Après le premier cas de variole du singe signalé en mai dans l’Hexagone, 277 personnes étaient diagnostiquées positives le 21 juin et 2 423 le 4 août, selon les chiffres publiés par Santé publique France.
Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé a déclaré l’urgence de santé publique internationale face à l’épidémie de variole du singe le 23 juillet. C’est le niveau d’alerte le plus haut de la structure.
Directeur général de AIDES, association de lutte contre le Sida, Marc Dixneuf tire le signal d’alarme. AIDES anime un fil Télégram actualisant les informations sur le virus et sur les dispositifs vaccinaux accessibles.
Mediapart : Le 27 juillet, AIDES publie un communiqué réclamant une campagne de vaccination « coup de poing » en direction des personnes les plus exposées au virus de la variole du singe, soit, selon la Haute Autorité de santé « les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et les personnes trans multipartenaires, les personnes en situation de prostitution et les professionnels exerçant dans les lieux de consommation sexuelle ».Quinze jours plus tard, avez-vous été entendu ?
Marc Dixneuf : Pas vraiment. L’expérience de la Covid ne semble pas avoir fait prendre conscience de la façon dont on doit lutter contre une épidémie. C’est pourtant simple : c’est une course de vitesse. Pour contenir l’épidémie dans le groupe touché et en casser l’incidence, il faut aller extrêmement vite. Cela est d’autant plus vrai que la variole du singe se transmet très facilement. Si le virus ne se transmet pas aussi facilement que la Covid, des personnes qui restent un certain temps dans un bar fermé peuvent aussi se contaminer, sans même se toucher.
Regarder vers l’Espagne, où l’épidémie a commencé en Europe, c’est comprendre qu’il y a une véritable urgence à vacciner massivement les personnes des groupes particulièrement vulnérables. Là-bas, le virus a maintenant dépassé les limites des premiers groupes touchés : des femmes et des enfants ont été contaminés. Nous avons la chance de disposer d’un vaccin, dont on sait qu’il est très performant à deux doses, et déjà relativement efficace dès la première dose. La logique voudrait que l’on vaccine massivement et extrêmement rapidement toutes les personnes appartenant aux groupes vulnérables, déjà avec la première dose : en faisant cela, on protège toute la société.
D’autant qu’à la différence d’une campagne de vaccination générale comme pour la Covid, contre la variole du singe, il n’y a pas besoin de vaccinodromes – pour le moment – puisqu’il faudrait « juste » vacciner trois cent à quatre cent mille personnes immédiatement. Avec vingt mille premières injections annoncées par les autorités publiques de santé, on est loin du compte : c’est 5 % de l’objectif après plus d’un mois de campagne vaccinale.
Une vaccination sérieuse est également essentielle pour que les personnes adoptent un comportement de réduction des risques. Les deux fonctionnent ensemble : on ne peut pas demander à des personnes de réduire leur nombre de partenaires, de s’isoler si elles sont malades, d’être en alerte des moindres signes de maladie et s’attendre à ce qu’elles le fassent si un vaccin efficace est disponible et qu’on ne leur administre pas. Il faut que la collectivité s’engage envers les personnes vulnérables pour que celles-ci s’engagent envers la collectivité. Le socle, c’est la vaccination, mais la réduction des risques compte également : les deux fonctionnent ensemble.
J’ajoute qu’Act Up a récemment demandé au ministre de la santé que les femmes en relation avec des hommes bisexuels, entretenant des relations avec plusieurs partenaires, soient également considérées comme relevant des populations vulnérables et soient vaccinées en priorité.
Le taux de vaccination progresse-t-il actuellement ?
Une responsable de l’agence régionale de santé d’Île-de-France vient de nous apprendre que, depuis quinze jours, 5 500 personnes sont vaccinées chaque semaine dans la région. C’est mieux qu’au début du mois de juillet, mais, si l’on rapporte ça au nombre de personnes appartenant aux groupes vulnérables dans la région, cela signifie que la fin de la campagne d’injection de la première dose se situe dans plus de six mois. Ce n’est pas avec des échéances comme celles-ci que l’on combat sérieusement une épidémie : il faut aller plus vite, vraiment beaucoup plus vite. À mon avis, l’objectif devrait être la fin de l’été, mi-septembre au plus tard. Sinon c’est la perspective espagnole qui nous guette.
Que préconisez-vous pour que la couverture vaccinale augmente rapidement ?
Il faut remettre les choses à l’endroit : l’intérêt collectif devrait obliger à se fixer une date à laquelle une première dose aurait été injectée à 100 % des personnes appartenant aux groupes les plus vulnérables. C’est à partir de cet objectif que l’on doit déployer les moyens humains et logistiques nécessaires pour l’atteindre. C’est 250 000 doses à injecter en trois semaines, selon moi.
Aujourd’hui, les associations et le grand public disposent de très peu d’informations quant à l’organisation et la planification de la vaccination, mais, selon les derniers chiffres que l’on nous a communiqués, la France a acheté des doses au mois de mai. Sur les quarante mille doses « libérées » du stock stratégique, le chiffre de vingt mille doses déjà administrées est alarmant. Des vaccins sont disponibles, mais ne sont pas injectés, il y a donc un goulot d’étranglement humain. C’est à ce problème-là qu’il faut répondre immédiatement.
Certaines agences régionales de santé essayent : le week-end dernier, à Lille, un centre à ouvert à la vaccination la plus large possible et des bus sont même venus de Bruxelles, mobilisés par des associations de santé communautaires. Ces initiatives-là doivent se généraliser, mais aussi, se décliner. Je rentre de Montréal où j’étais à la conférence internationale sur le Sida : dans le Village [quartier LGBT de Montréal – ndlr], des tentes étaient installées dans la rue et la sécurité civile vaccinait les gens. Pourquoi ne voit-on pas ce type de dispositif un peu partout en France ? Notamment dans des lieux fréquentés par les personnes appartenant aux groupes vulnérables. C’est l’été : il va falloir diversifier, en plus d’accroître, l’offre de vaccination sur le territoire dans les lieux de villégiature.
D’un point de vue opérationnel, on ne va pas se mentir, il faut des milliers de gens : la Croix-Rouge, les pompiers, les médecins retraités, les médecins de ville, un réseau de pharmacies volontaires. On pourrait même imaginer une réquisition de l’armée pour répondre à l’urgence.
Est-ce que cette mobilisation générale, avec une offre adaptée à la situation et aux publics concernés vous semble à l’ordre du jour de l’agenda ministériel ?
Le ministre de la santé a organisé une réunion lundi 8 août avec tous les acteurs impliqués dans la gestion de cette crise sanitaire. Ce n’était pas une grand-messe. François Braun a très peu parlé afin de laisser la parole aux personnes qui tentent de répondre à la crise sur le terrain : les agences régionales de santé, l’Agence nationale de la sécurité du médicament, la Haute Autorité de santé, les sociétés savantes, les représentants des ordres et les associations. C’est un niveau de transparence et de collaboration inédit qu’il faut souligner et qui rassure. Mais pour le moment, nous n’avons pas de mesures annoncées indiquant que le rythme va s’intensifier.
Il faut réquisitionner du personnel de santé, mais aussi de logistique : la crise sanitaire de la Covid nous a révélé le niveau de crise de l’hôpital, mais, aujourd’hui, c’est la crise de tout le système de santé publique qui est mise en lumière.
Organiser une campagne nationale de vaccination nécessite des personnels qualifiés pour les injections, mais également, et nous l’avons vu avec le problème du frigo défectueux du centre Edison à Paris - qui a compromis cinq cents doses de vaccins la semaine dernière -, il faut du personnel en nombre pour organiser la logistique matérielle et humaine. La défaillance a été identifiée très vite, cela montre un bon niveau de compétence, mais des doses et des jours ont été gâchés alors que nous sommes déjà extrêmement en retard.
Vous dîtes que « cette épidémie met en lumière un niveau de crise aiguë de tout le système de santé publique ». Pouvez-vous développer ?
Si nous avions des personnels de santé bien payés à l’hôpital, en nombre suffisant et s’ils ne souffraient pas d’épuisement au travail, ils ne démissionneraient pas et la crise serait bien plus facilement résolue. Idem dans les centres logistiques et administratifs : dans les agences régionales de santé, les effectifs sont à l’os.
Mais il n’y a pas uniquement cette crise généralisée de notre système de santé, il y a d’autres problématiques politiques préoccupantes dans la gestion actuelle de l’épidémie : elle touche d’abord des groupes particulièrement stigmatisés - hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, travailleuses et travailleurs du sexe, personnes trans - et, si je suis confiant vis-à-vis du ministre de la santé quant à sa volonté d’agir, il me semble évident que le travail et la mobilisation interministérielle nécessaire ne peuvent qu’être très difficiles avec des personnalités tenant des discours homophobes, comme Caroline Cayeux, ou qui s’opposent à des campagnes de prévention mettant en scène des couples homosexuels comme l’a fait Christophe Béchu en 2016 lorsqu’il était maire d’Angers.
J’ai également une véritable inquiétude concernant les travailleuses et travailleurs du sexe : le ministre s’est engagé à les recevoir rapidement, mais rien ne dit que le ministère chargé de ce dossier saura répondre aux enjeux. Si les personnes qui vendent des services sexuels pour vivre n’ont pas de compensation financière lorsqu’elles s’isolent, elles continueront de travailler pour pouvoir manger et payer leur loyer. La lutte contre l’épidémie passe par le fait de prendre cette dimension économique là aussi, à bras-le-corps et sans hésitation.
Sarah Benichou