Le premier des droits humains, c’est le droit à la vie. Or, les Etats-Unis disposent du leadership de la production des instruments de la mort, des armes de guerre d’abord, mais aussi des interventions meurtrières hors de leur territoire, dont l’invasion de l’Irak porte témoignage. Avec la Chine et quelques autres, ils sont en tête des Etats opposés à l’abolition de la peine de mort : plus d’un millier d’exécution depuis 1977... et des milliers d’autres qui attendent leur tour dans le couloir de la mort. [1]Parmi ces futur-e-s victimes... des prisonniers politiques, en dépit de leur inexistence proclamée dans les démocraties occidentales, aux Etats-Unis en particulier.
Un Etat cannibale
La ruse de cet Etat cannibale consiste à transformer les prisonnier-e-s d’opinion ou politiques en prisonniers de droit commun. Comme il s’agit d’un Etat structurellement raciste, il ne pouvait manquer une dose de discrimination raciale ou ethnique. Ainsi les Noir-e-s, les Chicanos et les Natives(« indien-ne-s »), démographiquement minoritaires, forment la majorité de la population carcérale condamnée « à vie » ou à mort, à l’American way of death, selon l’expression de Mumia Abu-Jamal. Celui-ci est l’un d’eux, à l’instar de Leonard Peltier, Eddie Hatcher, Marilyn Buck etc., transformés en droits communs [2]. Emprisonné depuis 1981, il est dans le couloir de la mort depuis 1983.
Poursuivi pour le meurtre du policier Daniel Faulkner, abattu en décembre 1981 à Philadelphie, tandis qu’il contrôlait son frère, Mumia, qui se trouvait dans les parages, se retrouva blessé à la fin des coups de feu. Défendu par un avocat d’office, il fut jugé et condamné à mort. Tout cela sur la base de témoignages manipulés, avec chantage à la clé, selon les aveux tardifs de la principale témoin de la police, Veronica Jones. Il existe aussi un aveu sous serment de celui qui s’est présenté comme le véritable meurtrier du policier Faulkner, Arnold R. Beverly, et qui a révélé la raison et les commanditaires anonymes de cet assassinat. A défaut de relaxe pure et simple, ces éléments auraient dû au moins donner lieu à la révision du procès. Mais, les autorités de Philadelphie paraissent toujours aussi déterminées à faire « griller le nègre », selon l’expression du président du tribunal.
Pourquoi un tel acharnement ? Parce qu’il est noir, politiquement engagé, et qu’il n’est pas une star milliardaire comme O. J. Simpson. Né dans les années 1950, il a croisé le chemin des Blacks Panthers, dont il est devenu membre actif. Il a eu la chance d’échapper à la campagne d’assassinats des dirigeants et militant-e-s du mouvement radical noir, déclenchée par le FBI, au début des années 1970. A l’instar de certains survivant-e-s de la répression policière et de la propagation de la toxicomanie dans la jeunesse noire par le FBI, comme Angela Davis, il a poursuivu son engagement critique sans concession.
Un militant exemplaire
Chauffeur de taxi pour survivre, il défendait la cause des noir-e-s opprimés, en tant que journaliste indépendant, en dénonçant les cas d’exploitation et d’oppression subis par des citoyen-ne-s des Etats-Unis, de quelque race qu’ils soient.
Ce qui lui a valu l’élection à la présidence de l’Association des journalistes noirs de Philadelphie. Fidèle à la conscience des Black Panthers, il est resté internationaliste. Comme le résume son avocat, Robert Bryan : « Mumia a été condamné parce qu’il est noir et que c’est un journaliste charismatique. Engagé aux côtés des pauvres, il dénonçait les abus, la corruption, le système carcéral comme, aujourd’hui, la guerre en Irak. Il poursuit ses engagements en produisant [en prison] toutes les semaines une chronique téléphonique diffusée sur les ondes de plusieurs Etats et publiée dans divers journaux ». [3]
La contre-offensive des bureaucrates de la mort
Si Mumia a pu échapper à l’exécution de la sentence, c’est à cause de la campagne de solidarité internationale pour un procès équitable. Toutefois, l’existence de centaines de comités de soutien à travers le monde n’a pas désarmé les bureaucrates de l’American way of death. Ainsi, font-ils de la résistance contre la révision du procès dans des conditions équitables [4]. Pire, ils sont passés à l’offensive contre les soutiens internationaux à Mumia, comme les mairies de Paris et de Saint-Denis, coupables, comme d’autres villes de France et d’ailleurs, d’avoir fait de Mumia, l’un de ses citoyens d’honneur ou d’avoir baptisé une rue de son nom.
Une plainte devait être déposée, le 27 novembre par les autorités de Philadelphie, pour incitation au meurtre de policiers.
Mais les comités de soutien à Mumia, mis au parfum, ont rendu publique cette entreprise d’intimidation et mobilisé contre elle. Après dénégation et annulation de la mission à Paris, les fonctionnaires de l’assassinat officiel auraient fait voter une résolution par la Chambre des représentants exigeant des municipalités françaises qu’elles reviennent sur leurs décisions en faveur de Mumia, menaçant même de faire pression sur le gouvernement français.
Le 17 mai, la Cour d’appel fédérale de Philadelphie a cependant accepté pour la première fois d’examiner des requêtes de la défense de Mumia dénonçant des violations de ses droits constitutionnels et une discrimination raciale flagrante. C’est un premier pas vers une révision possible de son procès. Ce succès aurait été inconcevable sans le mouvement de solidarité aux Etats-Unis et dans le monde. C’est pourquoi nous devons l’amplifier.
Sauver Mumia de la mort ne mettra pas fin aux injustices de la justice états-unienne, mais cela marquera un premier succès dans la lutte pour la libération de tous les prisonnier-e-s politiques/d’opinion aux Etats-Unis, dont ceux du goulag « démocratique » de Guantanamo [5], et pour l’abolition de la peine de mort. « Votre travail est très important, non seulement pour moi, mais pour des milliers d’hommes et de femmes dans le couloir de la mort à travers les Etats-Unis et partout dans le monde », envoyait-il comme message aux abolitionnistes, en février 2006. [6]