Je veux exprimer mon soutien total à ces femmes, victimes d’une pensée moyenâgeuse. Il faut qu’elles puissent enfin être maîtresses de leur corps, s’habiller comme elles le souhaitent, profiter de cet acquis de la pensée moderne. D’autant que ces femmes qui manifestent en enlevant leur voile sont dans leur bon droit. J’ai pu lire ici ou là qu’elles étaient victimes de mollahs voulant faire respecter la tradition islamique. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette idée : elles sont victimes de partisans d’une conception patriarcale et idéologique de l’islam.
Il faut arrêter de faire du voile un symbole de l’islam. Nous assistons, depuis quelques décennies, dans les pays musulmans, à un mouvement de retour au voilement des femmes, qui s’est amorcé avec l’émergence des fondamentalismes religieux. Ce mouvement s’est généralisé, non seulement à l’intérieur de ces pays, mais aussi à toutes les communautés musulmanes à travers le monde.
Pourtant, une brève rétrospective sur la question permet de constater que le voile n’a pas toujours été la norme dans les sociétés musulmanes. Des intellectuels et penseurs réformistes de la période post-indépendance ont appelé à abandonner cette pratique afin d’émanciper les femmes. C’était le cas du théologien tunisien Tahar Haddad (1899-1935) ou de Huda Sharawi (1879-1947), pionnière du mouvement féministe égyptien.
Comment le voile est devenu la norme
L’essor des idéologies islamistes, accompagné d’un processus de réislamisation de la société ayant pour ambition de donner un fondement religieux à l’organisation politique et sociale, fonde son projet sociétal sur une dichotomie entre les genres. Celle-ci se traduit par une normativité sociale dont l’objectif premier est le contrôle du corps de la femme, source de tentations et de désordre social.
L’idée du voile symbole de l’islam a fini par s’ancrer profondément dans nos imaginaires
Durant les années 1980 et 1990, j’ai moi-même été témoin de la résurgence islamiste en Algérie qui a fait du voile son étendard. Au fur et à mesure que ces idéologies prennent de l’ampleur, le voile, au départ arboré par les femmes appartenant aux cercles islamistes comme signe de militantisme, a commencé petit à petit à se fondre dans la norme sociale de toutes les sphères musulmanes. Ainsi, de plus en plus de femmes, pourtant opposées aux mouvements islamistes, en viennent à le porter, aboutissant à une pratique généralisée.
Ce phénomène n’est pas sans rapport avec un discours religieux qui met l’accent sur son caractère obligatoire. On peut considérer que ces mouvements ont réussi leur propagande, l’idée du « voile symbole de l’islam » ayant fini par s’ancrer profondément dans nos imaginaires. J’en veux pour preuve le fait que des non-musulmanes aient porté le voile au lendemain des attentats de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en mars 2019, en signe de solidarité avec les musulmans.
Polysémie du voile
Par ailleurs, il serait juste de rendre compte d’une autre réalité : celle de ces femmes musulmanes, souvent très éduquées, autonomes et indépendantes, ayant fait le choix de porter le voile en lui donnant un sens qui se démarque de la rhétorique islamiste habituelle. Ces femmes se l’approprient en le sortant du système patriarcal et revendiquent un acte volontaire, une décision prise en toute liberté et un sens spirituel.
Le voile revêt alors un caractère polysémique, même si d’aucuns posent la question de la possibilité effective pour ces femmes de décider du sens qu’elles veulent lui donner à titre individuel. Pour avoir côtoyé et lu certaines d’entre elles, comme Amina Wadud, imame, professeure d’études islamiques, spécialiste de l’exégèse coranique et figure de proue de l’islam libéral, on ne peut sérieusement soutenir que son choix n’est pas éclairé, d’autant plus qu’elle affirme, avec force et conviction, que le voile n’est pas une obligation religieuse.
Kahina Bahloul
Imame