Roger est l’ainé d’une famille de huit enfants. C’est dès son plus jeune âge un révolté permanent avec un goût très prononcé pour les bêtises ; un enfant insupportable. Il risque d’être amputé à seize ans et passe beaucoup de temps dans les hôpitaux avec un chouia d’école. Après son certificat, il enchaine les petits boulots dans la ZUP Nord de Nîmes. Il adhère au PSU (Parti Socialiste Unifié) à 19 ans, milite dans un comité de quartier et c’est là sa première rencontre, avec les immigrés, qui l’accompagnera toute sa vie.
Roger s’oriente vers l’électricité et passe son CAP à vingt ans ; c’est sa première embauche. Il rencontre le rock et joue au foot. Il vit avec une première compagne et la quitte pour une seconde compagne. Il apprend que sa première compagne est enceinte, mais la famille lui annonce que faute de mariage, il ne verra pas sa fille. Il se procurera une photo d’elle quand elle aura 15 ans et ne la verra que 43 ans après.
Il milite et voyage avec sa deuxième compagne avec qui il se marie. En 1965, il s’engage dans l’alliance entre le PSU et le PCF pour les municipales. Il s’avoue plus branché pour la lutte des classes que pour la lutte des places. Il pense que le journal du parti doit plus refléter les mobilisations que le travail des élus. Il démissionne du PSU auquel il ré-adhérera en 1966. Il relie la lutte révolutionnaire à la lutte démocratique. Il revendique un socialisme moderne qu’il recherche dans ses engagements pour LIP, le Larzac et les immigrés. Il s’engage dans l’appel pour le Vietnam et l’AMFP (Association Médicale France Palestine)
Le 10 mai 1968, il est à Paris pour un match de foot et se retrouve au Quartier Latin. Il plonge dans mai 68. De retour à Nîmes, il s’investit dans le comité d’action lycéen et le comité Vietnam. Il est le seul à faire grève dans son entreprise, Chez Costes. Il participe à Nîmes aux grèves (9000 grévistes) et aux manifestations (20000 manifestants).
En juillet 1968, il part à Cuba avec 300 personnes des comités Vietnam. Il est reçu au journal Gramma et suit le programme d’études et de travail organisé pour les jeunes européens. Il se retrouve à la tribune officielle le 26 juillet pour le discours de Fidel. Le 20 aout, c’est la douche froide, l’invasion de la Tchécoslovaquie est soutenue par Fidel et le Parti Communiste Français. Après son voyage de six semaines, il est licencié pour absence, puis réembauché à l’automne 1968. Il participe à l’aventure des Cahiers de mai, une revue qui regroupe ouvriers et intellectuels dans la suite de mai 68.
En octobre 1968, Roger se passionne pour les luttes ouvrières italiennes. Il participe aux nouvelles formes de luttes : les luttes des femmes, les luttes des immigrés, les luttes contre le racisme. Il participe aux manifestations au moment des Jeux Olympiques de Mexico, en 1968, quand Tommy Smith et John Carlos lèvent le poing et baissent la tête face au drapeau américain. Entre 1968 et 1970, Roger partage son temps entre le travail, le foot, le comité Vietnam et la convivialité militante. Roger vibre et manifeste pour Mandela et pour Angela Davis. Il manifeste pour Burgos et l’ETA. Il participe à l’antenne du Secours Rouge à Nîmes.
Roger participe à la création de l’APTI (Association de Promotion des Travailleurs Immigrés) à Nîmes. Pendant trente ans, Il en sera un militant et il la présidera. L’APTI va adhérer en 1972 à la FASTI (Fédération de Soutien aux Associations de Travailleurs Immigrés), créée en 1967 et toujours active. Il participe à l’action de l’APTI dans les bidonvilles et négocie le soutien de la mairie PSU. Il mène une grève de la faim au printemps 1973. Avec cette grève, « les musulmans sont accueillis dans la maison du dieu chrétien de Nîmes ». Roger rappelle le discours de Gandhi sur la grève de la faim : d’abord, ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, ensuite ils vous combattent, puis vous gagnez. Cette grève permettra de nombreuses régularisations. En aout 1973, le Larzac, puis LIP portent les nouveaux espoirs. Roger est sur le causse du Larzac quand Bernard Lambert dans son discours d’ouverture, affirme au nom des 103 paysans du Larzac, « nous sommes 103000, les paysans ne seront plus jamais des versaillais ».
En 1975, c’est la chute de Saigon. Après le Vietnam, Roger donnera la priorité à l’APTI et aux Comités Français Immigrés (CFI). Il participera à la campagne anti-outspan et aux campagnes anti-apartheid. Il recevra et accompagnera Maria Antonietta Machiochi, une grande militante et intellectuelle italienne, qui prépare un livre sur la France et rencontre les ouvriers du nucléaire, des usines perrier et des immigrés. Il participe à la création du journal Luttes, en 1974. Il met en évidence que ce qui maintient le lien des pays riches entre eux c’est un racisme savamment entretenu envers les populations sous développées et le pillage de leurs matière premières.
De 1975 à 1980, Roger militera au PSU, à la GOP, née d’un des courants du PSU, et à l’OCT créé par la GOP et Révolution, un des courants de la LCR. Il sera membre du comité central de l’OCT. Il sera un des premiers participants à l’Ecole ouvrière et Paysanne, créée par la GOP et poursuivie par l’OCT. Cette école a pour ambition de former des cadres ouvriers et paysans qui contribuent au renforcement du mouvement ouvrier et du mouvement paysan. Elle a relié une formation intellectuelle et théorique, fondée sur l’analyse des sociétés et de leurs transformations, avec la formation à des pratiques militantes. Toutes celles et tous ceux qui l’ont suivi en ont gardé un grand souvenir. Roger participe aux élections législatives de mars 1978. Il s’installe comme artisan électricien. Il va participer activement à la création du CICP, le Centre International de Culture Populaire, créé à Paris à l’initiative du CEDETIM. Il débarque un jour, en 1976 à Paris, au volant de sa camionnette d’artisan électricien et, en une semaine, installe le chauffage dans tout l’immeuble.
Depuis 1979, la FASTI se renforce et mène des actions très fortes parfois illégales. Les revendications sont claires : libre circulation des personnes, régularisation des sans-papiers, droit de vote à tous les étrangers. La gauche est interpellée autour de trois propositions : le droit d’association, les régularisations, le droit de vote pour commencer aux élections municipales. En décembre 1983, Roger participe à la marche des beurs sur Paris autour des revendications : le droit à un séjour stable et la carte unique renouvelable automatiquement et non renouvelable.
Roger continue sa vie. Il a une nouvelle compagne et une fille, et il en adopte une autre. Il voyage toujours à l’écoute des mouvements populaires. Il ira en 1980 à Bagdad et Babylone et mesurera la contradiction entre la gentillesse de l’accueil et la cruauté du régime. Il s’investira dans l’organisation d’un projet de colonie de vacances pour les enfants palestiniens qui sera interrompu par la mort de Jean Baptiste Doumeng, le riche agriculteur communiste, qui avait accepté de financer le voyage. En 1988, il part au Portugal et en Espagne. Il retourne en Kabylie, part au Maroc en 2002 et sera en 2008 en Irlande.
En 1991, Roger s’installe comme artisan volontaire dans la ZUP Nord de Nîmes. Il participe à la création de la SCOP ENTT (Entreprise Nîmoise de Techniques et Travaux). 70% des personnes qui y ont travaillé ont été embauchées par des entreprises, avant le dépôt de bilan en 1997. En 1996, il soutient l’occupation de l’Eglise Saint-Bernard, à Paris, par les collectifs de sans-papiers et accueille la caravane des Saint-Bernard à Nîmes en 1996. En juin 2010, il participe à Nimes à l’organisation du contre-sommet pour le cinquantenaire de l’indépendance des Etats africains. Il enchaîne le 1er juillet 2010, à Nantes pour le Forum Mondial des Droits de l’Homme. Et le voilà de retour à Nîmes en 2011 pour recevoir le Congrès de la FASTI. En 2016, l’APTI et RESF créent Ados sans frontières. En octobre 2020, c’est la marche pour les mineurs non accompagnés.
Il cite le Che qui avait écrit « c’est la révolution cubaine qui m’a révolutionné ». Roger écrit « ce sont les victoires pour les droits des migrants qui me révolutionnent ». Dans sa vie, il n’y a pas que le militantisme ; il y a eu de grands moments de convivialité et de bonheur. Aujourd’hui, à 76 ans, Roger a aimé écrire et il a encore plein de projets.
Gustave Massiah, octobre 2022
* Roger Mathieu : Pardine, ouvrage autoédité, avec l’aide de l’association « Griots Enlivrés », octobre 2020, 356 pages ; à commander auprès de : Roger Mathieu - Lot le Renaissance - 20 ter rue des Vendangeurs - 30320 Marguerittes au prix de 18,30 euros (12 euros + 6,30 euros de frais de port - chèque à l’ordre de Roger Mathieu)