Crédit Photo. Victoire de Lula en 2006. Wikimedia Commons
Il s’est produit une assez longue période « d’âge d’or » de ces gouvernements progressistes avec des avancées sociales favorisées par un contexte économique très favorable, qui a permis des politiques de redistribution des rentes extractives (minerais, pétrole, agrobusiness) sans que soit radicalement remis en cause le pouvoir des classes dominantes.
On est ensuite entré dans une période très dure marquée par des coups d’État ou coups de force institutionnels ou encore par le retour des droites par la voie électorale et une ascension brutale des forces réactionnaires et conservatrices. Elle a aussi sanctionné les limites stratégiques de la poussée progressiste, de « réformes par en haut », contexte accéléré par l’effondrement du processus bolivarien du fait des sanctions externes mais aussi pour des raisons internes (« bolibourgeoisie », corruption, économie rentière, etc.).
Depuis 2018, on assiste à un retour de ce que certainEs désignent sous le terme d’un moment de « progressisme tardif » avec l’élection de Lopez Obrador au Mexique et, dans la foulée, le retour au pouvoir du péronisme de gauche en Argentine incarné par Cristina Kirchner. En Bolivie, c’est le retour au pouvoir du MAS (Mouvement vers le socialisme) en 2020 avec de nouvelles figures et une nette victoire électorale face aux réactionnaires. On peut aussi citer le Honduras ou encore l’élection surprise de Pedro Castillo au Pérou. Cette dynamique se voit confortée par l’importante élection de Gustavo Petro, plutôt au centre-gauche, et de sa colistière Francia Marquez, très engagée notamment dans la lutte de la communauté afro-colombienne dont elle est issue, dans un pays dominé par une des oligarchies les plus violentes du continent. L’avenir de ce « progressisme tardif » se joue aussi évidemment dans les élections au Brésil en ce mois d’octobre, alors que Lula est en ballotage favorable, mais aussi quand le bolsonarisme apparait comme enkysté dans de larges franges de la société et de l’État.
Il faut souligner que cette nouvelle période se déroule dans un cadre très dégradé marqué par la pandémie, une forte inflation, l’impact du basculement climatique dans les Amériques et une crise économique profonde (avec des cas « extrêmes » comme en Haïti et au Venezuela). Elle se caractérise également par la remontée en force de mouvements populaires : en 2019, il y a eu de grandes mobilisations et soulèvements au Chili, en Colombie, en Haïti et en Equateur, des mobilisations aux facteurs multiples, souvent interclassistes, très puissantes et radicales, où les mouvements féministes, les mouvements indigènes et la jeunesse radicalisée ont pris une place majeure. Cette jeunesse est en rupture avec toute une partie du système politique, des partis, qu’il soit de droite ou de gauche, comme en témoigne un taux d’abstention record, de plus de 50 % dans plusieurs pays. Ces ruptures « par en bas » ont néanmoins du mal à déboucher politiquement, à défaut de grandes organisations anticapitalistes capables de les alimenter et d’offrir des débouchés (comme vient de le rappeler l’expérience chilienne).
C’est un contexte de turbulences où les droites et extrêmes droites sont à l’offensive, souvent alliées au courant conservateur des Eglises évangélistes, aux grands propriétaires terriens et au grand patronat, avec le soutien d’un champ médiatique totalement aux ordres du capital. La réaction, la répression et l’arbitraire étatique peuvent aussi s’incarner dans des formes « sui generis » comme c’est le cas au Nicaragua avec le clan Ortegua.
En toile de fond, se joue également un affrontement inter-impérialiste qui monte en puissance entre les États-Unis qui restent les « maitres » au plan géopolitique et militaire, et la Chine dont la présence économique est en pleine expansion. o
Franck Gaudichaud