Helena Ranchal est la directrice des opérations internationales à Médecins du monde. L’association médicale internationale, qui défend un « un système de santé juste et universel », travaille au Pakistan depuis 1996, principalement avec les réfugiés afghans, au nord du pays, à la frontière avec l’Afghanistan.
Depuis plusieurs semaines, Médecins du monde a mobilisé ses équipes – une centaine de personnes, dont une très grande majorité de Pakistanais – pour apporter des soins à la population, alors que le pays fait face à des crues historiques, qui ont déjà causé la mort de plus d’un millier de personnes et affecté la vie de plus de 33 millions d’habitants (sur 230 millions de Pakistanais).
Lilian Ripert - Que se passe-t-il au Pakistan ?
Helena Ranchal - La période de stress hydrique est très importante : en trois semaines, il est tombé 60 % des pluies attendues pour toute la saison des moussons – qui dure normalement de juin à septembre. Les sols sont saturés d’eau et ne peuvent pas l’absorber, ce qui cause ces inondations incroyables. Celles-ci ont débuté au sud mais ont affecté notre centre d’intervention au nord depuis une semaine. La période de mousson va encore durer un mois. Si les pluies se prolongent d’une semaine en octobre, cela va être vraiment dramatique vu la situation actuelle.
Quelle est la situation humanitaire sur place ?
Les données sont très fluctuantes d’un jour à l’autre, car les pluies continuent et vont se poursuivre d’ici à quelques jours. Aujourd’hui, une personne sur sept est affectée dans le pays (33 millions de personnes), les trois quarts du pays sont noyés sous les eaux, 800 000 têtes de bétails sont mortes, alors qu’une partie de la population subsiste grâce à l’élevage. Il y a plus de 200 000 maisons détruites, beaucoup de personnes sont sans-abri et presque un demi-million de maisons endommagées. Le bilan des morts va encore s’alourdir et la plupart des barrages sont à leur niveau maximum, ce qui fait peur.
Sur cette photo prise le 31 août, des habitants de Shikarpur, dans la province de Sindh, au centre du pays, emportent des affaires en évacuant leur habitation. | ASIF HASSAN, AFP
Comment aidez-vous la population concrètement ?
Dans notre centre d’intervention, nous avons mis en place des petites cliniques mobiles de trois à quatre personnes pour aller à la rencontre de la population privée d’accès par la route. Nos équipes se déplacent avec les moyens du bord : il faut faire des détours et beaucoup marcher. Mardi 30 août, une seule de nos équipes mobiles a pu voir 200 Pakistanais en une matinée. Nos équipes médicales soutiennent également le ministère de la Santé, car il n’y a pas d’acteur de santé et qu’on nous a demandé de l’aide. Nous déployons notre personnel, nous fournissons du matériel médical et un accès aux soins.
Quel est l’état du système de santé dans le pays ?
La rupture de soins est très forte. Parfois, les locaux n’ont pas accès aux soins car ils ne peuvent pas se déplacer. D’autres fois, ils ont des préoccupations plus importantes que leur santé : ils ont perdu des êtres chers, leurs maisons, leurs animaux, leurs récoltes. Or, nous savons que lorsqu’il y a des inondations, les maladies se propagent rapidement (maladies de la peau, gastro-entérite…).
Mais nous avons surtout peur que le choléra ne se diffuse dans la population. C’est pour cela que nous avons mobilisé un stock médical de 6 tonnes avec des kits de médicaments pour intervenir en cas d’épidémie. Nous sommes actuellement en train de le déplacer au Pakistan. Ce stock nous permettra de soigner 10 000 personnes pour les six prochains mois.
Photo. Cette femme chassée de chez elle par les inondations prend soin de son bébé dans une tente installée dans la région de Charsadda, au nord-est de Peshawar, le 1er septembre. | ABDUL MAJEED, AFP
De quoi avez-vous besoin pour agir ?
Il faut négocier des accès au terrain, car les démarches administratives sont laborieuses au Pakistan. Nous espérons que ces tonnes de matériel arriveront dans les prochaines heures ou les prochains jours.
Et puis nous avons besoin de fonds pour assurer les soins dans les six à huit mois à venir. Les malades chroniques ne s’arrêtent pas de l’être avec les inondations, les femmes enceintes ont besoin d’assistance comme les enfants malades. Les Nations unies ont estimé les besoins à 160 millions de dollars et l’on peine à récolter 10 % du montant total… Au Pakistan, il y a des centres de santé ravagés qui doivent être reconstruits, il faut remettre les stocks de médicaments à niveau et être très vigilant sur le risque de choléra. Avec des inondations de cette ampleur, une épidémie peut se déclencher rapidement.
Propos recueillis par Lilian RIPERT