Reportage
Au Pakistan, la vague d’attentats et de violences s’étend et frappe Islamabad
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
Des cadavres déchiquetés, du sang et des débris partout, des cris et des pleurs : en une seconde, mardi 17 juillet, l’attente joyeuse des partisans du président déchu de la Cour suprême du Pakistan, Iftikhar Mohammed Chaudhry, a viré au drame. Un commando-suicide venu apparemment à moto s’est fait exploser parmi les fidèles du Parti du peuple pakistanais (PPP) de l’ex-premier ministre, Benazir Bhutto, venus soutenir les avocats du barreau d’Islamabad auxquels devait s’adresser M. Chaudhry.
Seize personnes ont été tuées et plus de 50 blessées dans ce nouvel attentat-suicide, intervenu exactement une semaine après l’assaut contre la mosquée Rouge d’Islamabad, qui a fait plus de 100 morts.
Symbole de l’opposition au régime militaire du général Musharraf depuis sa suspension, le 9 mars, pour « abus d’autorité », le juge Chaudhry est brièvement venu sur les lieux du drame, mais a renoncé à tout discours. L’un de ses avocats, Munir Malik a accusé les services de sécurité pakistanais d’avoir cherché à l’atteindre, affirmant : « C’était une attaque contre le président de la Cour suprême. »
A Londres, où elle se trouve, Benazir Bhutto, tout en affirmant que son parti était la cible de l’attentat, a exprimé sa crainte que « derrière le rideau certains » tentent de créer le chaos pour faciliter l’imposition de l’état d’urgence. Selon Mme Bhutto, en négociation politique avec le général Musharraf, « le gouvernement doit démissionner et laisser la place à l’organisation d’élections libres et honnêtes. » Le président Musharraf a « très sévèrement condamné ce dernier acte de terrorisme » et appelé la population au « calme ».
Ce nouvel attentat-suicide, au moins le sixième depuis samedi et le premier de cette ampleur depuis dix ans dans la capitale, pourrait toutefois être l’œuvre des extrémistes islamistes, qui chercheraient ainsi à effrayer les partisans du mouvement pro-démocratique qui manifestent quasiment sans discontinuer depuis le 9 mars. A moins que ce ne soit un avertissement lancé aux autorités pour les dissuader de s’attaquer énergiquement aux bastions extrémistes, notamment dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan.
PRESSION ACCRUE
Cet attentat accroît la pression sur le général Musharraf au moment où, tout en lui réaffirmant leur soutien, les Etats-Unis lui demandent de lancer une offensive militaire dans les zones tribales. « Nous devons nous rappeler qu’une action militaire est nécessaire », a affirmé, mardi, le secrétaire d’Etat adjoint pour les affaires d’Asie du Sud et d’Asie centrale, Richard Boucher, en évoquant la présence d’« éléments extrêmement violents » dans les zones tribales.
Le gouvernement donne plutôt l’impression de vouloir temporiser. Il tente ainsi de faire renaître l’accord de paix avec les activistes de la zone tribale du Nord-Waziristan. Il nie aussi son intention de lancer une opération militaire dans la vallée de Swat, où un maulana (religieux) extrémiste a lancé des appels au djihad après l’assaut contre la mosquée Rouge. Le président Musharraf, qui multiplie les réunions à haut niveau, hésite sur la conduite à suivre alors que la situation se dégrade de jour en jour.
Françoise Chipaux
* Article paru dans le Monde, édition du 19.07.07. LE MONDE | 18.07.07 | 14h38 • Mis à jour le 18.07.07 | 14h38.
Au Pakistan, Musharraf veut mener « un combat frontal » contre les islamistes
Le président du Pakistan, Pervez Musharraf, a promis, mercredi 18 juillet, qu’il allait mener un « combat frontal » contre les militants fondamentalistes proches des talibans, responsables d’une série d’attentats-suicides et d’embuscades qui ont fait au mois 91 morts depuis samedi, principalement au sein des forces de l’ordre.
Au moins 17 soldats et 17 combattants islamistes ont été tués mercredi dans de nouveaux affrontements entre l’armée et des militants pro-talibans dans le nord-ouest du Pakistan, près de la frontière afghane. L’embuscade des combattants fondamentalistes visait un convoi militaire dans la zone de Lwara Mundi, dans la province du Nord-Waziristan, en plein cœur des zones tribales pakistanaises. Cette attaque a été perpétrée quelques heures après un nouvel attentat à la bombe visant des véhicules de l’armée , qui a blessé six civils et un soldat dans le Nord-Waziristan également.
PRESSION DE WASHINGTON
Des militants islamistes pro-talibans, mais aussi le numéro 2 d’Al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, ont appelé à venger l’assaut meurtrier, il y a une semaine, de l’armée contre la mosquée Rouge d’Islamabad, où s’étaient retranchés des centaines de militants fondamentalistes.
Malgré ce regain de violence, le président Musharraf a exclu l’idée d’imposer un état d’urgence, et promis que les élections législatives, qui doivent se tenir à la fin de l’année ou début 2008, auront lieu selon le calendrier prévu. « Nous avons une bonne idée de qui est derrière tout cela (...), nous devons nous attaquer à ceux qui organisent » ces attentats, a ajouté le général Musharraf.
Washington multiplie ces derniers jours les déclarations, pressant le Pakistan de lancer une offensive massive dans les zones tribales. L’armée américaine affirme que les talibans afghans et les combattants d’Al-Qaida sont en train d’y reconstituer leurs forces, soutenus par des fondamentalistes pakistanais.
* LEMONDE.FR avec AFP et AP | 18.07.07 | 15h49 • Mis à jour le 18.07.07 | 16h58.
Les talibans pakistanais lancent leur djihad contre Pervez Musharraf
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
Près de soixante-dix morts, plus de cent blessés, les militants islamistes pakistanais ont répondu, samedi 14 et dimanche 15 juillet, avec une ampleur sans précédent aux différents appels à la revanche et au djihad (guerre sainte) lancés après l’assaut contre la mosquée Rouge d’Islamabad, qui a fait officiellement une centaine de morts.
La vague d’attentats-suicides, qui a frappé en majorité les forces de sécurité, s’est produite dans la province frontalière du nord-ouest et dans la zone tribale du nord du Waziristan (frontalière de l’Afghanistan), où les talibans pakistanais ont mis fin à l’accord de paix signé avec le gouvernement le 5 septembre 2006.
L’attentat le plus meurtrier - vingt-six morts dont treize policiers - a frappé, dimanche après-midi, un centre de recrutement de la police à Dera Ismail Khan. Un homme s’est fait exploser parmi une centaine de jeunes gens qui attendaient pour passer des tests médicaux afin de rentrer dans la police. Situé en bordure de la zone tribale du sud du Waziristan, frontalière de l’Afghanistan, Dera Ismail Khan n’a pas échappé ces derniers mois à la « talibanisation » qui, venant des zones tribales, s’est étendue à tous les territoires proches.
Cet attentat était le deuxième de la journée. Dans la matinée, deux hommes avaient jeté leurs deux voitures piégées sur un convoi de l’armée pakistanaise déjà atteint par une bombe placée sur leur route dans la vallée de Swat, près de la petite ville de Matta. Dix-sept soldats avaient été tués ainsi que quatre civils. L’armée avait envoyé des renforts dans la vallée - normalement touristique - de Swat pour tenter de maintenir l’ordre face à l’appel lancé par un religieux extrémiste, Maulana Fazlullah, à des commandos-suicides « d’accomplir leur tâche et d’atteindre leurs objectifs ».
Maulana Fazlullah avait publiquement soutenu les occupants de la mosquée Rouge et mis fin, pour protester contre l’assaut, à un accord qu’il avait signé avec les autorités pour cesser ses prêches incendiaires sur la radio qu’il s’était attribuée.
Samedi, vingt-quatre soldats avaient été tués dans un attentat-suicide près de Miramshah, chef lieu de la zone tribale du nord du Waziristan. Deux commandos-suicides avaient jeté leurs voitures bourrées d’explosifs sur un convoi militaire.
La situation risque toutefois de se détériorer encore plus au nord du Waziristan après la dénonciation de l’accord de paix par les talibans. Selon le porte-parole de ces derniers, Abdullah Farhad, le conseil a, en mettant fin à l’accord, ordonné aux combattants de commencer des attaques de guérilla contre les forces pakistanaises déployées au nord du Waziristan. Des tracts distribués à Miramshah mettent en garde les chefs tribaux contre toute coopération avec le gouvernement et ordonnent aux forces locales de se tenir éloignées de l’armée.
Sévèrement critiqué par les autorités afghanes et les forces américaines déployées en Afghanistan, qui estimaient qu’il permettait aux talibans d’agir librement au nord du Waziristan, l’accord avait permis au président et chef de l’armée pakistanaise, le général Pervez Musharraf, de désengager ses troupes après la perte d’environ 700 hommes dans les combats contre les islamistes. Ces derniers sont présents en grand nombre dans cette zone frontalière depuis la chute des talibans en Afghanistan en 2001.
Les Etats-Unis ont salué la fin de cet accord, qui accroît cependant les pressions sur le général Musharraf, déjà aux prises avec un mouvement soutenu réclamant un retour à la démocratie. Affirmant, dimanche, sur la chaîne de télévision américaine Fox News, que l’accord « n’a pas marché » et que « le président Musharraf le comprend », le conseiller à la sécurité nationale du président américain George Bush, Stephen Hadley, a poursuivi : « Nous le pressons d’aller plus loin et nous apportons notre plein soutien à ce qu’il envisage. »
Dans un discours à la nation, jeudi, le président Musharraf s’était engagé à « éliminer avec une totale détermination le terrorisme et l’extrémisme » au Pakistan. La tâche ne sera pas facile, tant les extrémistes sont enracinés dans un réseau complexe de solidarité qui a longtemps joui de la complaisance et parfois de la bénédiction des autorités.
Le général Musharraf manque aussi d’un fort soutien populaire car, si la majorité des Pakistanais voit plutôt favorablement la mise au pas des islamistes, elle rend responsable le gouvernement de leur ascension.
Près d’une semaine après la fin du siège de la mosquée Rouge, et alors que la situation reste très tendue à Islamabad, l’opinion accuse les autorités de cacher le réel bilan de l’opération et s’interroge sur l’attitude d’un gouvernement qui a tergiversé six mois avant d’agir sous la pression, alors que les islamistes avaient eu tout le temps de se renforcer.
Les abords de la mosquée Rouge, qui sera réparée dans les plus brefs délais selon le gouvernement, restent pour l’instant interdits. Les forces de sécurité sont toujours déployées en nombre dans la capitale. Le chef de la police a mis en garde contre la présence à Islamabad de « mécréants, qui pourraient créer de sérieux problèmes et troubler la paix et la tranquillité publique ».
Françoise Chipaux
* Article paru dans l’édition du 17.07.07. LE MONDE | 16.07.07 | 16h05 • Mis à jour le 16.07.07 | 16h05.
Encart
Accords avec les zones tribales
Avril 2004 : le gouvernement pakistanais signe un premier accord avec Nek Mohammad, chef des talibans pakistanais au sud du Waziristan. Il ne dure pas et Nek Mohammad est tué par un missile américain en juin.
Février 2005 : un accord est signé avec Baitullah Mehsud au sud du Waziristan. L’armée verse 540 000 dollars à quatre responsables pour payer leurs dettes à Al-Qaida. Cet accord tient, mais ce sont les islamistes qui règnent en maîtres au sud du Waziristan.
Septembre 2006 : un accord est signé avec les talibans du nord du Waziristan qui s’engagent, en échange du retrait de l’armée dans ses casernes, à expulser les militants étrangers liés à Al-Qaida et à ne pas opérer en Afghanistan. L’accord est rompu le 15 juillet 2007.
La population fuit le Nord-Waziristan après la rupture de l’accord de paix
Au lendemain de la rupture de l’accord de paix entre des islamistes protalibans et les autorités locales dans le Nord-Waziristan, des milliers d’habitants fuyaient cette région tribale, lundi 16 juillet, afin de trouver refuge dans des zones plus sûres.
Signe de cet exode, la radio publique Radio Pakistan a cessé d’émettre, ses employés, ainsi que l’ensemble des fonctionnaires, ayant quitté Miranshah, principale ville de la province.
Les attentats et tentatives d’attentats se sont multipliés ce week-end dans cette zone tribale frontalière de l’Afghanistan, faisant une cinquantaine de morts et de nombreux blessés, principalement au sein de l’armée et des forces de sécurité.
Des commandants locaux protalibans avaient déjà appelé la population à la guerre sainte en réponse à l’assaut, mercredi par l’armée, de la mosquée Rouge d’Islamabad, où plusieurs centaines d’extrémistes islamistes s’étaient retranchés pendant une semaine.
Le président Musharraf promet d’éradiquer le terrorisme et envoie des renforts militaires à la frontière afghane
Après les combats de la mosquée Rouge d’Islamabad, qui ont fait 110 morts ces derniers jours, le président pakistanais, Pervez Musharraf, a promis, jeudi 12 juillet, d’éradiquer « l’extrémisme et le terrorisme ». « Nous sommes résolus à les éliminer du moindre recoin du pays », a-t-il déclaré lors d’un discours à la nation.
« Je suis attristé par les pertes de vies humaines au cours de l’opération, mais cette dernière s’est avérée inévitable pour le Pakistan », a-t-il ajouté, lors de sa première apparition après l’intervention militaire de mardi et mercredi. L’armée a pris le contrôle du site, à Islamabad, après deux jours d’intenses combats qui ont fait 75 morts dans les rangs des islamistes et 11 parmi les soldats. Vingt-quatre personnes, dont deux militaires, avaient déjà été tuées lors de heurts dans la semaine précédant l’assaut.
Lors de son discours télévisé, le général-président a demandé aux milliers d’écoles coraniques que compte le pays de prêcher la modération. Il a appelé les responsables et les imams de ces écoles à « enseigner les véritables valeurs de l’islam et à éloigner l’extrémisme de leurs esprits ».
CRITIQUES À WASHINGTON
Au lendemain de la fin de l’assaut de la mosquée Rouge, les autorités pakistanaises cherchaient à identifier les cadavres des activistes. Il s’agit notamment de vérifier la présence d’islamistes étrangers issus de mouvements proches d’Al-Qaida et liés à des talibans combattant en Afghanistan, comme l’a affirmé le gouvernement pakistanais. Des ministres ont notamment évoqué la présence d’Ouzbeks dans la mosquée d’Islamabad.
Dans le centre du pays, 2 000 personnes se sont rassemblées dans le village natal d’Abdul Rashid Ghazi, pour les funérailles du chef des irréductibles de la mosquée, tué dans l’assaut. Les fidèles étaient encadrés de centaines de policiers déployés par crainte de violences.
« C’est un jour de deuil, un jour d’introspection, de chagrin et de tristesse », a reconnu le président, qui a juré de ne plus laisser des complexes religieux comme la mosquée Rouge devenir des bastions de l’activisme islamiste.
Le chef de l’Etat a également annoncé l’accroissement des efforts militaires le long de la frontière avec l’Afghanistan. Selon lui, « l’extrémisme et le terrorisme n’ont pas encore été éliminés » de ces zones tribales que les forces de sécurité pakistanaises ne parviennent pas à contrôler.
A Washington, en écho à ce discours, des élus républicains ont critiqué le soutien inconditionnel de l’administration Bush au président Musharraf, doutant de sa capacité à lutter contre le terrorisme sans mettre en péril la démocratie. - (AFP, AP, Reuters.)
Article paru dans le Monde, édition du 14.07.07. LEMONDE.FR avec AFP et AP | 16.07.07 | 13h27 • Mis à jour le 16.07.07 | 14h26.