L’exécutifL’exécutif a changé de pied. Deux jours après le décès du jeune Nahel à Nanterre (Hauts-de-Seine), le ministre de l’intérieur entend réprimer sévèrement la révolte qui s’exprime dans plusieurs villes du pays. « Nous avons procédé à un déploiement massif de forces de l’ordre pour ce soir et cette nuit », a indiqué Gérald Darmanin aux préfets jeudi après-midi, évoquant la mobilisation de quarante mille personnels, dont ceux des forces d’intervention spéciale comme le Raid, le GIGN et la BRI.
Dans le même message, le numéro 3 du gouvernement recommande « des interpellations dès le début des heurts » et une « présence devant les lieux de service public », comme les mairies et les écoles. « L’ordre public doit être rétabli avec fermeté », conclut-il. La veille et l’avant-veille, les forces de police et de gendarmerie sur le terrain avaient reçu comme consigne de ne pas aller à l’affrontement avec les jeunes.
Emmanuel Macron et Gérald Darmanin lors d’un réunion publique dans le quartier de La Busserine à Marseille, le 26 juin 2023. © Photo Ludovic Marin / Pool / AFP
L’évolution des consignes de la Place Beauvau n’est pas qu’une affaire de maintien de l’ordre. Elle traduit le bougé politique du pouvoir, qui veut à tout prix éviter l’embrasement de 2005. « On revient sur une ligne de fermeté parce que c’est le seul moyen de retrouver le calme », traduit une source gouvernementale. Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, a dénoncé jeudi matin sur BFMTV des « attaques contre la République ».
Et revoilà Gérald Darmanin dans son couloir habituel : dénonciation des violences le matin, visite dans un commissariat l’après-midi, consignes de répression le soir. Jeudi, Matignon a donné pour consigne aux ministres d’annuler tous les déplacements qu’il était possible d’annuler. À la place, la première ministre, Élisabeth Borne, et quatre de ses ministres (Gérald Darmanin, donc, mais aussi Éric Dupond-Moretti pour la justice, Pap Ndiaye pour l’éducation, Olivier Klein pour la ville) sont allés constater sur le terrain les dégâts de la nuit précédente.
« On ne peut pas faire fi de la violence qu’on a vue, justifie une conseillère ministérielle. On ne crame pas une école en France, qu’on soit légitimement en colère ou pas. Pour l’instant, notre réponse ne peut être qu’une séquence d’ordre. » Comme pendant les « gilets jaunes » ou le mouvement contre les retraites, le camp présidentiel s’accroche au désir d’ordre que manifesterait, à l’en croire, son électorat. « Les gens sont sidérés par la mort de Nahel mais ils ont du bon sens, veut croire une cadre de la majorité. Ils trouvent aussi inacceptable de brûler une mairie ou une école. »
L’arrière-pensée n’est pas dénuée de sens tactique, dans l’esprit d’un ministre et d’une majorité qui ont fait de « l’ordre républicain » un de leurs rares marqueurs politiques. Mais elle est aussi purement sécuritaire : en exhibant sa fermeté, le pouvoir espère éviter un ancrage et une propagation de la révolte. Une conseillère ministérielle confirme « suivre de près » la situation et pronostique : « Jusque-là, ça ne chauffe pas partout de la même manière. Si le 93 se réveille, on est foutus. »
Les violences policières, grandes absentes du discours de Macron
Du point de vue de l’exécutif, le décès de Nahel n’arrive pas à n’importe quel moment. Le président de la République avait décidé de consacrer sa semaine aux quartiers populaires. Après un déplacement de trois jours à Marseille (Bouches-du-Rhône), de lundi à mercredi, Emmanuel Macron devait laisser Élisabeth Borne présenter vendredi le détail de son plan « Quartiers 2030 ».
C’est depuis la cité phocéenne qu’Emmanuel Macron a appris le décès de Nahel, mardi. Une concomitance qui explique, veut croire un de ses proches, pourquoi il n’a pas hésité à qualifier la mort de l’adolescent de fait « inexcusable » et « inexplicable ». « Il était en plein dans cette réalité de terrain, avec la partie de son gouvernement et de son cabinet la plus sensible à ces problématiques, souligne cette source. Ça a forcément joué. »
Dans la foulée, Gérald Darmanin lui-même a dénoncé des « images extrêmement choquantes » et promis des sanctions contre « un policier qui n’a manifestement pas agi conformément à la législation ni à la déontologie ». Un ton qui a surpris, dans la bouche d’un ministre plutôt habitué à la défense inconditionnelle des forces de l’ordre. « Il n’avait pas le choix, siffle une députée influente de la majorité. Le ministère de l’intérieur ne va pas contredire le président de la République ! Il a dû suivre. »
Dans le camp présidentiel, plus grand monde ne croyait encore dans la réussite des « cent jours d’apaisement » décrétés en avril par Emmanuel Macron. Les événements de la nuit dernière ont fini de doucher les espoirs des plus candides. À peine sorti des retraites, l’exécutif se retrouve embourbé dans une nouvelle crise sociale et politique.
Et le sujet est d’autant plus difficile à attraper pour le pouvoir qu’il s’est jusque-là acharné à l’occulter. Dernier exemple en date, le plus criant peut-être : lundi soir, alors qu’il passait trois heures dans un gymnase marseillais pour présenter son ambition pour les quartiers populaires, Emmanuel Macron n’a pas eu un seul mot, une seule mesure sur les violences policières. Pourtant au centre des revendications portées par les acteurs et actrices de terrain, la relation police-population a progressivement disparu du logiciel politique.
Les révoltes de la semaine la font revenir par la fenêtre. Étonnamment, le gouvernement espère encore s’en sortir sans y répondre. Alors que, déjà, émergent des revendications politiques et des critiques de la loi de 2017 sur l’usage des armes, les macronistes reportent la discussion aux lendemains. « On ne répond pas dans le tunnel de l’émotion, plaide Maud Bregeon, députée des Hauts-de-Seine et porte-parole de Renaissance. Les sujets doivent être posés par temps calmes. Personne n’a la tête assez froide pour raisonner sereinement là-dessus aujourd’hui. »
Borne maintient son plan quartiers, envers et contre tous
Au gouvernement, le conseiller d’un ministre de premier plan embraye. « On ne fait pas une loi sur un fait isolé, ce n’est pas comme ça que ça marche, assure-t-il. Quelle mesure serait à la hauteur de la vie d’un jeune homme ? Pour l’instant, le pouvoir institutionnel reconnaît la faute et la condamne, laisse l’expression de cette émotion mais rappelle qu’il y a un cadre du vivre-ensemble. Après, seulement, on en arrivera au temps des réponses et de la solution à trouver. »
Contre toute attente, la première ministre a décidé de maintenir le Conseil interministériel des villes (CIV) vendredi. Il ne se déroulera finalement pas à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), et pour cause : les maires, les parlementaires et l’État local ont milité d’une seule voix pour convaincre Élisabeth Borne de ne pas venir. « Ce serait perçu comme une provocation », lui a-t-on expliqué en substance.
Pour autant, la cheffe du gouvernement compte se montrer en première ligne sur la séquence. Jeudi, elle a sommé ses équipes de lui organiser un déplacement dans les quartiers populaires. « Elle ne veut pas qu’on dise qu’elle a peur de se rendre dans les quartiers ou qu’elle ne peut pas y entrer, décrypte une proche. Elle est mère de famille, cette histoire l’a beaucoup touchée, elle a envie d’être avec les habitants des quartiers. » Vendredi, le CIV aura donc bien lieu… mais à Matignon, loin des quartiers populaires.
En début de soirée, Élisabeth Borne a dépêché trois conseillers, dont son directeur de cabinet Aurélien Rousseau, pour expliquer sa décision aux journalistes. « On veut montrer qu’on est dans un engagement fort du gouvernement et pas seulement dans une réaction aux événements », a dit l’entourage de la première ministre. Dans Le Figaro, le même entourage a promis des « annonces fortes ». Aucune, pourtant, ne semble concerner la question des violences policières.
De quoi faire grincer des dents au sein du camp présidentiel. « Soit elle est en capacité d’annoncer quelque chose qui réponde vraiment aux préoccupations du moment, soit elle sera inaudible », résume une députée de la majorité. La conseillère ministérielle citée plus haut embraye : « Ça ne va faire que renforcer l’impression de déconnexion. Annoncer des trucs sur l’Anru [agence nationale pour la rénovation urbaine — ndlr], c’est bien, c’est mignon mais bon… Les jeunes les plus énervés vont dire “Regardez ces enfoirés, ils se payent notre tête et ils n’ont toujours rien compris.” Elle prend un vrai risque. »
Ilyes Ramdani