Isaac Johsua, « Isy », est un militant de 1968, arrêté cet été là pour « reconstitution de ligue dissoute » en l’occurrence la JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire) et détenu quelques temps à la redoute de Gravelle (au bois de Vincennes) avec Alain Krivine et Pierre Rousset. Dominique Grange, la chanteuse d’alors les cite même dans une chanson d’époque (« A bas l’Etat policier ») … Animateur de la tendance minoritaire de la nouvelle Ligue Communiste, Isy (pseudo Creach, un nom trouvé sur une chaussette quand il avait été libéré en 68) avec Henri Maler (Rivière) refuse l’adhésion de la nouvelle organisation à la IVe internationale, et deux ans plus tard participe à la création de l’organisation Révolution ! (Révo pour les intimes) qui fusionnera ensuite avec la tendance Gauche ouvrière et populaire (GOP issue du PSU) pour former l’Organisation communiste des travailleurs. J’ai personnellement participé à toute cette aventure. Avec l’échec de l’OCT Isy va s’éloigner de l’activité proprement « partidaire », tout en restant engagé (et se rapprochant de la LCR) et poursuivant une activité d’économiste, chercheur et de pédagogue (cf. ses nombreux ouvrages). Tous ceux qui l’ont connu au fil des années ont souligné ses capacité d’analyse, mais aussi d’écoute, de pédagogie, sachant manier l’humour bienveillant. Mais ferme sur ses convictions, pourtant jamais sectaire. Je me souviens comment, dès 1970, il nous avait expliqué comment la révolution cubaine, (il avait passé un certain temps sur l’ile) s’engageait dans une impasse du volontarisme et de l’autoritarisme. Un jour, beaucoup plus tard, suite à une de ses excellentes interventions en tant qu’économiste, faite alors lors d’une journée d’été des Verts, il s’était excusé auprès d’anciens de Révo présents « de l’impasse dans laquelle ils les avait emmenés avec l’échec de l’OCT » … Tu rigoles avions-nous tous répondu, s’il y a eu échec, il fut organisationnel et collectif, mais ce fut aussi l’expérience formatrice de notre jeunesse… nous avons tant appris alors, avec toi et les autres…
Michel Théry a aussi participé à cette histoire. Celle de 68 et celles d’après. Un temps proche des « conseilliste » (le groupe Pouvoir Ouvrier, héritier de Socialisme et Barbarie, un petit mouvement mythique des années 50-60), puis du PSU, il rejoint Révo puis l’OCT et participé à la direction de ces organisations. Après l’échec de l’OCT il s’est investi dans une activité professionnelle multiforme et foisonnante, tour à tour chargé de cours d’économétrie à l’Université de Paris Dauphine, inspecteur du travail, il est cofondateur de l’Association Villermé crée avec des collègues pour réfléchir sur le droit du travail et ses applications. Délégué régional à la formation professionnelle en Normandie, chef du bureau du travail et de la formation des détenus à la direction de l’administration pénitentiaire, il rejoint quelques temps Bertrand Schwarz délégué interministériel à l’insertion des jeunes en difficulté, un sujet qui l’a toujours passionné. Ses quelques fréquentations de cabinet ministériels socialistes l’éloignerons de la politicaillerie. Il finira par se « stabiliser » à Marseille, comme chef du département formation et certification au centre d’études et de recherches des qualification (CEREQ). Etant moi-même, professionnellement ces années-là, responsable régional puis national du Contrôle de la formation professionnelle au Ministère du travail, j’aurais l’occasion a plusieurs reprises de croiser Michel. Toujours percutant, parfois brutal même car ne mâchant pas ses mots et volontiers provocateur, indifférents aux hiérarchies ou aux prêt-à-penser, ignorant la langue de bois, passionné par les expériences de terrain en matière de formation, d’insertion sociale et professionnelle, de vie …
Serge Depaquit participe à la même histoire et aussi une autre plus vaste. Jeune militant communiste dans les années 1950, il devient permanent de l’Union internationale des étudiants, organisation largement contrôlée par les soviétiques et dont le siège est à Prague, ou il rencontre des responsables de son âge, critique du stalinisme et des orientations moscoutaire. Un positionnement contestataire qui va s’accentuer avec ses mobilisations contre la guerre d’Algérie et son rôle dans l’Union des étudiants communistes, ou il soutient les « italiens » (c’est-à-dire les partisans de la ligne du PC Italien critique de Moscou). Cela aboutira logiquement à sa rupture avec le PCF en 1968, alors qu’il est pleinement engagé dans le mouvement et participe à plusieurs tentatives de création d’un nouveau parti politique dont le Comité d’initiative pour un mouvement révolutionnaire (CIMR) avec d’autres ex-communistes comme Jean Pierre Vigier et Victor Leduc. Finalement il entrera au PSU en 1973 – alors que d’autres sont en train de le quitter dont ceux de la tendance Gauche ouvrière et populaire GOP - dont il deviendra un temps le secrétaire général (1983-84). A cette époque Serge participe activement à la création du CODENE, le Comité pour le désarmement nucléaire en Europe, pendant français des nouveaux mouvements de paix indépendants qui se développent alors dans de nombreux pays d’Europe occidentale et tissent des liens avec divers groupes d’opposant en Europe de l’Est. Par la suite, dans le paysage éclaté de la gauche de ces années-là, il contribue activement, avec l’efficacité et la discrétion qui le caractérisent, à plusieurs lieux de réflexions et d’initiatives avec des militants associatifs ou syndicalistes, comme les Conférences inter- citoyennes européennes, la Fondation pour l’autogestion, le Forum de la gauche citoyenne, la Fondation Copernic, l’ADELS (Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale) et toutes sortes d’activités ou nous nous sommes souvent retrouvés.
Bernard Dreano