par la France, qui ne reconnaît pas la légitimité des putschistes et martèle que le président renversé, Mohamed Bazoum, est toujours le chef de l’État nigérien.
Paris a persisté jeudi en assurant que l’ambassadeur allait “rester en place” en dépit des menaces. CNN a interrogé le Quai d’Orsay, qui a “réitéré ses déclarations du 25 août”, soulignant que “les putschistes n’[avaient] pas autorité pour formuler cette exigence”.
En s’ingéniant à vouloir expulser l’ambassadeur de France, “les artisans du coup d’État adoptent la stratégie des gouvernements militaires des pays voisins, le Mali et le Burkina Faso, consistant à se distancier de l’ancienne puissance coloniale de la région”, analyse Al-Jazeera.
Une stratégie bénéficiant en outre du ressentiment éprouvé par une partie des Nigériens à l’égard de la France : “Depuis qu’elle a évincé Bazoum, élu démocratiquement au Niger, la junte exploite le sentiment anti-français au sein de la population pour renforcer le soutien” de la rue au pouvoir militaire, observe le site nigérien Punch.
“Hypocrisie de l’Occident”
Pour Le Pays, la France paie pour sa “politique du deux poids deux mesures, qui révolte aujourd’hui la jeunesse africaine en manque de perspectives et à la conscience de plus en plus éveillée”. Le quotidien burkinabè souligne “cette politique d’hypocrisie de l’Occident, qui l’a vu souvent s’acoquiner avec des présidents mal élus, des dictateurs de la pire espèce, que des grandes puissances occidentales ont parfois travaillé à maintenir au forceps au pouvoir, pour servir beaucoup plus leurs intérêts et ceux de ces satrapes que ceux de leurs propres peuples”.
Alors que la junte était engagée dans son bras de fer diplomatique avec la France, les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Union européenne (UE) étaient réunis à Tolède, en Espagne, pour un minisommet, au cours duquel ils sont “convenus” d’imposer aux putschistes des “sanctions” qui “refléteront les mesures déjà imposées par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao)”, selon la Deutsche Welle..
Les sanctions de l’UE “contiendront toutefois certaines exemptions pour raisons humanitaires”, précise la radio allemande. “Nous ne voulons pas que les sanctions se transforment en punition supplémentaire pour le deuxième pays le plus pauvre du monde”, a déclaré le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, à l’issue de la réunion.
Une décision d’autant plus opportune que les militaires ont interdit jeudi “aux ONG, aux agences des Nations unies et aux organisations internationales de travailler dans les ‘zones d’opérations’ militaires”, arguant de “la situation sécuritaire actuelle et de l’engagement opérationnel des forces armées nigériennes”, selon le site Wion.. Le ministère de l’Intérieur n’a pas spécifié quelles étaient les régions touchées, ni la durée de l’interdiction.
L’UE veut favoriser “les solutions politiques”
Un peu plus d’un mois après le coup d’État, et malgré les menaces de la Cedeao d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel, les putschistes n’ont pas cédé d’un pouce, et se sont donné trois ans pour opérer la transition vers un régime civil.
Des représentants de la Cedeao étaient à Tolède pour sonder l’UE quant à son éventuel soutien d’une intervention militaire, mais les Européens n’ont rien voulu promettre sans une “analyse minutieuse”, rapporte El País.
“Les Vingt-Sept, qui ont promis de ne pas reconnaître les autorités putschistes, ont passé des semaines à chercher en coulisses une ‘réponse coordonnée’ à la crise, qui ne soit pas susceptible d’aggraver encore la situation, compte tenu de l’hostilité des putschistes envers les autorités européennes, et surtout françaises”, écrit le quotidien madrilène. Et, “pour l’instant, l’UE préfère favoriser les solutions politiques”.
Le président du Nigeria, Bola Tinubu, qui assure actuellement la présidence tournante de la Cedeao et qui aurait le plus grand contingent de soldats dans la force régionale susceptible d’intervenir au Niger, a suggéré jeudi une transition de “neuf mois” pour rétablir l’ordre constitutionnel, selon la chaîne nigériane Channels. C’est la première fois qu’un pays de la Cedeao évoque une durée pour une éventuelle transition.
Pour M. Tinubu, “si le Nigeria a réussi à revenir à la démocratie en 1999 après la transition de neuf mois mise en œuvre par le général Abdulsalami Abubakar, il n’y a aucune raison que les putschistes du Niger ne puissent pas en faire autant”, écrit Channels sur son site Internet.
Courrier International
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