Il y a aujourd’hui un débat à gauche sur la tactique mise en œuvre par LFI lors du débat parlementaire. Il est tout d’abord nécessaire de préciser un point. Contrairement à ce que laisse entendre Geoffroy de Lagasnerie dans un billet de blog sur Médiapart, il n’y a pas en l’occurrence de comportement adéquat en dehors d’une analyse concrète de la situation politique. Ce dernier oppose « les rituels parlementaires » à « la politique à l’état pur ». Or « cette vraie politique non domestiquée par des formes fictives » est une fiction. La politique est par construction est un objet hétérogène sauf à vouloir adopter une posture platonicienne qui fait de celle-ci la recherche de la vérité. Il n’existe donc pas de « vraie politique ».
Il est d’ailleurs assez ironique de constater que Geoffroy de Lagasnerie approuve le comportement de la majorité des députés LFI, lui qui avait été dans le passé un contempteur farouche de Jean-Luc Mélenchon et de LFI. Geoffroy de Lagasnerie est un antiparlementariste et il a de bons arguments pour cela, certes pas très originaux puisqu’ils trainent sur des bancs politiques très différents depuis environ deux siècles sinon plus. Toute la question est de savoir si, d’un point de vue démocratique, nous pouvons nous passer d’une représentation parlementaire malgré les défauts inhérents à la notion même de représentation et au fait que le parlement soit aujourd’hui sous domination de « l’exécutif » qui en fait n’exécute rien mais gouverne sans contrôle réel.
Au-delà de ce débat, il y avait a priori deux tactiques parlementaires possibles avec pour chacune de bons arguments. Bloquer le vote de la loi empêche que cette dernière puisse acquérir une légitimité parlementaire. Débattre de l’article 7, donc de la mesure principale, permet de montrer la faiblesse du soutien à cette mesure et est l’occasion d’essayer de mettre le gouvernement minorité, ce qui n’était pas certain loin de là, mais possible.
Le problème vient du fait que d’autres éléments entrent en ligne de compte. Le premier est celui de la position unanime de l’intersyndicale qui souhaitait que le débat puisse avoir lieu sur l’article 7. Que, de la CFDT à Solidaires, toutes les organisations syndicales se soient retrouvées sur la même position sur une question de ce type est assez rare pour que cela soit pris en compte. Or le lien entre les partis de la Nupes et l’intersyndicale est décisif non seulement pour cette bataille précise, mais dans la perspective plus large de créer un front politico-social porteur d’une alternative politique au macronisme et à l’extrême droite. Dans cette perspective, prendre le risque d’enfoncer un coin entre la gauche et l’intersyndicale est de mauvaise politique ce d’autant plus que la direction du PCF a pris prétexte de ce sujet pour en rajouter dans sa prise de distance vis-à-vis de LFI et de la Nupes.
Le second problème tient à l’image désastreuse que ce débat a renvoyé dans l’opinion. Il ne peut que nourrir un antiparlementarisme primaire ne servant, in fine, que le RN. L’attitude consistant à promouvoir un clash permanent peut plaire à une petite minorité radicalisée, mais elle ne peut convaincre la grande masse des gens. Le fait que les grands médias se soit régalés de cette situation est d’ailleurs significatif. Il ne s’agit pas certes de participer bien sagement à un débat tranquille et aseptisé ou, comme le dit Geoffroy de Lagasnerie de se comporter comme une opposition domestiquée, mais d’avoir un comportement qui soit à la fois compréhensible par tout le monde, qui redonne goût au débat poltique et qui ne soit pas destructeur des institutions auxquelles non seulement on participe mais auxquelles, comme LFI, on veut redonner un rôle majeur. C’est une ligne de crête difficile à tenir. Il me semble, par exemple, que ce qu’a fait Jérôme Guedj face à Olivier Dussopt correspond assez à ce qu’il fallait faire. Pas simple de toute façon…
Pierre Khalfa