Un mouvement visant à affaiblir les protections en matière de travail des mineurs émerge depuis l’an passé aux États-Unis à l’échelle des États. En juin 2023, l’Arkansas, l’Iowa, le New Jersey et le New Hampshire ont déjà légiféré en ce sens. Au moins huit autres États avaient introduit des mesures similaires. Ces lois permettent généralement aux jeunes de 14 à 17 ans de travailler plus longtemps et plus tard, et dans des professions qui étaient auparavant interdites aux mineurs.
Lorsque Kim Reynolds, gouverneure de l’Iowa, a signé la nouvelle loi de son État sur le travail des enfants, plus permissive, le 26 mai 2023, la dirigeante, membre du Parti républicain a déclaré que la mesure « permettrait aux jeunes adultes de développer leurs compétences sur le marché du travail ».
Spécialistes du travail des enfants, nous remarquons que les arguments utilisés par M. Reynolds et d’autres leaders politiques pour justifier la suppression des protections du travail des enfants renvoient à des justifications plus anciennes, datant de plusieurs dizaines d’années.
Au cours de l’histoire, de nombreux chefs d’entreprise ont longtemps soutenu, sur la base d’une combinaison de motifs idéologiques et économiques, que les règles fédérales en matière de travail des enfants n’étaient pas nécessaires. Certains s’opposent même à ce que le gouvernement détermine qui ne peut pas travailler.
Les plus conservateurs affirment que le travail a une valeur morale pour les jeunes et que c’est aux parents de prendre des décisions pour leurs enfants. De nombreux conservateurs affirment également que les adolescents, moins nombreux sur le marché du travail aujourd’hui qu’au cours des dernières décennies, pourraient aider à pourvoir les emplois vacants dans des secteurs en tension.
Un combat de longue haleine
Les protections du travail des enfants, telles que l’interdiction de nombreux types d’emploi pour les enfants de moins de 14 ans et la limitation du nombre d’heures de travail pour les adolescents de moins de 18 ans, sont garanties par la loi de 1938 sur les normes de travail équitables, le Fair Labor Standards Act.
Jusqu’alors, l’absence de lois entravait les progrès réalisés dans les États pour maintenir les enfants à l’école et les éloigner des mines, des usines et d’autres lieux de travail parfois dangereux. Trois ans après que le président Franklin D. Roosevelt a promulgué le texte, la Cour suprême l’a confirmé à l’unanimité dans l’arrêt U.S. v Darby Lumber, qui a marqué un renversement de jurisprudence.
Pendant les quatre décennies qui ont suivi, aucune contestation notable ne s’est fait entendre. C’est en 1982 que le président Ronald Reagan a commencé à chercher à assouplir les protections fédérales pour permettre aux jeunes de 14 et 15 ans de travailler plus longtemps dans les établissements de restauration rapide et de vente au détail, le tout rémunéré moins que le salaire minimum. Une coalition de démocrates, de syndicats, d’enseignants, de parents et de groupes de développement de l’enfant a bloqué les changements proposés.
À la fin des années 1980, les violations de la loi se sont malgré tout multipliées. Certains groupes industriels ont tenté d’assouplir les restrictions dans les années 1990, mais les changements juridiques ont été minimes. Au début des années 2000, une tentative plus ambitieuse de faire reculer les lois sur le travail des enfants, menée par un groupe militant pour la scolarisation à domicile, a finalement échoué, mais les conservateurs ont continué à réclamer des changements en la matière.
En 2012, Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des représentants, alors en lice pour devenir candidat républicain à la présidence, a fait la une des journaux en qualifiant les lois sur le travail des enfants de « vraiment stupides ». Il a par exemple suggéré que les enfants puissent travailler comme concierges dans les écoles.
Aujourd’hui, le Washington Post rapporte que la Foundation for Government Accountability, un groupe de réflexion basé en Floride, est en train de rédiger une législation d’État visant à supprimer les protections relatives au travail des enfants. Son organe de lobbying, l’Opportunity Solutions Project, a contribué à faire passer ces projets de loi dans les assemblées législatives des États, notamment dans l’Arkansas et le Missouri.
Machine arrière dans l’Iowa et l’Arkansas
À nos yeux, c’est l’Iowa qui a mis en place la loi la plus radicale pour faire reculer les protections du travail des enfants. Elle permet à des enfants de 14 ans de travailler dans des refroidisseurs de viande et des blanchisseries industrielles, et à des adolescents de 15 ans de travailler sur des chaînes de montage à proximité de machines dangereuses. Des adolescents de 16 ans peuvent désormais servir de l’alcool dans les restaurants de l’État, à condition que deux adultes soient présents.
Certes, les fonctionnaires du ministère américain du Travail affirment que plusieurs dispositions de ce nouveau texte sont contraires aux normes nationales. L’administration centrale n’a toutefois pas dévoilé de stratégie claire pour lutter contre ces violations.
Dans l’Arkansas, les permis de travail pour les jeunes de 14 et 15 ans ont été supprimés avec la signature au mois de mars par la gouverneure Sarah Huckabee Sanders du Youth Hiring Act. Auparavant, les employeurs devaient conserver dans leurs dossiers un certificat de travail exigeant une preuve de l’âge, une description du travail et des horaires, ainsi que le consentement écrit d’un parent ou d’un tuteur. Il peut ici sembler curieux que les partisans du projet de loi le présentent comme un renforcement des droits parentaux dans la mesure où la loi supprime tout rôle formel des parents dans l’équilibre entre l’éducation et l’emploi de leurs enfants.
Pourquoi dans ces cas la loi fédérale ne l’emporte-t-elle pas sur les lois des États ? Les lois fédérales fixent un plancher de réglementation en matière d’emploi des jeunes, qui couvre les heures maximales, l’âge minimum, les salaires et la protection contre les emplois dangereux. Si les États adoptent des lois plus strictes, comme beaucoup l’ont fait, les normes les plus strictes régissent les pratiques sur le lieu de travail. La loi fédérale, par exemple, n’exige pas que les mineurs obtiennent des permis de travail ou des certificats d’emploi, mais la plupart des États rendent ces documents obligatoires.
Faire fi des normes fédérales ?
Cela n’empêche pas certains États de vouloir adopter des lois qui entrent directement en conflit avec les normes fédérales. Les législateurs de l’Ohio veulent permettre aux jeunes de 14 et 15 ans de travailler jusqu’à 21 heures pendant l’année scolaire avec l’autorisation de leurs parents, alors que la réglementation fédérale interdit aux adolescents de cet âge de travailler au-delà de 19 heures. Un projet de loi présenté par le sénateur républicain de l’État du Minnesota, Rich Draheim, autoriserait les jeunes de 16 et 17 ans à travailler sur des chantiers de construction ou à proximité.
La forte opposition des politiciens, des groupes de défense des enfants, des associations éducatives, des syndicats et du public a fait échouer certains de ces projets. Les opposants soulignent que lorsque des enfants de moins de 18 ans travaillent de longues heures ou effectuent des tâches pénibles, cela peut perturber leur développement, mettre leur santé en péril, interférer avec leur scolarité et les priver du sommeil dont ils ont besoin.
Les républicains de Géorgie ont présenté un projet de loi qui aurait supprimé les permis de travail pour les mineurs, mais ils l’ont retiré sans vote. Les législateurs républicains du Dakota du Sud ont parrainé un projet de loi visant à étendre les heures de travail des enfants de 14 ans et moins de 19 heures à 21 heures. Ce projet a également été retiré.
Dans le Wisconsin, le gouverneur Tony Evers a opposé son veto en 2022 à un projet de loi qui aurait permis aux adolescents de travailler plus longtemps et plus tard. En 2023, certains législateurs du Wisconsin tentent à nouveau leur chance pour autoriser les jeunes de 14 ans à servir de l’alcool.
Des initiatives protectrices au Congrès
À l’exception du New Jersey, ces efforts visant à affaiblir les lois sur le travail des enfants sont menés par les républicains. Des gouverneurs démocrates tentent, eux, en parallèle, de renforcer les protections contre le travail des enfants. Dans le Colorado, Jared Polis a introduit une loi qui permettrait aux enfants blessés de poursuivre les employeurs pour violation de la législation sur le travail des enfants le 7 juin 2023.
Il existe également des initiatives nationales visant à affaiblir – ou à renforcer – les règles relatives au travail des enfants. Le représentant Dusty Johnson, un républicain du Dakota du Sud, pousse ainsi pour permettre aux jeunes de 14 et 15 ans de travailler jusqu’à 21 heures les soirs d’école et jusqu’à 24 heures par semaine pendant l’année scolaire. Il semble peu probable que son projet de loi soit adopté par un Congrès, aujourd’hui divisé.
À la Chambre des représentants et au Sénat, on retrouve également des pressions pour que les jeunes de 16 et 17 ans puissent travailler dans les exploitations forestières sous la surveillance de leurs parents.
[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Le Congrès semble néanmoins également favorable à l’augmentation des sanctions en cas de violation du droit du travail des enfants. L’adoption de lois sur le travail des enfants ne représente, en effet, qu’une moitié de la bataille. L’application de ces textes est une autre affaire.
Ces dernières années, de nombreuses infractions ont été commises, mettant en jeu des enfants qui ont immigré aux États-Unis sans leurs parents et qui se sont retrouvés à travailler de longues heures, parfois dans des emplois dangereux, alors qu’ils étaient encore très jeunes. Actuellement, l’amende maximale est de 15 138 dollars par enfant. Les projets de loi en cours de discussion porteraient la sanction à près de dix fois ce montant s’ils étaient adoptés.
Par ailleurs, plusieurs démocrates ont introduit des mesures visant à renforcer les restrictions fédérales en matière de travail des enfants, en particulier dans l’agriculture.
Une épreuve de force entre l’État fédéral et les États fédéraux légiférant en sens inverse sur la question de savoir si les jeunes Américains ont leur place sur le marché du travail paraît ainsi inévitable.
John A. Fliter, Associate Professor of Political Science, Kansas State University et Betsy Wood, Assistant Professor of American History, Bard College
< !—> http://theconversation.com/republishing-guidelines —>