La victoire de Luiz Inácio Lula da Silva (PT) aux élections brésiliennes de 2022 est le triomphe démocratique le plus important depuis la chute du régime militaire (1964-1985). Ce triomphe a été célébré dans tout le pays dimanche soir (30/10), renouant avec les meilleures traditions de la lutte du peuple brésilien. Des centaines de milliers de personnes étaient dans la rue, avec un point haut, l’Avenida Paulista [au centre de São Paulo, oú Lula a tenu son premier meeting en tant que président élu] complètement envahie par la foule ; ou ces scènes émouvantes filmées à l’ouverture d’un bureau de vote à Bahia, où des centaines de personnes attendaient avec enthousiasme et confiance le moment de voter pour Lula, expriment également ce sentiment.
Ce fut une victoire de caractère démocratique et de contenu populaire. Une victoire très étroite, difficile, avec seulement 2,3 millions de voix d’écart, une marge de moins de 2 %, du jamais vu dans un conflit présidentiel. Il s’agit également d’une défaite sans précédent d’un président en exercice qui postulait à sa réélection. Le vote pour Lula est aussi le plus important en termes absolus de l’histoire, avec plus de 60,3 millions. Le pays a connu sa plus grande polarisation.
Une victoire qui renvoie aux près de 700 000 victimes officielles de la pandémie, un terrible traumatisme qui est entré dans l’histoire du pays et qui a marqué la situation et la campagne elle-même. Qui rappelle la destruction du pays et de l’Amazonie ; qui rappelle ceux qui ont souffert de la cruauté du gouvernement, ceux qui sont entrés dans la carte de la faim, ceux qui ont été tués par la brutalité, directe ou indirecte, des actions du gouvernement, comme le jeune Genivaldo, tué asphyxié par la Police routière fédérale (PRF), aujourd’hui aux mains de la racaille bolsonariste.
Lula, qui sortait d’un emprisonnement arbitraire sans fondements légaux, et avait été écarté de la course en 2018, a affronté l’actuel président, Jair Bolsonaro (PL), dans un contexte politique inédit dans la Nouvelle République. Bolsonaro a mis la machine publique au service de sa réélection de manière criminelle et avec le soutien de la majorité du Congrès national. Il a ainsi réussi à approuver une mesure pour débloquer 27 milliards de R$ (5 milliards d’Euro) pour l’Auxilio Brasil [Aide Brésil, nouvelle version de la Bourse Famille instituée par Lula], à la veille des élections, a mobilisé au moins 48 milliards de R$ de la Caixa Federal, la principale banque publique du pays, en prestations sociales et en crédits pour les femmes dans la période électorale, une évidente tentative d’escroquerie électorale pour stimuler sa propre popularité dans les secteurs où Lula rencontrait sa plus grande adhésion organique. Il a fait baisser « au forceps » le prix du carburant et multiplié la distribution de fonds via le « budget secret », qui, en résumé, est l’utilisation des ressources publiques par les parlementaires sans aucune transparence.
En plus de l’appropriation de l’argent public pour sa réélection, Bolsonaro a mis en place une machine géante de production et de diffusion de fake news à l’échelle industrielle, utilisant les églises évangéliques comme caisse de résonance pour étendre encore la portée de ses récits sur les réseaux sociaux, un environnement clé dans la dispute électorale, où les bolsonaristes sont plus forts que les groupes de gauche. Bolsonaro compte près de 60 millions de followers contre 25 millions pour Lula, en ne considérant que les profils des deux candidats à la présidence sur Facebook, Instagram, YouTube, Twitter et TikTok, selon une enquête de CNN Brésil. Il a eu recours à d’autres manœuvres, comme l’utilisation du PRF (Police routière) pour remettre en cause le droit de vote de la population dans les régions où le PT l’emporte, comme le Nordeste, ou le harcèlement électoral sur les lieux de travail, où les patrons de Bolsonaro ont tenté de détourner le vote de la classe ouvrière. Le ministère public du Travail annonce avoir reçu plus de 2 400 dénonciations d’harcèlements de ce type et de tentatives de manipulation du vote populaire.
Une guerre sale et d’ampleur
La droite croyait vraiment l’emporter. Elle tombe de haut, une chute historique et démoralisante pour les bolsonaristes, même si, au long de la campagne, un certain nombre d’éléments montraient la chute du bolsonarisme était plus probable que le maintien du gouvernement actuel, représentant de l’extrême droite brésilienne qui a embarqué extrémistes, antipétistes, opportunistes et aventuriers de tout poil dans la flux de la montée de la droite dans le monde.
Un ensemble de facteurs rendent compte de la victoire de Lula : I) la résistance organisée pendant les quatre années de gouvernement Bolsonaro, qui a réuni d’importants secteurs démocratiques, la force des jeunes et des femmes qui, dans leur majorité, étaient contre Bolsonaro, la lutte du peuple - comme le mouvement tsunami de l’éducation, la lutte antiraciste et antifasciste, la lutte pour la science et pour le droit à la vaccination, avec des secteurs de l’appareil d’État, les médias non inféodés à Bolsonaro, et en premier lieu la Rede Globo et, dans une moindre mesure, la Folha de S. Paulo, les secteurs de la culture et des arts. Cependant, il faut dire que le PT - dans sa stratégie - a canalisé la résistance vers le terrain électoral, tirant le Fora [Dehors] Bolsonaro ! de la rue, et que, pour sa part, le mouvement de masse n’a pas non plus connu d’irruption massive ; (II) la division de la bourgeoisie, expression de la division de la société, a permis la victoire électorale de l’opposition, même avec Bolsonaro contrôlant l’appareil d’état ; (III) une division bourgeoise au niveau international, la défaite de Trump fut l’antichambre de la défaite du projet bolsonariste, et un secteur de l’impérialisme, comme le Parti démocrate, Biden et l’impérialisme européen, indiquant qu’ils n’accepteraient aucune aventure putschiste et soutenant Lula ; (IV) le poids du charisme de Lula, le seul capable de battre Bolsonaro, produit cumulé de la trajectoire du principal leader ouvrier du pays, de la mémoire des améliorations partielles de ses gouvernements et de l’énorme identification populaire qu’il est capable d’établir dans de larges masses ; (V) de la victoire dans le Nordeste, un élément décisif, et pas seulement dans le « Nordeste territorial », mais par la force énorme de la « nation nordestine » essaimée dans tout le pays, enracinée dans les secteurs de la classe, comme Lulas lui-même, dans les grands centres urbains, qui lutte avec force contre la xénophobie, les préjugés et le retard des élites brésiliennes ; (VI) de la bonne performance dans les capitales et de la victoire dans des villes stratégiques, comme Porto Alegre et la capitale São Paulo, même dans les États où Bolsonaro a pu l’emporter.
Sur le rapport de forces
La définition correcte est celle d’un triomphe important et démocratique au milieu d’une situation encore défensive. Un triomphe qui enterre la tentative de Bolsonaro de se perpétuer au pouvoir, divise ses alliés du « centrão » et autres qui commencent à abandonner le bateau, mais qui ne suffit pas pour détruire les forces néo-fascistes au cœur du projet bolsonariste.
La situation est différente de celle de 2003 [début du premier gouvernement Lula]. Il y a une extrême droite forte, la conscience anticapitaliste est plus faible, mais il y a, dans cette division de la bourgeoisie et dans la politisation que la confrontation entre deux pôles politiques a produite, un espace pour créer une avant-garde avec une conscience de classe et pour exiger du gouvernement plus de mécanismes démocratiques de participation populaire.
Lula aura évidemment une gestion encore plus libérale qu’en 2003, avant que le PSOL ne soit fondé à partir de la rupture des parlementaires qui refusèrent de rester dilués dans le soi-disant bloc de gauche et d’assister, inertes, aux actions du gouvernement orchestrées par la bourgeoisie. Mais la situation actuelle est autre. Pour comprendre cela, il est fondamental de réfléchir à la façon dont nous en sommes arrivés là. Le Brésil est autre, le monde est autre et les relations entre les classes sociales sont, elles aussi, différentes.
L’ultra-droite n’a pas été écrasée. Bolsonaro a bénéficié d’un nombre de voix important, et a engrangé au premier tour des avancées, comme une représentation parlementaire importante. Il maintient d’importantes positions de force (dans l’armée, dans la police et dans les gouvernements), avec une base sociale solide. Bolsonaro a été élu en 2018 comme un phénomène combinant un nouveau venu face à la crise politique, la décision d’un secteur de la bourgeoisie de porter un coup au PT et l’avancée de l’articulation de l’extrême droite dans le monde. Ce qui a conduit, comme nous l’avons indiqué, à un gouvernement ayant parfois recours à l’improvisation et montrant même, en fonction des caractéristiques de son leader, Bolsonaro lui-même, un manque de préparation.
Bien sûr, ces carences étaient connues depuis le début, mais il a fallu les attaques du gouvernement contre les intérêts d’une partie de la bourgeoisie (ou l’incompétence du gouvernement à les gérer) pour que ce secteur de la société commence à agir pour l’arrêter. Les secteurs progressistes néolibéraux, tels que définis par Nancy Fraser - dont Rede Globo -, qui ne sont pas de connivence avec l’obscurantisme, n’attaquent pas la science, la culture, ne veulent pas imposer un mode de vie et liquider les libertés démocratiques - même s’ils défendent une politique économique libérale - ont ouvert la voie à la défaite de Bolsonaro. Ils ont suivi les traces de groupes de la bourgeoisie progressiste néolibérale dans le monde entier, par rapport à des projets autoritaires ou néofascistes - ou quelle que soit la définition qu’on veuille leur donner - comme l’opposition que certains secteurs bourgeois américains ont faite à Donald Trump aux États-Unis. L’échec de Trump a précédé la chute de Bolsonaro et, sur de nombreux points et avec quelques nuances, ils se ressemblent. La propre défaite de Trump a sapé le soutien international à Bolsonaro. Là-bas, comme ici, la division de la bourgeoisie a été fondamentale pour battre électoralement le projet néo-fasciste et faire en sorte que le résultat électoral soit respecté, bien sûr avec des épisodes de confusion et de violence comme la masse des partisans de l’extrême droite en est coutumière.
Dans ce bourbier de la crise du capitaliste, dont le développement stable devient de plus en plus difficile, Lula a également été choisi par cette partie de la bourgeoisie pour défendre ses intérêts. Pourquoi Lula ? Parce que la bourgeoisie libérale vit aussi une crise de représentation. Il n’y a pas d’autre leader qui rassemble la capacité de mobilisation populaire et de gestion des intérêts bourgeois au Brésil aujourd’hui si ce n’est Lula. Le PSDB s’est effondré - ou du moins ne survit que sous assistance respiratoire - et le MDB a depuis longtemps perdu son rôle de leader au profit le soi-disant Centrão. C’est l’expression brésilienne de ce que nous appelons une « crise organique », quand il y a une rupture entre les intérêts immédiats de la classe et ses représentants directs, et qu’elle doit faire appel à des formules hybrides ou inhabituelles.
Et donc, naturellement, le recours est le PT, qui a accepté de mener des gouvernements de collaboration de classe depuis sa première expérience nationale, dans le gouvernement Lula en 2003, et qui a su s’adapter aux exigences que la reconstruction de la Nouvelle République a imposées. La bourgeoisie néolibérale progressiste du monde reconnaît en Lula un gestionnaire compétent de cette politique, il suffit d’observer la quasi-euphorie avec laquelle certains chefs d’État ont accueilli sa victoire sur Bolsonaro. Le président français, Emmanuel Macron, quelques minutes après la confirmation du résultat, a été l’un des premiers à saluer Lula. Il a même publié une vidéo sur les réseaux sociaux montrant ce moment de félicitation. Joe Biden, président des États-Unis, a adressé ses félicitations par le biais d’un communiqué officiel de la Maison-Blanche et a déclaré qu’il était « impatient » de travailler en étroite collaboration avec Lula.
La reconnaissance de la victoire de Lula est internationale, et l’agenda des relations extérieures est un point clé du programme du président élu, en raison des accords internationaux, de la protection de l’Amazonie et du rôle stratégique de l’Amérique latine pour l’économie mondiale. Par conséquent, la politique internationale devrait être encore plus débattue au sein du MES, surtout si l’on considère les défis auxquels le nouveau gouvernement brésilien sera confronté. Le débat international revient sur le devant de la scène - à la fois en raison du rôle de l’extrême droite dans le monde et du fait que les cinq principales économies latino-américaines - Brésil, Mexique, Argentine, Colombie et Chili - seront gouvernées par le soi-disant progressisme. Et, contrairement à la vague des années 2000, ce nouveau progressisme est moins radical et moins anti-impérialiste. Ceci est lié au tournant que le Venezuela (post-Chávez) a pris vers une vision autoritaire, dont la dictature d’Ortega au Nicaragua est l’expression maximale de dégénérescence.
Les mobilisations massives après les résultats des élections au Brésil ont montré une partie de la population célébrant avec soulagement, dans une catharsis des traumas imposés par le bolsonarisme. Dans les rues, nous avons vu un secteur social qui s’était éveillé au danger de l’extrême droite et qui s’est politisé et radicalisé derrière les bannières de la défense des libertés, de l’égalité sociale, de l’environnement, de la défense de l’éducation et contre le discours de haine du bolsonarisme, qui représente la barbarie. Il y a eu un changement d’état d’esprit du pays dont nous ne savons pas jusqu’où il ira, mais c’est un nouveau climat beaucoup plus favorable à nos idées. D’un autre côté, l’anti-pétisme a montré sa résistance, mais déjà sans les soutiens nécessaires pour mener un projet de coup d’Etat, puisque la bourgeoisie qui est avec Lula s’est organisée pour bien protéger les institutions de la démocratie bourgeoise.
Derrière ce triomphe démocratique, il y a deux aspects. L’un est constitué par les secteurs bourgeois qui souhaitent un retour à la normalité institutionnelle et rejettent l’extrême droite. L’autre est celle des secteurs exploités qui voient en Lula la possibilité de retrouver de meilleures conditions de vie. Les secteurs bourgeois, les partis du centre et le soi-disant « Centrão », qui est institutionnellement physiologique (il a déjà reconnu la victoire), négocieront leur poids au parlement dans le but de maintenir privilèges et postes. Pour sa part, la bourgeoisie fera pression pour que le gouvernement Lula soit une continuation des plans libéraux avec quelques concessions nécessaires en matière d’assistance sociale. L’autre aspect est celui d’un mouvement politique électoral qui, contradictoirement et nécessairement, a soulevé des revendications sociales progressistes. Il reprend les avancées sociales du gouvernement précédent et propose une série de mesures progressistes dans le domaine des salaires, des revendications des femmes, du logement, de la santé et de l’éducation. Il a soutenu de façon ténue des éléments d’une réforme fiscale qui imposait les grandes fortunes. C’est à cela que le peuple aspire.
Avec l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, deux contradictions vont se manifester dans le contexte de la crise économique que connaît le monde et qui touche également le pays. L’extrême droite, bien que vaincue dans les urnes, est forte. Elle compte 14 gouvernements d’État et une forte représentation au parlement liée à des secteurs importants tels que les évangélistes et l’agroalimentaire. D’autre part, il y a les secteurs exploités et opprimés qui veulent que Lula tienne ses promesses de campagne. Le gouvernement sera pris entre ces deux forces dans une situation qui n’est pas celle du début du siècle, quand le vent de l’économie mondiale qui soufflait en sa faveur. Le choc des contradictions est inévitable, et nous ne savons pas encore savoir quel en sera le rythme. Combien de temps durera la lune de miel ? Nous ne pouvons pas non plus savoir exactement dans quelle mesure le gouvernement tiendra ses promesses et comment le plan économique sera construit. Nous devons attendre un peu et voir la composition du gouvernement et ses premières mesures.
Affronter l’extrême droite, sans trêve
Bolsonaro devrait se dégonfler lentement, mais de manière momentanée, pas dans la perspective. Et le bolsonarisme continue. Son leader montre une certaine impuissance devant les résultats des sondages, mais est loin d’être anéanti. Il a gagné plus de voix que lors de l’élection précédente, il a le soutien et la volonté de la partie la plus réactionnaire de la bourgeoisie (y compris celle qui a financé les barrages routiers dans tout le pays dès que les résultats des élections sont sortis) et il a réussi à élire une représentation alignée politiquement avec lui au Congrès national. Ainsi, le point central de la politique du MES/PSOL sera de vaincre l’extrême droite. Il n’y a pas moyen de faire avancer un processus anticapitaliste sans se confronter à l’extrême droite.
L’extrême droite a une base de masse - dans un secteur social qui rejette la démocratie bourgeoise et défend ouvertement un coup d’État/une dictature militaire. Ces derniers jours, on a assisté à une recrudescence de la part d’un secteur plus putschiste, lié à l’agrobusiness et au noyau dur de l’extrême droite, qui s’était déjà manifesté en septembre 2021, en comptant sur la collaboration de secteurs de l’appareil d’État, notamment le PRF, mais loin de produire un « capitole brésilien ». Un autre secteur, avec Lira et Ciro Nogueira, a déjà commencé à négocier la transition. Bolsonaro a fait de brèves déclarations, s’engageant à mettre fin aux barrages routiers. Sa plus grande préoccupation aujourd’hui - d’après ce que rapporte la presse de Brasilia - est de trouver un arrangement avec le PL, de maintenir la tension pour négocier son avenir politique dans de meilleures conditions, afin d’éviter la prison et de continuer à être le leader de l’opposition d’extrême droite, avec son clan.
La place du PSOL
Dans la bataille pour vaincre le néofascisme et élire Lula, les dirigeants et les militants du PSOL ont fait la différence. Ils ont été une voix forte contre le projet néo-fasciste de Bolsonaro et ont renforcé les tranchées des mouvements sociaux pour défendre les intérêts du peuple. Le résultat des élections a mis en évidence la croissance du PSOL et a montré le parti à l’avant-garde de la lutte contre le bolsonarisme, même s’il n’est pas assez structuré pour être une alternative de pouvoir.
Au sein du PSOL, il y aura bien sûr une discussion sur le nouveau gouvernement. Notre position sera de maintenir l’indépendance du Parti par rapport au gouvernement – de le défendre contre l’extrême droite et ses méthodes contre-révolutionnaires, mais ne pas l’intégrer.
Pour clarifier les étapes de cette tâche devant le nouveau gouvernement, il est valable de reprendre les circonstances de la fondation du PSOL et de les comparer au moment actuel, en soulignant les contradictions qui se posent, les lacunes programmatiques du PSOL et ses défis.
En 2003, le point central était d’affirmer la nécessité de construire une alternative anticapitaliste après la frustration causée par le rapide virage à droite de Lula, représentée pleinement par le vote sur la réforme de la sécurité sociale, de dénoncer le caractère du gouvernement afin de construire une alternative à la gauche du PT et du spectre politique national, qui puisse se maintenir et gagner une certaine influence dans les secteurs de masse. Aujourd’hui, le défi est d’incarner les énormes demandes programmatiques qui apparaissent dans la société brésilienne, en affrontant l’extrême droite et en construisant un pôle dans la société avec une perspective anticapitaliste, qui lutte pour changer le rapport de forces afin que ce projet puisse se réaliser.
Ainsi, il est nécessaire de se mobiliser pour les revendications les plus profondes et pour les revendications structurelles dont le pays a besoin. Intégrer le gouvernement, cependant, signifierait que le PSOL accepte le rôle de gestionnaire des intérêts du capital. Il s’agit donc d’une position de principe. En outre, pour se battre, la meilleure position est d’être dans les forteresses de la société civile, et non dans l’appareil d’État gouvernemental. Il est nécessaire de maintenir une liberté de critique et une indépendance organisationnelle, ce que nous avons déjà, mais aussi une liberté politique, qu’une intégration au gouvernement limiterait par la nécessité d’une discipline de commandement.
Le PSOL existe et s’est beaucoup développé lors des élections. Il est très apprécié par la large avant-garde qui était dans les actions de rue de ces derniers temps et a gagné respect et prestige parmi les secteurs sociaux qui ont voté pour Lula. Dans ce scénario, le MES recruter et s’organiser. Notre tâche politique est de demander que le gouvernement Lula suive le programme promis et en fasse un outil pour se renforcer contre l’extrême droite et pour résoudre les problèmes les plus urgents des pauvres du pays. Sans adhésion ni ultimatum. Nous devons éviter de tomber dans ces extrêmes en revendiquant ces points.
Dans le même temps, notre politique doit dialoguer avec le sentiment anti-régime qui a nourri le bolsonarisme, car la défense des institutions sera le rôle du gouvernement. Un discours de subversion pour défendre les besoins du peuple est une partie fondamentale de la construction d’une gauche révolutionnaire. Il ne s’agit pas, par exemple, de faire écho à la condamnation pure et simple des barrages routiers. Nous nous opposons à ces mobilisations pour leur contenu putschiste, pour leur refus d’accepter la volonté de la majorité du peuple exprimée dans les urnes, pour leur défense de l’intervention militaire.
Notre rôle sera d’avancer avec la politisation des secteurs qui sont dans la rue, qui condamnent l’extrême droite et qui placent l’espoir dans une vie meilleure. Ils sont des millions, parmi les jeunes, les femmes, la classe ouvrière, les Noirs, les populations riveraines et autochtones, les petits commerçants, les professionnels libéraux, la communauté LGBTQIA+, les fonctionnaires et les couches les plus sincères du peuple.
Nous devons également chercher à nous enraciner parmi les secteurs où le bolsonarisme a pu avancer, comme les hommes du rang et les petits gradés des forces de sécurité, la police militaire et civile, les forces armées, les pompiers, les vigiles privés ; la classe ouvrière la plus arriérée des pôles industriels du pays ; les travailleurs des plateformes applicatives et y compris, à l’avenir, les chauffeurs routiers. Il est important de souligner qu’à Rio Grande do Sul, Luciana Genro a été la députée la plus votée par les hommes du rang de la police militaire, parce qu’elle a soutenu leur lutte pour la carrière et dans la dénonciation des abus des commandants, et que Glauber Braga [Rio de Janeiro} a reçu un soutien important des sergents de l’armée. Cela fait partie de la lutte fondamentale pour empêcher Bolsonaro de consolider une base populaire.
Notre orientation sera de renforcer le MES et de dialoguer avec tout le PSOL pour présenter une sortie programmatique pour le pays. Nous serons à l’avant-garde de la lutte pour que les mesures économiques et sociales approuvées par les urnes soient mises en œuvre. Le PSOL doit être à l’avant-garde de la lutte pour de meilleurs salaires pour les travailleurs, l’emploi, le logement et la terre. Un des points de la politique économique que la bourgeoisie libérale exige de Lula et qui, tout l’indique, sera menée à bien par le gouvernement, est l’ajustement fiscal, ce qui rend certains de ces engagements difficiles, voire impossibles. En outre, certaines des mesures approuvées dans les urnes se heurtent aux intérêts bourgeois qui ne veulent pas payer pour sortir de la crise. Raison de plus pour lutter en faveur de ces mesures, qui sont nécessaires pour améliorer la vie de la population et mobiliser dans une perspective qui renforce les organisations de la classe ouvrière qui y participent. Certaines de ces mesures sont les suivantes.
1) Indexation du salaire minimum à l’inflation
2) Aide d’urgence de 600 R$ plus 150 R$ par enfant jusqu’à 6 ans, revue au moins annuellement en fonction de l’inflation.
3) Exonération de l’impôt sur le revenu pour ceux qui gagnent jusqu’à 5 000 R$.
4) Renégociation des dettes des personnes qui sont fichées au SERASA (fichier central des emprunteurs en défaut) et annulation des paiements pour les familles pauvres et de la classe moyenne.
5) Imposition des grandes fortunes et imposition des bénéfices et des dividendes.
6) Fin du plafonnement des dépenses de l’état.
7) L’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un travail égal, avec un contrôle efficace.
8) Lutte contre la corruption, renforcement des mécanismes d’enquête et de sanction des corrompus, renforcement des institutions qui ont une fonction de contrôle, comme la police fédérale, et large transparence en particulier en décrétant la fin des 100 ans de secret imposé par Bolsonaro.
9) Révision de la réforme du travail, qui a précarisé les emplois plus précaires et supprimés des droits.
10) Renforcer les universités publiques, avec des politiques pour permettre l’accès et la permanence pour les étudiants à faibles revenus.
11) Restructuration de l’IBAMA [Institut brésilien du Milieu environnemental et des Ressources naturelles] et de l’ICMBio [Institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité], et reprise des opérations contre les déforestations en Amazonie
12) Reconstruction de la FUNAI et reprise des actions contre l’exploitation minière sur les terres indigènes en général et chez les Yanomami en particulier.
En outre, nous pensons qu’il est nécessaire de défendre une mesure qui n’a pas été présentée par Lula pendant la campagne, mais qui est nécessaire pour que le pays ne continue pas à être dominé par les banquiers et les spéculateurs : l’audit de la dette publique, afin que la société sache ce qui est légal et ce qui ne l’est pas dans la dette, dont le paiement a drainé la richesse de l’État pour une infime minorité de privilégiés. Le lien avec le CADTM permettra d’explorer les débats sur cette demande.
Dans notre programme, les mesures démocratiques doivent également être une priorité, étant donné la nature du triomphe électoral. L’avancée démocratique consistant à empêcher la réélection de Bolsonaro doit être consolidée par des mesures. La première d’entre elles est la rupture du secret de 100 ans et l’enquête sur les crimes commis par le gouvernement, plus précisément par le président lui-même. Il est clair que la sanction la plus appropriée est l’arrestation de Jair Bolsonaro. « Ni oubli, ni pardon » c’est notre mot d’ordre, doivent être notre bannière, enquête et sanction pour Bolsonaro et les criminels. L’impunité des crimes de la dictature a constitué un des éléments qui ont permis l’émergence et le renforcement du courant politique représenté par Bolsonaro, qui défend les tortionnaires, les coups d’État et la violence politique. Pas d’impunité !
Nos défis sont énormes. Parier sur la formation des cadres et s’enraciner avec les organisations de jeunesse et de classe et les mouvements sociaux sont fondamentaux pour sauver le besoin d’association, contester l’avancement de la conscience et préparer des actions d’autodéfense.
Comme politique immédiate, nous défendons que le PSOL lance une campagne pour la punition de tous les responsables de l’obstruction des routes et des soi-disant putschistes, que ce soit les secteurs liés au financement ou à l’exécution de ces actes antidémocratiques. Que cela implique également, dans la campagne, l’enquête et la sanction des patrons liés aux harcèlements électoraux du second tour, qui, selon le travail mené par le ministère public du Travail, ont fait l’objet de plus de deux mille dénonciations.
Le PSOL a devant lui de nouveaux défis historiques, nous avons confiance dans le peuple brésilien, qui vient de remporter une victoire « à l’arraché », comme beaucoup de batailles de notre peuple. Avec cette force, nous continuons à défendre nos propositions anticapitalistes, en construisant un pôle indépendant qui lutte pour écraser les néo-fascistes et mettre Bolsonaro à sa juste place : la poubelle de l’histoire, en rendant justice à sa condition de génocide.
Israel Dutra