Le directeur de l’ONG Iran Human Rights, Mahmood Amiry-Moghaddam, décrit les nouvelles formes de résistance qui se créent dans le pays face à la répression féroce du régime des mollahs, sept mois après la mort de Mahsa Amini.
Sept mois après la mort de Mahsa Amini, consécutive à son arrestation par la police des mœurs pour avoir porté des « vêtements inappropriés », la colère ne faiblit pas en Iran. Si la répression féroce est parvenue à l’essoufflement du soulèvement dans la plupart du pays, d’autres formes de protestation ont vu le jour ces dernières semaines. De passage à Paris, Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur d’Iran Human Rights, une ONG établie en Norvège, explique comment la société iranienne a muté de manière irréversible.
Où en est le mouvement de contestation, sept mois après le début du vent de révolte en Iran ?
Les autorités iraniennes ont réussi, dans une certaine mesure, à mettre fin aux grandes manifestations dans la plupart du pays, bien que le mouvement se poursuive au Baloutchistan et dans certaines régions kurdes.
Mais la protestation silencieuse continue. Si vous marchez dans les rues de n’importe quelle ville, vous verrez qu’un grand nombre de femmes ne portent plus le hijab. Les Iraniennes font preuve d’une désobéissance civile très forte. C’est sans précédent depuis 1980.
Nous ne sommes plus du tout dans la situation qui prévalait avant l’assassinat de Mahsa Amini. L’impact le plus important de ces protestations a été l’autonomisation des femmes et des minorités ethniques.
Comment expliquer cet essoufflement du mouvement dans l’espace public ?
Au cours des sept derniers mois, le régime a utilisé toutes les ressources dont il disposait pour mettre fin aux grandes manifestations, en particulier à Téhéran et dans les grandes villes.
– Il a commencé par des arrestations massives. Près de 20 000 personnes sont emprisonnées à ce jour, soumises à des actes de torture et de violences sexuelles.
– Puis, des manifestants ont été tués : au moins 530 individus sont morts à cause de la répression. C’est à ce moment-là que la communauté internationale a haussé le ton et que le régime a utilisé d’autres méthodes, en tirant par exemple sur les visages des protestataires avec des fusils à plomb.
– Le nombre d’exécutions a également augmenté de manière drastique [+75% entre 2021 et 2022, ndlr], même si la plupart des personnes pendues avaient été condamnées à mort pour des crimes de droit commun comme le trafic de drogue. La peine capitale est un instrument très puissant pour répandre la peur dans la société. Le régime l’a déjà utilisé dans le passé, il sait que ça fonctionne.
Combien de manifestants sont actuellement dans le couloir de la mort ?
Une vingtaine de manifestants ont été condamnés à mort ou font l’objet d’une procédure de réexamen. Et plus d’une centaine est susceptible d’être poursuivie.
La raison pour laquelle il n’y a plus d’exécutions et de condamnations ces derniers temps est due à la très forte réaction de la communauté internationale.
Que sait-on de la vague d’empoisonnements qui touche les filles dans les écoles ?
Ces attaques chimiques sont coordonnées et se déroulent dans tout le pays. Elles ont fait plus de 200 victimes, selon les chiffres officiels, et près d’un millier d’écoles ont été touchées au cours des cinq derniers mois. Personne d’autre que le régime lui-même ne peut faire une action d’une telle ampleur. C’est une autre manière de punir, car les écoles de filles étaient très actives durant les manifestations et peuvent jouer un rôle important dans la révolte.
Le régime se bat pour sa survie. Il sait que tôt ou tard, une nouvelle vague de protestations déferlera.
Ce mouvement social n’a pas seulement pour objectif d’aboutir à un changement de régime.
Des milliers de femmes ne veulent plus être reléguées au rang de citoyens de seconde zone. Il s’agit donc d’un mouvement massif de défense des droits humains, et c’est ce que les autorités redoutent par-dessus tout.
D’autant que nous sommes face à un régime qui n’est pas seulement oppressif, mais aussi très incompétent et corrompu. Lorsqu’un système politique n’est pas soutenu par la population, la peur reste la seule clé qui garantit son existence.
Les autorités ont récemment fait savoir que les femmes non voilées seront désormais traquées par des caméras de surveillance…
C’est ce qu’elles ont déclaré et elles ont probablement déjà accès à cette technologie. Mais cette décision montre aussi que le régime a perdu la bataille, car s’ils avaient le même pouvoir qu’avant la mort de Mahsa Amini, ils auraient pu arrêter ces femmes, les battre, les tuer. Ils ne peuvent plus faire ça.
Et en même temps, ils ne peuvent pas revenir en arrière, en leur permettant de choisir de ne pas porter le voile. Cela sonnerait le début de la fin.
La dissolution de la police des mœurs n’était donc qu’un leurre ?
Cette dissolution n’était qu’une manœuvre pour détourner l’attention de la communauté internationale. Vous savez, la police des mœurs n’était que l’un des organes d’oppression. Il ne s’agissait en fait que d’une réorganisation.
Le régime a compris que ces patrouilles faisaient plus de mal que de bien et ont essayé de les rendre moins visibles face à la colère de la population. Il ne peut toutefois pas se permettre de changer la loi.