Retour sur les évènements de 2006
Le Mexique, nous répète-t-on à l’envie, serait devenu un pays démocratique, engagé sur la voie des Réformes...
Engagé dans les réformes voulues par le néo-libéralisme, c’est exact. Le Mexique s’est montré dévoué au FMI, a signé les accords de libre-échange de l’ALENA ( ce qui a plongé le pays dans la dépendance alimentaire pour 25 % du maïs consommé et entraîné une hausse de 738 % du prix de la tortilla depuis 94), a signé aussi ceux de l’ASPAN (alliance pour la sécurité et la prospérité de l’Amérique du Nord dont un des objectifs est la lutte contre le terrorisme), et le plan Puebla Panama, véritable entreprise de conquête de l’Amérique centrale, visant à livrer aux multinationales les ressources naturelles de la région, à en faire un paradis pour riches touristes tout en expulsant de leurs terres des milliers de paysans indigènes. Pas assez vite au goût de l’OCDE qui recommandait encore en novembre au Mexique d’avancer vers la voie de l’élimination de la propriété communale de la terre source de distorsion du marché . Aujourd’hui, toujours sur les recommandations de l’OCDE, ce sont les retraites des fonctionnaires de l’état qui sont remises en cause et doivent être alignées sur celles imposées au secteur privé (ça vous rappelle quelque chose ?...) et confiées à des fonds de pension d’abord publics puis privés au bout de trois ans .
Un pays démocratique ? C’est vite dit !
Le PRI, Parti Révolutionnaire Institutionnel (sic !), étant resté au pouvoir pendant plus de 70 ans, beaucoup se sont réjouis du retour à l’alternance lorsque, en 2000, le pouvoir est passé aux mains du PAN, Parti d’Action Nationale... parti de la droite dure, cléricale et conservatrice... quel progrès !
Mais rien de changé dans le fond en ce qui concerne les méthodes de gouvernement : élections truquées : Felipe Calderón a été élu le 2 juillet au moyen d’une fraude manifeste, cela a été également le cas en 2004 du gouverneur de l’état d’Oaxaca, Ulises Ruiz Ortiz ; corruption à tous les niveaux en particulier au niveau local où les caciques assoient leur pouvoir en s’achetant des hommes de main pour les sales besognes ; répression féroce contre les mouvements sociaux confiée à la fois à la PFP (police fédérale préventive) et aux groupes para militaires ; grands médias pour distiller la pensée unique du système libéral, présenter les luttes sociales comme soumises aux vandales et aux hors la loi et, à l’occasion, lancer des appels à la dénonciation et au lynchage de leurs dirigeants !
Le rapport 2007 que vient de faire paraître Amnesty International en dit long : il y est signalé que les réformes nécessaires à une meilleure protection des droits humains n’ont toujours pas été adoptées (et cela alors que le Mexique a pris la présidence du nouveau conseil des droits de l’homme de l’ONU !), qu’il y a eu de multiples cas de tortures, d’arrestations arbitraires, de personnes détenues au secret sur la base d’éléments forgés de toutes pièces et que 10 journalistes ont été assassinés.
Et les syndicats « officiels » ? Associés au pouvoir en place depuis des dizaines d’années, des syndicats « charros ».
Dirigés par des bureaucrates dont certains ont réussi à amasser des fortunes personnelles douteuses (c’est le cas d’Elba Esther Gordillo, la secrétaire de la SNTE le syndicat des travailleurs de l’éducation), ils sont dans le compromis permanent et l’acceptation du système. Il est d’ailleurs éclairant de savoir qu’il est prévu, pour la réforme des retraites, de confier la gestion des fonds de pension publics pendant la période transitoire de 3 ans, aux responsables des principaux syndicats des travailleurs de l’état.
Le peuple mexicain ne croit-il qu’en la solution des urnes ? Le black out médiatique.
Nos grands médias et maîtres à penser acceptent à l’occasion qu’on s’indigne de la construction du mur à la frontière états-unienne... mais nous informer des luttes sociales de l’autre côté de l’océan... ça non ! ça gâche le tableau. Etait-ce parce que nous étions nous aussi en période électorale ? On nous a informé du résultat des élections présidentielles, des soupçons de fraude, mais rien sur le taux d’abstention de plus de 40 % et en nette augmentation ! Rien non plus ou presque sur les importants mouvements sociaux et leur violente répression dans les mois qui ont précédé et suivi les élections.
Le 20 avril 2006, la police de l’état de Michoacan, aidé de la PFP, déloge les mineurs de l’entreprise sidérurgique Sicartsa à Lazaro Cardenas, en grève depuis le 2 avril. Deux d’entre eux sont tués, il y a 54 blessés (dont 21 par armes à feu).
Le 3 mai 2006, à Texcoco, 8 vendeurs de fleurs, membres du Front des villages pour la défense de la terre, s’installent illégalement sur la place du marché ; on leur envoie les forces de police. Les habitants de la ville voisine, San Salvador de Atenco, se mobilisent alors immédiatement et bloquent l’autoroute. Fox, encore au pouvoir, n’a pas oublié que des milliers de paysans avaient défilé dans Mexico en 2001 et l’avaient obligé à abandonner son projet d’aéroport international parce qu’il entraînait l’expropriation de 4500 hectares de terres. La répression qui s’abat le 4 mai sur Atenco est disproportionnée : 4000 policiers envahissent la ville, torturent, emprisonnent et violent une trentaine de femmes . Deux manifestants sont tués.
Oaxaca... la révolte qu’on voudrait nous faire ignorer
Oaxaca, c’est où ? nous demandait-on lorsque nous distribuions des tracts pour dénoncer la répression.
Oaxaca, façon guide du routard...
C’est un des 32 états qui composent le Mexique, à 550 km au sud de Mexico, à côté du Chiapas. C’est la plus forte proportion d’indigènes (1,6 million pour une population totale de 3,4 millions) qui vivaient déjà là des millénaires avant non seulement l’arrivée des Espagnols mais aussi des Aztèques. Il y a les Zapotèques, les Mixtèques, les Mixes, les Triquis, et d’autres encore puisqu’on dénombre 16 langues. On y vient pour découvrir les charmes de la sierra où les habitants ont su garder leur mode de vie ancestral, ses magnifiques plages pour surfeurs, sa capitale du même nom, la ville de jade, aux maisons coloniales à pierres vertes. L’état d’Oaxaca est aussi la zone la plus riche du Mexique en biodiversité (plantes rares, différents types de maïs), dont le sous-sol recèle de l’or, de l’argent, du fer de bonne qualité... Il y a aussi de l’eau en abondance et même du vent !
Oaxaca, façon rapport d’Amnesty International
C’est un des états les plus pauvres du Mexique, où près de 460 des 570 municipalités ne disposent pas des services de base comme l’eau, l’assainissement, l’électricité, des routes... Les paysans pratiquent une agriculture de subsistance incapable de rivaliser avec les produits nord américains qui inondent le marché. Beaucoup ne vivent qu’avec 5 à 6 pesos par jour (de 0,6 à 0,9 euros !). Ils sont de plus en plus nombreux à tenter de passer clandestinement la frontière, à rejoindre la ville pour y exercer de petits métiers, à s’embaucher comme journaliers ou à aller travailler dans les maquiladoras. Quant au maïs, contaminé par les OGM, il souffre de malformations diverses... et le vent est en cours de privatisation par deux entreprises espagnoles !
Oaxaca la rebelle
Tout commence le 22 mai par la grève des enseignants qui revendiquent des augmentations de salaires pour compenser une vie devenue plus chère en raison du tourisme. Ils font partie de la section 22 du SNTE, section qui a rejoint la CNTE ( coordination nationale des travailleurs de l’éducation) par refus de la bureaucratie et de la compromission. Ils occupent le Zocalo, la place centrale. La seule réponse du gouverneur le 14 juin c’est l’envoi de 3000 policiers avec gaz lacrymogènes, chiens et hélicoptères. Les enseignants, après un premier repli, les repoussent et réoccupent la place.
C’est à partir de ce moment que le mouvement va se radicaliser et s’étendre aux habitants des quartiers populaires et aux étudiants : tous se retrouvent autour du mot d’ordre « dehors Ruiz ! ». Ulises Ruiz Ortiz est un des pires gouverneurs que le Mexique ait eu. Il a détourné des millions de pesos pour ses campagnes électorales, il vient d’être épinglé par la cour des comptes pour malversations. L’incendie du palais de justice le 25 novembre est tombé à pic : tous les dossiers comptables de l’année 2006 ont été dévorés par le feu ! On lui doit aussi le saccage du patrimoine de la ville, le béton remplaçant la pierre verte. Il déteste les indigènes, les instituteurs, les jeunes, les homosexuels... Il n’hésite pas à recruter parmi les truands et en deux ans il a fait assassiner 35 militants sociaux.
Pendant pratiquement 5 mois Oaxaca va vivre dans une situation de quasi insurrection. Le mouvement se réclame de la résistance pacifique mais il en vient à se montrer plus offensif dans ses revendications et son organisation et prend conscience que les affrontements physiques sont incontournables.
Ils ne se sont pas contentés d’organiser des mégamarches qui réuniront jusqu’à 300 000 participants (de juin à novembre il y en a eu au moins une par semaine !). Ils ont occupé le centre-ville et les postes clés (palais de justice, parlement local...) forçant le gouvernement Ruiz à se replier dans une quasi clandestinité. Ils ont bloqué l’accès aux banques, à l’aéroport, aux grands hôtels de luxe. Ils ont mis en place plusieurs centaines de barricades d’auto défense qui sont devenues aussi des lieux de la vie collective, on y venait en voisins, en familles. Ils ont occupé les radios et chaîne de télé. Ce sont les femmes qui en ont pris l’initiative début août... il n’y avait pas d’autre moyen pour se faire entendre ! Radio Universidad devient la voix de la Commune d’Oaxaca.
Et surtout ils se sont dotés dès le 20 juin, lors d’une réunion de 340 organisations, associations, syndicats, de cet extraordinaire outil qu’a été l’APPO : assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. C’est l’APPO qui a permis que se réalise enfin l’alliance entre les mouvements indigènes et les forces d’opposition au capitalisme, l’alliance entre la ville et la campagne, entre les enseignants et les habitants des quartiers pauvres et cela en toute indépendance à l’égard des partis. Le congrès de novembre a confirmé cette volonté d’une organisation issue de la base qui applique les principes de la démocratie participative (tout se décide en assemblée au consensus) et met ses 230 délégués élus tous sur un pied d’égalité. L’APPO a fonctionné comme nouveau pouvoir en se dotant de ses propres « gardiens de l’ordre », les topiles, et en mettant en place 23 commissions faisant office de gouvernement parallèle : presse, barricades, propagande, sécurité sociale, santé publique, développement communautaire...
La répression a été à la mesure de la crainte que la révolte d’Oaxaca a inspirée
Elle a pris deux visages :
Celui, officiel, d’une véritable invasion militaire : 3000 policiers envoyés par Ruiz pour déloger les enseignants le 14 juin, 4000 hommes de la PFP envoyés à partir du 29 octobre, équipés de véhicules blindés, d’hélicoptères de l’armée, utilisant des gaz au poivre très irritants et des canons à eau dans laquelle, subtil supplice, il a été rajouté du piment.
Celui de la guerre sale dite aussi de basse intensité, pratique traditionnelle de la classe dirigeante : policiers en civil infiltrés dans les manifestations, groupes de casseurs, tueurs à gage, groupes para militaires.
Des dizaines et des dizaines de personnes ont été arrêtées arbitrairement. Celles qui sont maintenues en détention sont envoyées dans des prisons lointaines hors de l’état d’Oaxaca. On n’hésite pas à porter contre elles de fausses accusations (comme le trafic de drogue).
Ruiz a été désavoué par une bonne partie de la classe politique, mais il a tiré habilement profit de l’embarras dans lequel les suspicions de fraude ont plongé le PAN et a obtenu ainsi l’aide du gouvernement fédéral. Et puis, n’a-t-il pas déclaré lors du 7e séminaire des dirigeants chrétiens, le 17 novembre, que « seul Dieu fait et défait les gouverneurs » !!!
La commission civile internationale d’observation des droits humains a rendu un rapport accablant : elle y fait état de 26 morts, de tortures systématiques et signale qu’il ne s’agit pas de cas isolés ni de simples excès mais bien « d’une stratégie gouvernementale pour paralyser par la peur non pas les formations politiques existantes mais précisément ces processus et mouvements de la société ». Le rapport complet est consultable sur : http://cciodh.pangea.org
... « mais il reste à Oaxaca l’esprit des insurgés »
Aujourd’hui, l’ordre est revenu à Oaxaca, nous dit-on, et les touristes peuvent à nouveau s’y promener tranquillement. Nous savons, nous, que la colère gronde toujours là-bas et que la Commune d’Oaxaca n’a pas perdu ses capacités de résistance :
Le 1er janvier la communauté Triqui, qui fait partie de l’APPO, a formé une municipalité autonome à San Juan Copala réaffirmant ainsi le droit des peuples indigènes à s’autogouverner. Le 31 janvier des milliers de personnes ont manifesté, suite à l’augmentation du prix de la tortilla, pour réclamer la souveraineté alimentaire et des augmentations de salaires. Dans plusieurs communes les habitants ont aidé les instituteurs à déloger les priistes (partisans du PRI) qui avaient la prétention de remplacer les grévistes. Lesquels enseignants ont compris qu’ils avaient été manipulés par un de leurs porte-parole, Enrique Rueda Pacheco, pour les pousser à reprendre le travail en octobre et ils l’ont exclu de la CNTE.
En février : l’APPO décide de ne pas participer aux élections locales, celles du parlement de l’Etat d’Oaxaca, pour rester fidèle à sa volonté de construire une autre forme de vie politique en dehors des institutions officielles. Le 14 Ruiz doit renoncer à présider une cérémonie officielle, une barricade l’en a empêché !
En mars : il y a encore des manifestations : celle organisée par la coordination des femmes d’Oaxaca… et le lendemain celle pour réclamer la libération des personnes arrêtées la veille ! Lors du forum national et international pour la défense des droits de l’homme qui s’est réuni à Oaxaca, un tribunal populaire de morale publique s’est constitué pour juger des actes d’URO puisque, a-t-il été précisé, il n’existe aucun autre moyen légal et efficace de le faire.
Dans tout le Mexique, la bataille contre la réforme des retraites se poursuit, menée par un front de syndicats indépendants, avec en tête la CNTE et le syndicat mexicain des électriciens : ils ont prévu d’ organiser un référendum national sur la question des retraites. Le 23 mai des profs ont encerclé la bourse de Mexico, empêchant ainsi la tenue de réunions dont celle de l’AMIB, association mexicaine des intermédiaires boursiers (pour des parasites, on ne pouvait trouver mieux !) On peut s’attendre à ce que nos éditorialistes préférés hurlent encore à la prise d’otages : après les élèves et les touristes, les boursicoteurs !
La « commune d’Oaxaca » entre la Commune de Paris et la Communauté indigène
Il est toujours délicat de comparer deux évènements qui ont eu lieu à des époques différentes mais la référence à la Commune de Paris se conçoit : dans les deux cas le caractère ressenti comme illégitime de l’état sert de fondement à la mise en place d’un pouvoir populaire insurrectionnel. Le centre ville est occupé, des barricades sont construites, les pouvoirs bourgeois sont obligés de se réfugier ailleurs. La population pauvre est sur les barricades et dans tous les coups durs. Mais à Oaxaca on s’est contenté de réclamer la destitution du gouverneur sans vraiment penser à combler la vacance du pouvoir et la classe ouvrière n’est pas intervenue en tant que telle : ce sont les enseignants et le monde indigène qui ont été à l’avant-garde du mouvement.
La « commune » s’explique aussi en référence aux pratiques communautaires indigènes d’auto organisation qui ont fortement imprégné l’APPO.
Des évènements qu’il ne faut ni surévaluer, ni sous-estimer
Pour nous qui militons pour un autre monde, il ne s’agit pas de prendre nos désirs pour des réalités : le mouvement est resté isolé malgré le soutien de certaines catégories de travailleurs, comme les électriciens et celui des Zapatistes. Le sous-commandant Marcos a bien compris que l’APPO engageait ce qu’il souhaitait depuis des années : l’alliance entre les forces indigènes et les forces anticapitalistes. Les manifestations de solidarité n’ont pas débouché sur une grève générale seule en mesure de paralyser le pays. La répression a privé le mouvement de militants déterminés.
Les leaders d’opposition traditionnels, politiques ou syndicaux, continuent à peser de tout leur poids : il apparaît nettement qu’ils ont à plusieurs reprises joué le rôle de frein du mouvement, le poussant vers la négociation et le jeu politique institutionnel que sont les élections .
Mais il ne faudrait pas pour autant minimiser la portée de ce mouvement, ce que souhaiteraient évidemment nos adversaires. Même si cela est resté embryonnaire il y a eu à Oaxaca la prise de conscience qu’il fallait unir les différentes résistances, qu’il n’y avait pas d’avant-garde auto proclamée et surtout qu’il fallait se poser la question du pouvoir : la création de l’APPO est une tentative de mettre en place un véritable pouvoir populaire en dehors des institutions traditionnelles.
Quelle solidarité ?
Pétitions, rassemblements devant l’ambassade du Mexique, don financier pour aider à payer les cautions exigées pour la libération des détenus d’Oaxaca et d’Atenco (3 de leurs porte-parole viennent d’être condamnés à 67,5 années de prison).
On peut informer par nos propres moyens, consulter : le comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte : [Email], le réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine (RISAL) : www.risal.collectifs.net ; Le festival des résistances et des alternatives : http://lefrap.free.fr/
Et puis, n’oublions pas que tout combat que nous menons ici renforce et encourage ceux de là-bas !