Elles n’ont connu que la République islamique. Nées après la révolution de 1979, Arezou et Maryam (1) ont respectivement 33 et 25 ans. La première vit à Ispahan, la seconde à Téhéran. Elles ne se connaissent pas. Chacune a accepté de raconter à Libération pourquoi elle manifestait après la mort de Mahsa Amini, jeune femme de 22 ans morte des mains de la police.
Arezou, 33 ans, ingénieure informatique au chômage, à Ispahan
« Nous descendons dans la rue pour protester, contre la situation créée par ce régime, qui est pire que celui des talibans. Les femmes sont opprimées en Iran, et pas seulement les femmes, tout le monde. Nous voulons du travail et de la liberté. Nous sommes pacifiques, mais on nous tue sous le moindre prétexte.
La liberté d’expression n’existe plus en Iran. Une jeune fille belle et innocente est tuée pour un voile mal porté, et ils nient les faits. Cela s’est produit plusieurs fois auparavant et encore aujourd’hui. Les jeunes iraniens n’ont aucun espoir dans l’avenir, voilà pourquoi ils descendent dans la rue.
« La situation des femmes s’est détériorée ces dernières années. Ce régime a toujours été en guerre contre les femmes, mais cette haine se renforce tous les jours. Nous en sommes arrivés au point où on ne peut plus le supporter. Cette révolution est la révolution des femmes. Dans toutes ces manifestations, les femmes sont en première ligne.
« Au début, les slogans se concentraient sur le meurtre de notre chère Mahsa Amini, contre le hijab obligatoire, et contre les atteintes aux droits des femmes. Maintenant, nous exigeons le renversement total de ce régime des mollahs et de ce système corrompu.
« La majorité des manifestants sont des jeunes entre 17 et 25 ans, des lycéens et des étudiants de l’université. Ils ont grandi sous le règne de ce régime totalitaire, mais contrairement à nous, les générations précédentes, ils ne sont ni aveugles ni sourds. Ils connaissent bien leurs droits à travers les réseaux sociaux. Ils ont goûté à la vie et à la liberté de loin, et ils réclament leur droit de vivre en paix.
« A Ispahan, les gens se rassemblent dans le centre. Plusieurs petites villes de la province se sont jointes. Les forces de l’ordre, les bassidjis [miliciens, ndlr] et les forces répressives barbares en civil sont présents en nombre conséquent. L’ambiance est totalement militarisée. Quand on a commencé à manifester, les forces de l’ordre ont lancé des gaz lacrymogènes en criant “Allah akbar”. Ils attaquaient les gens avec des tasers électriques.
« Je leur ai dit : “Nous sommes des frères et des sœurs, pourquoi vous nous battez ?” “C’est honteux ce qu’on fait mais on n’a pas d’autre choix”, ont répondu certains. D’autres m’ont attaquée directement : “C’est comme ça. Soit on te matraque et tu mourras, soit tu rentres chez toi.” Il y avait plus d’une centaine de forces mobiles sur des motos, tous armés, qui roulaient au milieu de la foule et frappaient les jeunes dans le dos. Ils ont battu et arrêté un nombre considérable d’entre nous. Le gouvernement assassin de la République islamique profite des ambulances pour déplacer ses forces répressives dans la ville et également pour transporter les manifestants arrêtés vers des centres de détention. »
Maryam, 25 ans, diplômée d’un master, au chômage, à Téhéran
« Dans ce pays, nous sommes privés de la plupart de nos droits fondamentaux. On ne compte pas, on ne nous voit pas. Simplement parce que je suis biologiquement une femme, mes droits sont doublement ignorés et réprimés. Il me paraît tout à fait naturel de contester ce système inégalitaire et revendiquer mes droits. J’ai participé à pas mal de manifestations, en 2017 et 2019, mais ce mouvement est clairement différent des autres.
« Les amis avec qui j’étais font partie de ces jeunes qui n’avaient jamais manifesté. Parce qu’ils appartiennent à la bourgeoisie, ils prenaient leur distance avec ce genre de contestations, en disant que ça ne les regardait pas. Mais aujourd’hui, ils sont très engagés ! Plus que moi, ils avaient moins peur, ils lançaient des cailloux.
« Les forces de l’ordre utilisaient beaucoup de gaz lacrymogène. L’objectif n’était pas seulement de disperser les manifestants, ils préféraient arrêter et embarquer des jeunes. Les gens ont fait en sorte de créer des embouteillages avec leurs voitures pour bloquer les vans de police. Seule la brigade mobile, composée de policiers et de civils, pouvait avoir accès à la rue. Ceux qui étaient sur les motos, n’avaient pas seulement des matraques, comme les années précédentes, mais aussi des chaînes, des tuyaux…
« Les manifestants vivaient un moment de joie mêlée à la peur. Ceux qui regardaient autour nous encourageaient et n’hésitaient pas à nous aider quand ils pouvaient, par exemple en fermant les rues. Quand on se cachait dans les ruelles pour fuir la police, les gens criaient leur soutien depuis les balcons et les fenêtres. »
(1) Les prénoms ont été modifiés.