Crédit Photo. NPA
Sur un bout de trottoir, Adrien hésite. Il ne connaît personne, n’a jamais mis les pieds dans une réunion politique, mais les annonces du gouvernement le « mettent en colère ». Alors l’étudiant de 24 ans se décide à entrer. Il le fait pour sa mère, « qui porte des vieux toute la journée ». On comprend qu’elle est aide-soignante et que l’horizon de la retraite à 64 ans ressemble, pour elle, à « un supplice ». Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) a réuni les siens mardi soir à la Bellevilloise. Un meeting prévu de longue date qui, hasard du calendrier, tombe deux jours avant la première grande mobilisation contre la réforme des retraites.
« L’heure est grave »
Sur scène, les orateurs s’enchaînent. Olivier Besancenot, porte-parole du parti d’extrême gauche, électrise la foule. « La bataille que nous nous apprêtons à mener n’est pas seulement nécessaire, mais décisive, expose-t-il en insistant sur chaque syllabe. La contre-réforme du gouvernement doit retourner à l’endroit qu’elle n’aurait jamais dû quitter : la poubelle. » Pour lui, c’est « le retrait » ou rien. Sans note, fidèle à lui-même, l’ancien facteur sort des punchlines à la pelle. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt ? « C’est pas des mots qui sortent de sa bouche, c’est des codes wi-fi. On dirait un algorithme. » Il a le sourire. Ces jours-ci, Besancenot passe beaucoup de temps sur les plateaux télé. Son habileté oratoire et son goût pour la bonne formule font mouche. On sent qu’il aime ça. « Les libéraux ne regardent pas vers l’avenir, mais dans le rétro, assène-t-il. La retraite à 65 ans, c’est pas très original, ça date de 1910. Il y a plus d’un siècle ! »
L’invitée de la soirée s’appelle Rachel Keke. La députée LFI du Val-de-Marne, qui ne joue pourtant pas à domicile, est comme un poisson de l’eau. Au micro, elle commence par expliquer « connaître l’importance de la grève ». Et pour cause : elle a été l’un des visages de la lutte à l’hôtel Ibis des Batignolles qui, après vingt-deux mois, s’est soldée par une victoire. Keke, qui se revendique « avant tout femme de terrain », adopte un ton solennel. « L’heure est grave. On ne peut pas laisser le gouvernement nous mépriser à ce point. La lutte paye, la lutte paye, répète-t-elle. Alors descendez dans la rue. » Fabien Villedieu, cheminot SUD rail, est sur la même ligne. Il grimpe sur scène. Et appelle à un « raz-de-marée » dans la rue : « Notre beau système de retraite, le meilleur au monde, mérite qu’on mouille sa chemise. »
« Ça fait du bien de les voir aussi remontés »
Dans la salle, pleine à craquer, les organisateurs courent chercher de nouvelles chaises. 500 personnes sont annoncées. Une belle performance, alors qu’au même moment, les membres de la Nupes – dont ne fait pas partie le NPA – s’affichent bras dessus bras dessous dans une autre salle parisienne. Un jeune couple, venu par sympathie pour Philippe Poutou, se délecte. « C’est mieux qu’une série Netflix », rigole Julien. Assise à côté, sa compagne acquiesce : « Ça fait du bien de les voir aussi remontés, on a besoin d’énergie en ce moment. »
Il est 21h30. La fin du meeting approche. Philippe Poutou prend la parole. Les mains dans les poches, l’ex-candidat à l’élection présidentielle se dit « obsédé » par ce qui va se passer jeudi. Car, croit-il, « le niveau de mobilisation déterminera la suite ». S’il balaye toute accusation en « défaitisme », Poutou révèle avoir « peur » que la mobilisation contre les retraites ne soit « pas à la hauteur », que les gens ne soient « pas au rendez-vous ». Il pose beaucoup de questions. Du genre : « Pourquoi on n’est pas assez forts ? » En fait, il voit plus loin. « Nous devons nous battre contre les possédants et mener la guerre des classes. » Le refrain n’est pas nouveau. Finalement, Adrien, l’étudiant de 24 ans, ne regrette pas. Il sort de la salle « reboosté ». Il a envoyé des textos à sa mère toute la soirée et promet de revenir « la prochaine fois ».
Marceau Taburet, Libération