Au bout du fil, la voix paniquée d’une consœur afghane, bloquée au Pakistan, à Islamabad. Livrée à elle-même, à l’insécurité et à l’opprobre car, femme seule au cœur d’une société ultraconservatrice et patriarcale, elle attend désespérément un visa humanitaire pour la France qui ne vient pas. « L’ambassade me dit d’attendre encore mais je ne peux plus attendre, cela fait des mois que je suis là. Je n’ai plus d’argent, nulle part où dormir. »
Après l’enfer des talibans, l’enfer pour obtenir l’asile au pays des droits humains et des frontons « Liberté, Égalité, Fraternité ». Le cauchemar ne se terminera donc jamais, même pour les Afghanes qui parviennent à fuir et à se mettre en chemin pour l’Europe ?
Les talibans imposent aux femmes le port en public d’un voile intégral, de préférence la burqa (Afghanistan, janvier 2022). © Photo Rachida El Azzouzi / Mediapart
Combien sont-elles en quête de protection de la France, à endurer un parcours du combattant au Pakistan ou en Iran ? Des professeures, des infirmières, des médecins, des policières, des juges, des cheffes d’entreprise, des journalistes, des sportives, des activistes, des artistes, des employées d’ONG, des étudiantes, des femmes qui ont accédé à l’éducation, au travail ces deux dernières décennies et qui ont vu leurs efforts et leurs espoirs d’émancipation anéantis, du jour au lendemain, par des mollahs qui s’attachent désormais à les effacer méthodiquement.
Combien sont-elles à affronter les dangers, les obstacles et les frais d’une évacuation qui repose sur leurs seules épaules, sans aucune aide de l’État français ? Il leur faut trouver l’argent pour financer le périple, faire face à la corruption des administrations, obtenir un passeport, un visa dans l’un des pays frontaliers où la France possède une antenne consulaire... Puis réussir à sortir d’Afghanistan, à franchir les frontières sous haute surveillance des talibans, avec un mahram, un chaperon masculin pour celles qui voyagent seules, payer le chauffeur qui voudra bien les conduire, l’hôtel, la nourriture. Et au bout du tunnel, pour celles qui parviennent à s’extraire de l’interminable transit et à s’acquitter du billet, il y a l’avion pour la France.
Autre appel, autre témoignage, même détresse. Menacée de mort par les talibans, Huma Ahadi, journaliste et activiste féministe, a rallié le Pakistan, il y a près d’un an. Elle y a accouché de son enfant dans des conditions chaotiques, éprouvantes. Après cinq mois d’efforts répétés, elle a obtenu un rendez-vous avec l’ambassade de France.
Six mois se sont écoulés depuis l’entretien et elle n’a toujours pas de visa, malgré le soutien du SNJ (Syndicat national des journalistes) et de la FIJ (Fédération internationale des journalistes), alors même que son nom a été transmis par ces organisations au ministère des affaires étrangères. « Le dernier e-mail que j’ai reçu des autorités françaises remonte à la semaine dernière, lorsqu’elles m’ont posé des questions supplémentaires auxquelles j’ai répondu », confie-t-elle à Mediapart.
Contacté, le ministère des affaires étrangères assure « apporter une attention particulière à la situation des journalistes, mais aussi des femmes afghanes particulièrement menacées », des situations qui seraient traitées « de manière prioritaire ». Ce n’est pas la réalité constatée sur le terrain.
Les madrasas, les écoles coraniques, se multiplient depuis le retour des talibans et deviennent le seul horizon éducatif pour les filles interdites d’étudier au-delà de l’âge de 12 ans (Kandahar, Afghanistan, janvier 2022). © Photo Rachida El Azzouzi / Mediapart
Où est donc la promesse présidentielle d’Emmanuel Macron, clamée le 16 août 2021, de « protéger celles et ceux qui sont les plus menacés » par le retour triomphal des fondamentalistes islamistes ? Où est donc la promesse présidentielle d’Emmanuel Macron de « [rester] fraternellement aux côtés des Afghanes » dont le sort tragique n’en finit plus de s’aggraver, jour après jour, sous le joug taliban, au point que le suicide soit aujourd’hui l’une des échappatoires ?
Près de deux ans après le retour des talibans, « les femmes en Afghanistan sont mortes », témoigne la comédienne et chanteuse afghane Raha Sepehr, dans un français qui impressionne. Arrivée à l’été 2021, dix jours après la chute de Kaboul grâce au dispositif exceptionnel d’évacuation alors mis en place, elle est l’invitée de notre émission « À l’air libre », consacrée à une urgence dont la France doit se saisir : offrir l’asile inconditionnel aux Afghanes et à leurs proches.
Encagées sous les burqas, confinées de force dans les foyers, privées de liberté d’expression, de circulation, d’accès au travail, à l’éducation et aux soins, soumises à une oppression systématique et brutale, celles-ci subissent de telles persécutions que l’Europe doit leur ouvrir ses portes.
C’est même la recommandation inédite de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, l’institution qui coordonne la protection des exilé·es en Europe. Mais à ce jour, seuls trois pays membres sur les 27 – la Suède, le Danemark et la Finlande – accordent l’asile systématique à celles qui sont les premières victimes de la terreur talibane. Il est temps que la France leur emboîte le pas.
La journaliste Solène Chalvon-Fioriti et la directrice de l’association France terre d’asile Delphine Rouilleault, également invitées de notre émission « À l’air libre », en font un combat et appellent la France à développer une diplomatie féministe digne de ce nom.
« Il n’y a aucune volonté politique pour faciliter la venue des femmes afghanes. Celles qui finissent par y parvenir après un chemin de croix sont seules. Dès lors qu’elles sont accompagnées de leur famille, d’un homme, les délais sont encore plus excessifs. Cela passe au filtre du ministère des affaires étrangères mais aussi du ministère de l’intérieur », déplore Solène Chalvon-Fioriti, rompue au terrain afghan depuis plusieurs années.
Son dernier documentaire, Afghanes, visible sur France Télévisions, nous plonge comme rarement dans l’intimité de femmes et de fillettes sur quatre générations et confirme la nécessité impérieuse d’accueillir sans conditions celles qui peuvent s’échapper de la nuit noire, de cet Afghanistan dévasté par la guerre, la pauvreté, la famine, seul pays au monde à priver les femmes du droit inaliénable à l’éducation, à leur interdire d’étudier au-delà de l’âge de 12 ans.
« L’épouse du président Macron devrait y être sensible. N’est-elle pas professeure ? », interpelle Solène Chalvon-Fioriti. « Quand le président veut, il peut,rétorque Delphine Rouilleault de France terre d’asile. On l’a vu avec les Ukrainiens. Tout a été fait pour que l’accueil soit digne. On a accueilli 100 000 personnes. Des femmes et des enfants essentiellement. » Le 16 août 2021, Emmanuel Macron insistait : « Les femmes afghanes ont le droit de vivre dans la liberté et la dignité. » Il est temps de transformer les paroles en actes.
Rachida El Azzouzi