Faire disparaître les symboles, faire taire les figures publiques. Confronté depuis deux semaines à un soulèvement d’une radicalité inédite, le pouvoir iranien répond une nouvelle fois par la répression.
La censure et la coupure des moyens de communication empêchent d’en connaître l’étendue exacte à ce jour (environ 1 500 personnes avaient été tuées lors d’un précédent mouvement de contestation à l’automne 2019 selon une enquête de Reuters), mais les informations qui sortent du pays montrent que les autorités ciblent ceux, et surtout celles, qui incarnent ce mouvement né après la mort de Mahsa Amini aux mains de la police.
Donya Rad était une inconnue jusqu’à mercredi lorsqu’elle a posté une photo d’elle prenant un petit-déjeuner dans un restaurant populaire de Téhéran, avec une amie. Toutes les deux tête nue, un geste simplement révolutionnaire. Donya Rad a depuis été arrêtée, a annoncé sa sœur sur Instagram, d’après le service en persan de la BBC. L’image avait été partagée des milliers et des milliers de fois en quelques jours.
Depuis son exil en France, la poétesse Mahtab Ghorbani alerte sur le sort de quatre de ses consœurs, interpellées ces derniers jours après avoir pris part aux manifestations.
Mona Borzoei est en détention depuis mercredi. La parolière d’une trentaine d’années avait publié une vidéo d’elle déclamant un poème de soutien aux manifestations, en s’affranchissant de l’obligation de porter le voile.
Lundi soir, trois autres jeunes intellectuelles militantes avaient été arrêtées : Maedeh Jamal, Banafsheh Kamali et Negin Aramesh. « Ce sont des arrestations à la chaîne des écrivains et des poètes », dénonce Mahtab Ghorbani, qui avait elle-même été incarcérée en 2009, pendant un mouvement de protestation post-électoral.
Militants et journalistes ciblés
Dans la province du Kurdistan, où Mahsa Amini vivait, la militante pour les droits humains Bayan Azizi a été convoquée jeudi par la branche locale du ministère des renseignements, selon l’organisation Hengaw. Elle est détenue depuis.
Le même jour, la journaliste Elahe Mohammadi, qui avait couvert l’enterrement de Mahsa Amini, a elle aussi été arrêtée, d’après son avocat Mohammad Ali Kamfirouzi.
Une autre journaliste qui avait contribué à médiatiser l’affaire, Nilufar Hamedi, du quotidien réformateur Shargh, est elle aussi en prison. Ils sont au moins 29 au total, selon le Comité pour la protection des journalistes.
Nouveauté de ce mouvement, l’implication de personnalités peu politisée effraie particulièrement les autorités.
Jeudi, le gouverneur de la province de Téhéran, les a très solennellement averties : « Nous prendrons des mesures contre les célébrités qui ont soufflé sur les braises des émeutes. »
Menace mise a exécution dès le lendemain avec l’arrestation du footballeur Hossein Mahini, un ancien joueur de Persépolis, l’un des deux clubs de la capitale. Le chanteur de pop Shervin Hajipour a lui aussi été convoqué par la police et interpellé, d’après ses proches.
Ce jeune musicien est surtout connu pour une composition très récente, baptisée Baraye (« pour » en persan), dans laquelle il chante les revendications publiées sur les réseaux sociaux par des internautes iraniens depuis la mort de Mahsa Amini.
La chanson énumère tous les griefs contre la République islamique, du sort des femmes à la pollution, des intellectuels embastillés aux enfants afghans exploités. Un réquisitoire visionné 40 millions de fois en quarante-huit heures sur Instagram.
Les autorités reconnaissent avoir arrêté au moins 1 200 personnes depuis le 16 septembre. « Le régime tente de créer la panique afin que d’autres personnalités des sphères artistiques, culturelles et sportives ne rejoignent pas les mouvements de protestation.
En arrêtant les activistes civils, politiques et des droits de l’homme, le régime veut empêcher leurs dirigeants d’organiser collectivement des manifestations », relève l’avocat Saeid Dehghan, qui a défendu de nombreux militants persécutés avant de devoir lui-même s’exiler. « La République islamique ne respecte même pas ses propres lois, notamment s’agissant des arrestations. Les autorités se comportent davantage comme une bande criminelle, se livrant à des enlèvements et à des disparitions forcées. Nous assistons à l’effondrement du système juridique, qui pourrait être le dernier clou du cercueil de ce système politique. »
Tir sur des manifestants
La répression passe aussi par un usage de la violence physique contre les manifestants. Amnesty International a confirmé la mort de 52 personnes. L’organisation Iran Human Rights, basée en Norvège, fait état d’un bilan d’au moins 83 personnes « dont des enfants ». « Les autorités iraniennes ont mobilisé leur appareil répressif pour réprimer impitoyablement des manifestations dans tout le pays, dans le but de mater toute remise en cause de leur pouvoir », s’est alarmé Amnesty dans un communiqué. Un document obtenu par l’ONG et daté du 21 septembre, soit cinq jours après la mort de Mahsa Amini, ordonne aux officiers commandant les forces armées de « s’opposer violemment » aux contestataires.
Un autre, daté du 23 septembre, retranscrit les instructions du chef des forces armées dans la province du Mazandéran : « Faire face sans pitié, en allant jusqu’à causer la mort, à toute manifestation d’émeutiers. »
La région a été le théâtre d’affrontements meurtriers. D’autres ont eu lieu vendredi dans les territoires déshérités d’Ahvaz (sud-ouest) et du Sistan-et-Baloutchistan (sud-est), où les forces de sécurité ont tiré sur des manifestants caillassant un commissariat.
La réaction de Téhéran à ce soulèvement a débordé des frontières avec les frappes contre le Kurdistan irakien, mercredi.
Dans un communiqué diffusé jeudi soir, les Gardiens de la révolution, armée parallèle dont la fonction est de protéger le régime, ont déclaré « avoir lancé une série d’opérations contre les bases et les quartiers généraux des terroristes dans le nord de l’Irak ». « Ces opérations se poursuivront jusqu’à ce que les groupes terroristes soient désarmés », ont-ils assuré, accusant ces groupes « d’attaquer et d’infiltrer l’Iran pour semer l’insécurité et les émeutes et répandre l’agitation ». Cette attaque de missiles et de drones, qui a fait au moins 13 morts, dont un ressortissant américain, a été fermement condamnée par les Européens et les Etats-Unis.
Pierre Alonso