llesElles ont à peine 20 ans, elles sont féministes et en colère. À l’image de toute une jeune génération qui s’est politisée avec les luttes contre les violences sexistes et sexuelles, la transphobie ou les inégalités de genre, des militantes se battent au quotidien contre le cyberharcèlement sexiste. Envoi de photos dénudées sans consentement, de vidéos sexuelles non désirées, campagne de harcèlement sur les réseaux… Ces pratiques ont explosé ces dernières années, avec l’usage des réseaux sociaux.
Face à cette réalité qui toucherait plus de quatre Françaises sur dix, selon une étude menée par l’institut de sondages Ipsos publiée le 15 décembre, plusieurs jeunes associations féministes constituées ces sept dernières années tentent de se battre pour accompagner les jeunes filles victimes de violences en ligne et sensibiliser les pouvoirs publics.
Le délit de cyberharcèlement, passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende pour une victime majeure, a fait l’objet de
Des collectifs récemment créés
Considérée comme la pionnière, l’association Féministes contre le cyberharcèlement s’est créée en 2016, de manière « informelle » : « Fin 2015, plusieurs comptes diffusaient des photos volées de filles dénudées, durant ce qu’ils appelaient “la nuit des nudes”. Certaines n’avaient que 13 ans », se souvient Ketsia Mutombo, cofondatrice de cette association.
Confrontées à l’inefficacité des plateformes, des féministes s’organisent alors pour massivement signaler ces comptes. « Mais il n’y a eu aucune action de la part de Twitter. Quelques jours plus tard, on décide de faire une campagne numérique, #TwitterAgainstWomen, pour dénoncer la passivité de la plateforme », rapporte Ketsia Mutombo, à l’époque âgée de 21 ans. Dans ce groupe, elles sont plus d’une quarantaine, et se structurent finalement en association loi 1901.
FéministesVsCyberH
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• 81% des victimes se déclarent mal informées sur les plateformes d’aide, ce chiffre s’élève même à 92% pour celles qui avaient moins de 25 ans au moment des violences.
• Seules 27% des victimes disent avoir entendu parler du 30 18 et elles ne sont que 3% à y avoir eu recours.
e-Enfance/3018 et 8 autres personnes
3:19 PM · 15 déc. 2022
En avril 2020, Stop Fisha, une autre structure du même type, se crée pour lutter contre le revenge porn, soit la diffusion sans consentement d’images à caractère sexuel, une pratique qui aurait explosé pendant le confinement.
L’initiative est venue de Shanley Clemot McLaren, jeune militante féministe. Parmi celles qui répondent à son appel à s’organiser, Hajar Outaik, alors étudiante de 20 ans à l’université Paris 8 à Saint-Denis. « On est rapidement devenu un collectif. On venait de la France entière, de tous les milieux et de tous les âges », se souvient l’étudiante en information et communication.
Le décalage avec le mouvement féministe traditionnel
Les actions des deux associations vont autant dans l’accompagnement des victimes que dans la sensibilisation des instances de l’État. « On essaye de sensibiliser la police et chaque échelon de la chaîne pénale. On veut faire comprendre que le consentement existe partout, même en ligne », témoigne l’avocate Rachel-Flore Pardo qui a aidé Stop Fisha à se structurer.
L’association Féministes contre le cyberharcèlement organise des campagnes digitales afin de sensibiliser. Leurs membres rencontrent le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et échangent avec la délégation des droits des femmes de l’Assemblée. Mais elles observent un fossé entre les institutions et leurs revendications. Elles demandent des campagnes d’information et de prévention sur les cyberviolences, la mise en place d’une plateforme d’écoute et d’orientation destinée à toutes les victimes de violences en ligne, ainsi que la création d’un observatoire des cyberviolences de genre.
« La moyenne d’âge des participants aux réunions était de 45 ans. Parfois je devais répéter qu’il ne fallait pas interdire les “nudes”, ou que couper les réseaux sociaux n’était pas suffisant. On était complètement décalées », se rappelle Ketsia Mutombo. « Quand notre association est créée, on est marginalisées, pas prises au sérieux, comme si les violences en ligne se résumaient à couper ou non les réseaux sociaux », poursuit-elle.
Les victimes, elles, sollicitent de plus en plus les collectifs, parfois bien démunis. « Les solutions, on les trouve nous-mêmes », explique Hajar Outaik, cofondatrice de Stop Fisha.
Au passage, ces deux associations ne perçoivent pas de subventions publiques et elles ne réussissent à fonctionner que grâce à des dons. Féministes contre le cyberharcèlement est notamment soutenue par la Fondation des femmes quand Stop Fisha se maintient grâce au Fonds pour les femmes en Méditerranée.
Une problématique générationnelle
Irène Despontin Lefèvre, chercheuse sur les mobilisations féministes, explique ce vide par un positionnement des associations féministes plus global : « Au milieu des années 2010, les associations féministes ont un dénominateur commun : le harcèlement. Il n’était pas forcément question de lutter contre une forme particulière de violence, mais de lutter contre toutes les violences, pour toutes les victimes. Le harcèlement en ligne, lui, était considéré comme anecdotique. »
Pourtant, de nombreuses femmes affirment en être les victimes. Le phénomène vise particulièrement les personnes les plus vulnérables ou discriminées, notamment les personnes LGBTQI+ et les personnes racisées. Surtout, selon Féministes contre le cyberharcèlement, le phénomène touche les 18-24 ans dans une proportion alarmante.
Dans ces associations milite d’ailleurs une grande majorité de femmes très jeunes. « On a grandi avec les réseaux sociaux, on passe notre vie dessus, analyse Hajar Outaik. Il a peut-être été plus facile pour nous d’avoir ce déclic militant, cette envie de s’organiser. » Chez Stop Fisha, si quelques membres ont 50 ans et plus, l’écrasante majorité des militantes sont âgées d’entre 18 et 22 ans. Pareillement pour Féministes contre le cyberharcèlement à son lancement en 2016.
La prise en charge des cyberviolences sexistes est-elle une problématique générationnelle ? « Pas sûr », selon Irène Despontin Lefèvre. « Aujourd’hui, les associations féministes ont conscience du problème, les féministes ayant toujours été des cibles de choix de cyberharcèlement. Un effort est fait, notamment dans l’organisation interne. Elles font attention à la manière avec laquelle elles produisent leur contenu et le modèrent. »
Mais pas jusqu’à y consacrer de grosses campagnes. « On n’est pas encore assez », estime Hajar Outaik, pour qui beaucoup n’en ont « rien à foutre » des violences en ligne. Son association réclame un durcissement de la loi concernant les plaintes pour cyberharcèlement, et la reconnaissance de leur caractère genré.
Néanmoins, depuis deux ans, la chercheuse Irène Despontin Lefèvre observe un changement de la part des institutions comme des associations féministes. Le déclencheur ? Le confinement de mars 2020 : « Les rapports sociaux et les moyens d’expression étaient davantage en ligne. Par conséquent, les violences sexistes ont explosé en ligne. Ce qui a été une fenêtre d’opportunité pour travailler sur cette question », analyse-t-elle.
Pendant le confinement, la plateforme d’écoute de l’association e-Enfance (Net Écoute, devenu le 3018), référence pour la protection des mineur·es sur Internet, a enregistré une augmentation de 30 % des sollicitations, générant deux fois plus de signalements aux plateformes.
Christelle Murhula