Depuis l’indépendance votée par le Parlement du Kosovo en 2008 [2], les accords durement négociés par l’UE depuis 2011 semblaient s’être conclus positivement en mars dernier : ils visaient la reconnaissance par Pristina d’une « Association des communes à majorité serbe du Kosovo », moyennant le respect par Belgrade de l’intégrité des frontières du Kosovo et de la participation du Kosovo à des instances et négociations internationales. L’application pratique de l’accord a volé en éclats et provoqué la démission en bloc des autorités des municipalités à majorité serbe. L’hostilité d’Albin Kurti, dirigeant kosovar élu en 2021 [3], envers tout statut d’autonomie de ces municipalités, l’a poussé à mettre le feu aux poudres : il a décidé d’organiser des élections locales et d’en reconnaître les maires malgré le boycott appelé par la liste serbe et massivement suivi.
C’est le spectre de la Republika Srpska « entité serbe » de la Bosnie-Herzégovine (B&H), issue des accords de Dayton (1996) qui hante les dirigeants du Kosovo — comme d’ailleurs ceux de Kiev, avec à l’arrière-plan les impasses des « Accords de Minsk » sur le Donbass après 2014.
De Dayton et de la Republika Srpska au Kosovo
Mettant fin à trois ans de dépeçage ethnique de la B&H, les accords de Dayton léguèrent une B&H pseudo « souveraine » (dans ses frontières) mais durablement divisée en « entités » ethniquement nettoyées et dominées par les forces nationalistes bosno-serbes et bosno-croates menaçant régulièrement de sécession vers les pays voisins.
Parrainés par Washington, ces accords avaient été co-signés par Izetbegović (qui s’y trouvait légitimé comme président) mais aussi par Milošević, dirigeant de la Serbie, et Tudjman, dirigeant de la Croatie, habilités à parler au nom « des Serbes » et « des Croates » et à gérer les affaires « intérieures » de leur pays (respectivement le contrôle du Kosovo et l’expulsion de centaines de milliers de Serbes de la Krajina croate).
C’est ce constat qui a fait basculer, en 1996, une partie des Albanais du Kosovo vers la lutte armée de l’UCK (Armée de libération du Kosovo) pour l’indépendance, rompant avec le combat pacifiste impulsé jusqu’alors par Ibrahim Rugova et la LDK (Ligue démocratique du Kosovo). L’UCK gagna en popularité au fur et à mesure de sa répression par Belgrade qui la traitait comme « terroriste » comme le faisaient les États-Unis et l’UE. Cette dernière, marginalisée à Dayton, espérait un succès diplomatique de sa « politique extérieure » dans la négociation sur le statut du Kosovo à Rambouillet en 1999 en escomptant un accord avec Milošević, comme à Dayton.
La supposée souveraineté du Kosovo
Sauf que, constatant la popularité de l’UCK sur le terrain, les États-Unis décidèrent d’en faire des alliés de l’Otan (pour obtenir une base militaire au cœur des Balkans et contrer toute autonomisation de l’UE). Loin de capituler et d’être affaibli, Milošević se trouva consolidé au grand dam de son opposition libérale (alors qu’elle dominait dans toutes les grandes villes). Le fiasco militaire et politique de l’Otan en absence de mandat de l’ONU dans ce qui se transforma en guerre pendant trois mois plaça l’Alliance au bord de l’éclatement à la veille d’un anniversaire de ses 50 ans qui aurait pu décider de sa dissolution. La sortie de crise imposa la réinsertion rapide de l’ONU dans la négociation de la résolution 1244 du Conseil de sécurité. Loin des présentations mythiques du scénario de cette guerre, c’est la Serbie qui (jusqu’à ce jour) s’est revendiquée de cette résolution 1244 (votée par la Russie !) et non pas les Albanais — excluEs des négociations. Le protectorat de l’ONU (puis de l’UE) alors introduit et appuyé sur la force militaire de l’Otan (la KFOR) protégea certes le retour rapide des AlbanaisEs qui avaient fui la guerre, mais il maintenait le Kosovo comme « province » dans les « frontières de la Yougoslavie » — ou de ce qu’il en restait jusqu’au départ du Monténégro en 2006… L’« indépendance » fort encadrée par les parrains qui en rédigèrent les conditions fut votée par le Parlement (et ratifiée par un vote populaire) en 2008.
Une police propre au Kosovo fut alors supposée remplacer la KFOR de l’Otan, illustrant une supposée souveraineté mais en fait une néo-colonisation économique du Kosovo.
Priorités de realpolitik ou « paix juste et durable » ?
La Serbie voisine continue à menacer et à instrumentaliser les minorités serbes de B&H ou du Kosovo. Mais elle n’est pas la Russie. Et l’attractivité de l’UE est forte dans les Balkans malgré les doutes croissants sur les ouvertures pratiques. Après le rejet initial de l’Otan et de l’UE, l’actuel pouvoir serbe joue sur tous les tableaux — y compris la demande d’adhésion à l’UE et la participation à des manœuvres militaires avec l’Otan ou la Russie. Les médias sont muselés, et Aleksandar Vučić tient le pays d’une main de fer, en mobilisant l’extrême droite en soutien des Serbes du Kosovo — fort des gesticulations en sa faveur des dirigeants de l’UE … et des États-Unis.
Ceux-ci ont reproché à Albin Kurti de faire capoter l’accord négocié par l’UE et de mettre le feu aux poudres. La première sanction annoncée par Washington est l’annulation de la participation du Kosovo à l’exercice militaire Defender Europe 2023 et l’arrêt de la campagne internationale pour sa reconnaissance. Le retour de la Kfor à la place de la police kosovar (rejetée par les Serbes) « est un mauvais signal », analyse Belgzim Kamberi, de l’Institut Musine Kokalari, un centre d’analyse social-démocrate de Pristina. « Cela signifie que la souveraineté du Kosovo sur le nord est toujours illusoire, puisque aujourd’hui la zone est directement reprise en main par l’Otan. [4] » Dans la même logique, Macron et les dirigeants de l’UE ont exigé de nouvelles élections et la reconnaissance de « l’Association des communes à majorité serbe » comme condition d’une « intégration européenne ». Sauf que celle-ci, comme pour Kiev, prend le chemin de la nouvelle « Communauté politique européenne » sorte de « salle d’attente » sans aucune politique capable d’offrir un cadre égalitaire et progressiste aux populations concernées. On est loin des conditions de paix juste et durable.
Catherine Samary
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