Alors que le problème de la balance des paiements du pays s’est aggravé en 2022, les citoyen·nes ont été confronté·es à des pénuries et à des coupures d’électricité prolongées. Iels sont descendu·es dans la rue pour protester massivement et ont chassé les Rajapaksas, qu’iels tenaient pour responsables de leurs souffrances. La petite musique demandant l’aide du FMI a persisté malgré ces événements dramatiques.
En juillet 2022, l’ancien Premier ministre Ranil Wickremesinghe a été élu Président à l’issue d’un vote parlementaire réalisé dans l’urgence. L’une des premières tâches qu’il s’est fixées a été de négocier un accord avec le FMI afin de relancer l’économie du pays. Le Sri Lanka a conclu un accord avec le Fonds le 1er septembre 2022, pour un prêt de 2,9 milliards de dollars.
À la recherche d’un renflouement
M. Wickremesinghe a annoncé que son gouvernement avait mis en place 15 mesures demandées par le FMI, conditions du versement de son « aide ». Celle-ci a finalement été validée à la fin du mois de mars 2023.
En fait, le Sri Lanka espérait l’obtenir à la fin de l’année 2022, ou au moins en janvier 2023, mais le processus a traîné en longueur. L’une des principales raisons de ce retard est liée aux assurances de financement écrites de la Chine, du Japon et de l’Inde, les trois principaux créanciers bilatéraux du Sri Lanka. Le FMI avait conditionné son programme à leur coopération. L’Inde a pris les devants et a envoyé ses assurances au Fonds en janvier, suivie par le groupe de créanciers du Club de Paris, dont fait partie le Japon. Seules les assurances de financement écrites de la Chine étaient en attente.
Le gouvernement et une partie de la population du Sri Lanka considèrent ce versement du FMI comme une étape cruciale de son redressement économique. De toute évidence, un mécanisme élargi de crédit de 2,9 milliards de dollars sur une période de quatre ans n’est pas une grosse somme pour le Sri Lanka. Même après avoir rationalisé les importations pour économiser des dollars, la nation insulaire dépense bien plus d’un milliard de dollars chaque mois pour les seules importations essentielles. Les exportations ont totalisé 978 millions de dollars en janvier 2023, ce qui témoigne d’un déficit commercial persistant.
Toutefois, le programme du FMI aide le Sri Lanka à devenir plus solvable aux yeux des prêteurs mondiaux, qu’il s’agisse d’agences multilatérales comme la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement, de partenaires bilatéraux ou de créanciers privés. Le pays en faillite, qui a fait défaut sur sa dette extérieure de 51 milliards de dollars en 2022, espère qu’un accord avec le FMI lui permettra d’emprunter à nouveau. Après être tombé dans un cycle d’emprunts inconsidérés, en particulier au cours des 15 dernières années, le Sri Lanka se trouve dans une situation où son problème et sa solution se ressemblent étrangement à ce stade.
S’attaquer à la corruption
Ce qui pourrait faire la différence cette fois-ci, c’est l’accent mis par le FMI sur la lutte contre la corruption au Sri Lanka, point de ralliement de nombreux·ses économistes et analystes politiques sri-lankais·se. Selon elleux, c’est la corruption qui a conduit le Sri Lanka au bord du précipice. Selon elleux, la corruption, associée à la tendance de l’État à mettre en œuvre des programmes d’aide sociale « populistes » qui ne sont pas viables, a fragilisé l’économie du pays au fil du temps. À tel point que 16 des accords passés avec le FMI n’ont pas réussi à redresser la situation du Sri Lanka.
Les détracteur·ices du FMI, une très petite minorité au Sri Lanka, considèrent qu’un programme du FMI fait partie du problème et non de la solution. Iels craignent que les mesures d’austérité qui l’accompagnent ne portent un coup fatal à la population, en particulier à la classe ouvrière du pays, qui est la plus touchée par cette crise. Par ailleurs, il n’y a pas de débat public passionné ou de résistance populaire au FMI au Sri Lanka, contrairement à ce qui s’est passé récemment en Argentine, par exemple. En ce qui concerne le programme du FMI, le/la Sri Lankais·e moyen·ne se préoccupe davantage de savoir quand il sera mis en œuvre que de savoir si le pays en a réellement besoin.
Même les syndicats, qui protestent actuellement contre la forte augmentation des impôts et des factures de services publics - introduite par le gouvernement en prévision du programme du FMI - ne s’opposent qu’aux mesures politiques spécifiques qui leur portent préjudice. Pour le reste, ils semblent se réconcilier avec un énième programme de réformes mené par le FMI, une « pilule inévitable et amère », comme on l’entend souvent dire.
Insécurité alimentaire
Au cours de l’année 2022, les familles pauvres ont été contraintes de réduire considérablement leur consommation de nourriture. La flambée des prix a rendu les œufs, le poisson et la viande inaccessibles pour beaucoup, ce qui a suscité l’inquiétude des médecins quant au niveau de nutrition de la population. Avec une inflation de plus de 50 %, la moitié des familles du Sri Lanka sont obligées de réduire la quantité de nourriture qu’elles donnent à leurs enfants, a constaté l’organisation humanitaire Save the Children. En outre, elle a mis en garde contre une « véritable crise de la faim ». Dans sa mise à jour de janvier 2023, le Programme alimentaire mondial a estimé que 33 % des ménages sri-lankais étaient en situation d’insécurité alimentaire.
Quelle que soit la quantité d’argent que le Sri Lanka pourra emprunter par la suite, la route sera très longue avant un éventuel redressement.
En mars 2023, le pays a été témoin d’une nouvelle vague de protestations, principalement de la part des travailleur·euses et des professions libérales, alors que les difficultés économiques de la population augmentent. Le gouvernement a également été critiqué pour le report des élections locales début 2023, alors que de nombreux sondages ont indiqué une augmentation significative du soutien aux partis d’opposition. Mais pour les milieux d’affaires, l’administration Wickremesinghe symbolise une version de la stabilité. La démocratie peut attendre, affirment-ils, car la reprise économique est urgente. Pour beaucoup d’autres, M. Wickremesinghe, qui a perdu son mandat lors des dernières élections générales et qui est arrivé au pouvoir avec le soutien du parti de M. Rajapaksas, largement méprisé, représente la continuité d’un ordre politique qu’iels se sont battu·es pour changer. Ils considèrent les élections comme un baromètre essentiel qui reflétera ce sentiment.
En attendant, la façon dont le Sri Lanka tracera la voie de la reprise économique dans les mois à venir sera essentielle. Près d’un demi-siècle après la libéralisation de son économie - le Sri Lanka a été le premier de la région à le faire - le pays est confronté à des questions fondamentales, concernant la quantité qu’il produit, la quantité qu’il importe encore et le peu de diversification de ses exportations au cours de toutes ces années.
Ces questions vont au-delà du problème de la corruption. Elles ont également une incidence sur le progrès global du pays, qui ne peut être mesuré sans tenir compte de l’ampleur des inégalités.
La dernière enquête sur les revenus et les dépenses des ménages de 2019, réalisée avant la pandémie et la crise du Sri Lanka, a montré une augmentation du coefficient de Gini, synonyme d’aggravation des inégalités. Le FMI a déclaré qu’un élément clé de son programme consisterait à atténuer l’impact de la crise sur les pauvres en augmentant les dépenses sociales et en améliorant la couverture et le ciblage d’un filet de sécurité sociale. Alors que le gouvernement poursuit ses mesures d’austérité, il reste à voir s’il peut soutenir ses citoyens les plus vulnérables.
Meera Srinivasan
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