Né près de Bex (Vaud), il passa une partie de sa jeunesse et de sa vie d’adulte en Uruguay. Maîtrisant ainsi l’espagnol, il en fit profiter la Ligue Marxiste Révolutionnaire (LMR), puis le Parti socialiste ouvrier (PSO), traduisant tracts et publications. Plus près de nous, il anima la solidarité avec la révolution nicaraguayenne, organisant, avec sa compagne Pierrette, une brigade vaudoise de travail volontaire.
Après la défaite électorale du Front sandiniste de libération nationale en février 1990, il prit durant une décennie la responsabilité de l’édition française du Correos de Centroamerica, l’organe des comités de solidarité avec l’Amérique centrale. La solidarité avec le peuple palestinien figura aussi longtemps parmi les engagements de cet internationaliste.
Le cœur, la tête et les mains
Après ses études d’architecture, il devint enseignant à l’EPFL, spécialiste des matériaux de construction, ce qui lui permit de s’intéresser aussi aux matériaux traditionnels comme la paille ou la terre, tout en critiquant sévèrement l’usage intensif du béton, bien avant que cela ne devienne la mode. Mais il n’était pas seulement un scientifique de laboratoire et d’auditoire.
Habile de ses mains, il construisit un des premiers fours solaires du pays, appuyant ainsi ses convictions antinucléaires d’une démonstration de l’existence d’autres sources d’énergie utilisables. Celui que l’on connaissait sous le pseudonyme de « Cyan » — une des couleurs de base de la quadrichromie dans l’imprimerie offset : science et technique encore — mit tout son sens du bricolage dans l’action spectaculaire de la LMR, qui déploya en 1971, entre la tour et le beffroi de la cathédrale de Lausanne, une immense banderole de solidarité avec la lutte du peuple vietnamien. L’Institut international de recherches et de formation (IIRF), fondé par Ernest Mandel à Amsterdam et proche de la IVe Internationale, bénéficia aussi de ses compétences techniques.
Un membre fondateur de solidaritéS
Antinucléaire et critique de l’habitat formaté par les besoins du capitalisme, il allait contribuer à développer les références écosocialistes du mouvement solidaritéS Vaud, dont il fut un des membres fondateurs avec sa compagne, Pierrette Iselin Dovat. Il fut en particulier l’un des premiers à souligner la dimension productiviste et extractiviste de l’économie capitaliste.
Il taquinait aussi la muse, à moins que cela ne fût l’inverse. À côté de ses nombreux articles, il publia des poèmes et deux romans Partir de zéro : journal d’un rescapé (2010) et Zoé : journal des survivant·e·s (2021).
D’un abord chaleureux et sympathique, enthousiaste et dynamique, François Iselin connaissait aussi des passages où une humeur plus sombre le rendait irritable et cassant. Les relations pouvaient alors devenir difficiles.
Cette forte individualité avait fini par considérer les contraintes de l’action collective comme une entrave ; il avait alors pris ses distances avec notre mouvement, optant pour une certaine forme d’anarchisme où dominait la défiance à l’égard de tout pouvoir organisé.
Il continua toutefois son activité dans les rangs du Comité d’aide et d’orientation des victimes de l’amiante (Caova), qui fut l’un des grands combats de sa vie (voir encart). Il avait témoigné lors du procès de Turin, où Stephan Schmidheiny, l’un des membres de la dynastie du même nom, avait été condamné à quatre ans de prison.
À sa compagne Pierrette, à leurs filles et à leur famille, nous adressons notre plus profonde sympathie.
Daniel Süri
AMIANTE : UN SCANDALE DE SANTÉ PUBLIQUE
D’après l’OMS, « près de 125 millions de personnes dans le monde sont exposées à l’amiante sur le lieu de leur travail […] D’après les estimations mondiales, 107 000 personnes au moins meurent chaque année de cancer du poumon, de mésothéliome ou d’asbestose liés à l’amiante dans le cadre d’expositions professionnelles ». Interdit dans certains pays occidentaux, ce minéral continue à être exploité ailleurs pour ses multiples qualités, en particulier dans le bâtiment.
Or, depuis les années 1960, le pouvoir cancérogène de l’amiante est scientifiquement attesté. Les industriels de l’amiante le savaient. Il a donc fallu un énorme travail de déni et de lobbyisme des capitalistes de la branche pour poursuivre la production.
Un autre travail retardateur visera, à travers expertises et contre-expertises, recours en justice et manœuvres dilatoires à parvenir à la prescription des crimes ainsi commis et à échapper à la justice. L’indemnisation des victimes, quand elle a lieu, ne sera jamais à la hauteur du préjudice subi.
À lire
• PSO, Eternit : Poison et domination. Une multinationale de l’amiante, 1983, 185 p. Publié par la Commission Ecologie et santé, un ouvrage largement rédigé par François Iselin.
• R. F. Ruers, N. Schouten, F. Iselin, Eternit : le blanchiment de l’amiante sale. Les conséquences tragiques de 100 ans d’amiante-ciment, CAOVA, 2006, 103 p.