Le 21 juin marque le 50e anniversaire de la disparition de Maurice Audin, soit dix jours après son arrestation le 11 juin 1957 par des parachutistes français. Ce jeune mathématicien et militant anticolonialiste n’avait que 25 ans. « Depuis plus rien. Maurice Audin s’est volatilisé. Son corps n’a jamais été retrouvé. Et la version officielle donnée par l’armée (française) n’a jamais été rectifiée, même s’il est aujourd’hui admis que Maurice Audin est mort sous la torture », écrit le quotidien Le Monde qui a réservé une page entière dans son édition datée de jeudi, à cette affaire. [1]
Est-il enfin venu le temps pour la France, celle de Nicolas Sarkozy, de faire son mea culpa sur le cas Maurice Audin ? Nombreux sont ceux qui en doutent, même si cela ne semble pas du tout décourager la veuve de Maurice Audin, dont le combat pour la vérité dure depuis 50 ans aujourd’hui. Dans une lettre ouverte adressée à Nicolas Sarkozy, publiée jeudi par le quotidien L’Humanité, Mme Josette Audin demande au président français « de reconnaître les faits ». Elle lui demande « d’obtenir que ceux qui détiennent le secret, dont certains sont toujours vivants, disent enfin la vérité, de faire en sorte que s’ouvrent sans restriction les archives concernant cet événement ». « Je ne demande pas, Monsieur le Président, dans le cadre de cette démarche, que s’ouvre un procès des tortionnaires meurtriers de mon mari, sachant que des lois d’amnistie les couvrent, même si je pense que la justice française se grandirait en appliquant une jurisprudence internationale pour laquelle aucune affaire criminelle ne peut être éteinte tant que le corps reste disparu », précise-t-elle dans cette lettre, insistant sur la « vérité pour Maurice Audin ». Elle interpelle M. Sarkozy pour ne pas laisser « enfoui dans la fosse commune de l’histoire, sans lui rendre au moins son identité et sa vérité, à un homme comme son mari qui avait tellement l’Algérie au cœur, et dont les convictions de jeune mathématicien et de militant communiste étaient si pures, qu’il s’est dressé contre des méthodes barbares ».
« On dit que tout homme a droit à une sépulture. C’est même ce que l’on s’efforce d’accorder, aujourd’hui, pour leur rendre un minimum de dignité, aux morts de la rue. La France va-t-elle se refuser encore à accorder ce droit à mon mari et la possibilité pour ma famille, mes enfants, mes petits-enfants, de faire le travail de deuil dont personne, dit-on, ne doit être privé ? », s’interroge-t-elle. Soulignant l’engagement de Maurice Audin en faveur de l’indépendance de l’Algérie, elle relève qu’il « n’est pas le seul crime de cette guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu ». « La torture à laquelle n’a pas survécu mon mari n’était pas un accident, elle avait été, selon les propos du général Massu lui-même, chef des parachutistes à Alger, institutionnalisée », écrit-elle. « Pour moi, il est insupportable de ne pas connaître cette vérité », insiste Mme Josette Audin, ajoutant qu’elle attend cette vérité « depuis cinquante ans, chaque jour de sa vie ». « Le 11 juin 1957, j’avais vingt-six ans, j’habitais à Alger, rue Gustave Flaubert, avec mon mari, 25 ans, et mes trois enfants, Michèle, 3 ans, Louis, dix-huit mois, et Pierre un mois. Des parachutistes de l’armée française ont fait irruption et ont emmené mon mari. Depuis cette date, je ne l’ai jamais revu. A mes questions, il m’a été répondu qu’il s’était évadé », rappelle Mme Audin au début de sa lettre ouverte pour situer le contexte dans lequel son époux fut arrêté. Elle souligne que nombre d’historiens, parmi lesquels « un homme connu pour sa rigueur scientifique et morale, Pierre Vidal-Naquet (décédé le 29 juillet 2006) », ont établi que Maurice Audin « était mort sous la torture, le 21 juin de cette année 1957 ». « Mon mari s’appelait Maurice Audin. Pour moi, il s’appelle toujours ainsi, au présent, puisqu’il reste entre la vie et la mort qui ne m’a jamais été signifiée ».
Le 50e anniversaire de la disparition de Maurice Audin a donné lieu à une rencontre organisée jeudi soir à Paris, à l’issue de la cérémonie de remise du Prix « Maurice Audin » de mathématique à trois chercheurs algériens et trois de leurs homologues français. Cette rencontre, qui a eu lieu à la Bibliothèque nationale de France (BNF), a permis à des témoins, dont Henri Alleg, militant anticolonialiste, journaliste et écrivain, Jean-Jacques De Félice et Roland Rapaport, avocats, d’évoquer la mémoire de Maurice Audin et celle de millions d’Algériens ayant lutté pour l’indépendance de leur pays. « Certains qui ne savent rien ou prétendent ne rien savoir de ce que fut le système colonial, s’étonnent et vont même parfois jusqu’à s’indigner que, des deux côtés de la Méditerranée, on refuse d’oublier et on continue d’exiger qu’enfin la vérité, toute la vérité, soit dite sur une guerre dont on refusait, jusqu’il y a peu de temps, de dire même le nom et sur les crimes et les moyens épouvantables utilisés pour la mener », a souligné Henri Alleg. Il a dénoncé « ceux qui faisaient exécuter sommairement des centaines de prisonniers algériens et camouflaient en + évasion + leur assassinat, comme ils le firent pour Maurice Audin ou en suicide comme ce fut le cas pour Larbi Ben M’hidi et Ali Boumendjel ».