À la mort d’Idriss Déby, tué sur le front par des rebelles en avril 2021, son fils Mahamat a pris le pouvoir au sein d’un Conseil militaire de transition composé de quinze généraux. Une manœuvre anticonstitutionnelle, puisque c’était au président de l’Assemblée nationale d’assurer cette transition. En convoquant un « Dialogue national inclusif et souverain », Mahamat Déby semblait répondre à une vieille exigence de l’opposition, celle d’assurer un large débat pour refonder l’État tchadien sur des bases unitaires et démocratiques.
Crédit Photo. Mahamat Idriss Deby. Wikimedia commons
Simulacre de dialogue
Avant le DNIS, un pré-dialogue avait été instauré, avec les groupes politico-militaires, à Doha au Qatar. Les résultats décevants donnaient un aperçu des motivations de la junte au pouvoir.
Par exemple, la question de l’armée n’a quasiment pas été abordée. Pourtant elle joue un rôle décisif dans la politique du pays. Déby père s’était assuré une longévité au pouvoir exceptionnelle grâce à son contrôle. Il l’a transformé en garde prétorienne avec un état-major et des régiments d’élite composés sur des bases ethniques. Déby a fait des soldats tchadiens les supplétifs des forces armées de la France lors de ses interventions au Sahel, se rendant ainsi indispensable.
En fait le DNIS n’avait qu’une fonction : avaliser le pouvoir du fils Déby. Désormais, ce dernier aura la possibilité de se présenter aux futures élections présidentielles, en contradiction avec les préconisations de l’Union africaine ; la période de transition est allongée de 24 mois ; le Comité militaire de transition est dissout, laissant à Mahamat Déby carte blanche pour diriger le pays.
Des opposants au secours de Déby
Le DNIS a profondément restructuré l’espace politique du Tchad. Ainsi, on a pu voir des opposants rallier le camp Déby. Parmi eux, Gali Gatta Ngothé, député de l’opposition, qui a présidé le DNIS, et Saleh Kebzabo, opposant historique, qui vient d’accepter le poste de Premier ministre d’un nouveau gouvernement qui se veut d’union nationale. Cela ne sera pas la première fois que des adversaires rejoignent le clan Déby pour en partir quelques années, parfois quelques mois, plus tard, une fois leur fonction de faire-valoir devenue inutile. Kebzabo, en cela, est une pièce maîtresse. Avec sa notoriété et son carnet d’adresses étoffé, il permettra à Mahamat Déby d’obtenir les bonnes grâces de l’Union africaine et plus largement du camp occidental — en dépit de ses reniements lors de son arrivé au pouvoir.
Les opposants qui le sont restés, les politico-militaires du FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) et de la CNCR (Coordination nationale pour le changement et la réforme), trouvent ainsi justifiés le boycott du DNIS et la poursuite de la lutte armée. Les dizaines d’organisations de la société civile et politique comme la coalition Wakit Tamma (que l’on pourrait traduire par « l’Heure est arrivée ») ou le parti les Transformateurs appellent à une mobilisation pour un Tchad qui soit vraiment un État de droit [1].
Un silence complice
La France s’est refusée à condamner le putsch de Mahamat Déby, contrairement à ce qu’elle a fait pour le Mali, le Burkina Faso ou la Guinée qui ont connu pareille situation, au motif que le Tchad était un cas particulier. La particularité conférée au Tchad s’explique par son rôle dans la lutte contre les djihadistes. Cet État pétrolier engouffre de 30 à 40 % de ses ressources dans une armée qui compte près de 50 000 personnes pour une population de 16 millions d’habitantEs. Cette armée pléthorique a une double fonction, protéger le régime en place contre les rebellions armées à l’intérieur du Tchad, et participer dans la région à la lutte contre le terrorisme. Ainsi les troupes tchadiennes étaient au Mali avec les Français dans le cadre de l’opération Serval, au Cameroun et au Nigeria contre Boko Haram et participent au G5 au Sahel. La mise à disposition de soldats aguerris, notamment dans les combats sahéliens, est un atout précieux pour la France. D’autant qu’ils sont toujours en première ligne, enregistrant de nombreuses pertes dans leurs rangs. On comprend ainsi la grande mansuétude de la France vis-à-vis du nouveau pouvoir tchadien considéré comme essentiel pour la stabilité du pays, et tant pis si elle se fait au détriment des besoins les plus élémentaires des populations.
Paul Martial